Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Almoravides (suite)

La réalité de leur pouvoir découle de leur possibilité de refuser une consultation juridique et de cautionner certaines mesures politiques. Aussi, sans exercer de contrôle sur l’émir, ont-ils sur lui des moyens de pression. C’est à leur instigation qu’ibn Tāchfīn reconnaît, après sa victoire de Zalaca. l’autorité spirituelle du calife de Bagdad, auquel il demande l’investiture sur les terres annexées à l’islām. Toutefois, cette reconnaissance se traduit par la simple mention, dans les prières du vendredi, du titre de l’émir des croyants (amīr al-mu’minīn), le calife ‘abbāsside. Ibn Tāchfīn se contente du titre d’émir des musulmans (amīr al-muslimīn), titre pseudo-califien et qui confère à la dynastie almoravide un caractère religieux.


Le caractère berbère de la dynastie almoravide

Les Almoravides restent donc indépendants de l’Orient musulman. Pendant le long règne d’ibn Tāchfīn, la dynastie conserve son caractère berbère. Les hommes continuent à porter, comme naguère au Sahara, une longue pièce d’étoffe sombre qui leur cache le bas du visage. Dans les villes andalouses, le voile du visage devient une marque de noblesse, dont le port est réservé exclusivement aux vainqueurs.

Par contre, les femmes almoravides ne portent pas de voile. Elles jouissent d’une liberté d’allure qui atteste la persistance des vieilles mœurs bédouines. Au surplus, elles paraissent jouer un rôle important dans les affaires publiques. La possession de la belle Zaynab al-Nafzawiyya, surnommée « la Magicienne », semble, au début de la secte almoravide, une condition nécessaire à l’exercice du commandement. Après la conquête du pouvoir, les Almoravides associent les femmes à la vie politique, voire militaire de l’Empire et les laissent vivre comme avant dans les campements sahariens. L’une d’elles va jusqu’à diriger la défense de la citadelle de Marrakech.


L’influence de l’Andalousie sur le Maghreb sous les Almoravides

Malgré leur autorité et leur rudesse, les Almoravides ne résistent pas longtemps au charme de la civilisation andalouse, qui conserve tout son éclat sous les royaumes de taifas. Au moment de l’annexion de l’Espagne musulmane, les Almoravides trouvent des cours très brillantes, véritables foyers d’art, de chansons et de poésie. Le roi de Séville Muḥammad al-Mu‘tamid (1069-1095) est lui-même un grand poète. Les Almoravides sont d’abord scandalisés par l’art profane, le faste et les folles dépenses des différentes cours. Mais cette sévérité ne tarde pas à s’assouplir. Ibn Tāchfīn lui-même finit par recourir, pour recruter les agents de son gouvernement, aux hommes les plus cultivés du pays conquis, auparavant cadres des royaumes de taifas. Et, quoiqu’il n’ait que peu de goût pour la poésie andalouse, il s’entoure de poètes qui n’hésitent pas à entrer au service des nouveaux maîtres africains.

Certes, ibn Tāchfīn et son fils ‘Alī ibn Yūsuf ibn Tāchfīn conservent jusqu’au bout l’austérité de moine-soldat et laissent, l’un et l’autre, une solide réputation d’ascétisme et de piété. Mais, sous leur règne, particulièrement sous celui de ‘Alī (1106-1143), l’évolution des goûts et des mœurs chez les Africains marque un progrès sensible. La civilisation andalouse gagne le Maghreb occidental, qui devient une province culturelle et artistique de l’Espagne musulmane. La Grande Mosquée de Tlemcen, achevée en 1135, reste un témoignage vivant de l’influence qu’exerce l’art andalou sur l’art almoravide de la fin du xie s. au début du xiie s., c’est-à-dire essentiellement à l’époque de ‘Alī ibn Yūsuf.


‘Alī ibn Yūsuf et l’« andalousisation » de l’Empire almoravide

Né à Ceuta, d’une mère esclave chrétienne, ‘Alī ibn Yūsuf ne connaît pas le désert et passe la plus grande partie de son règne en Espagne. Malgré son ascétisme, il adopte les pratiques courantes chez les rois de taifas au mépris des principes almoravides. Paradoxalement, ce moine-soldat ne répugne pas à la constitution d’une milice chrétienne. Il est vrai que celle-ci sert dans la partie africaine de l’Empire, laissant aux troupes musulmanes le monopole des incursions en pays chrétien. Les soldats turcs et chrétiens constituent le gros de la cavalerie almoravide. Le plus célèbre des mercenaires chrétiens est le Catalan Reverter (en ar. al-Ruburtayr), qui tombe en défendant le régime contre les Almohades. Pour s’attacher la communauté chrétienne, qui rend de très grands services, ‘Alī ibn Yūsuf la comble de faveurs. Il lui permet d’avoir à Marrakech un sanctuaire, une église, des prêtres et un évêque.

En plus des pratiques militaires des royaumes de taifas, ‘Alī ibn Yūsuf adopte leur système fiscal. Dans ce domaine, il rompt avec la tradition almoravide, qui est fondée sur le prélèvement des seuls impôts rituels. À l’encontre de son père, qui s’est abstenu de lever aucune taxe non prévue par la loi, il se trouve, pour des raisons financières, dans l’obligation de déroger aux principes et introduit au Maghreb des impôts non coraniques, notamment des droits de marché, ou qabalāt.


La chute des Almoravides

Ces innovations en matière fiscale et militaire ne rencontrent pas la faveur de la population. Les nouveaux impôts sont particulièrement impopulaires. Les Almohades*, secte religieuse, exploitent cette situation pour mener une rude campagne contre les Almoravides.

Ces derniers sont, du reste, usés par la lutte contre les chrétiens en Espagne. À la mort de ‘Alī ibn Yūsuf, en 1143, la situation militaire est favorable aux chrétiens. Son fils et successeur Tāchfīn ibn ‘Alī (1143-1145) ne peut pas soutenir une guerre sur un double front : au Maghreb contre les Almohades et en Espagne contre les chrétiens. Au surplus, les Andalous se révoltent contre son autorité, reviennent au régime des royaumes de taifas et appellent à leur secours les Almohades, qui sont déjà maîtres de la majeure partie du Maroc. Ceux-ci répondent à cet appel et donnent le coup de grâce à la puissance almoravide en Andalousie. Parallèlement, les Almohades remportent d’importants succès au Maghreb. En 1145, ils battent près de Tlemcen les troupes almoravides. En 1146, ils s’emparent de Fès après un siège de neuf mois, et, en avril 1147, de Marrakech, la capitale de l’Empire, où le fils de Tāchfīn, un jeune adolescent, tente de leur résister. À sa mort, les Almoravides se révoltent d’abord dans le Sous, puis sur la côte atlantique du Maghreb. À la fin de 1148, ils sont définitivement écrasés, et le Maroc passe entièrement sous le contrôle des Almohades.

A. M.

➙ Almohades / Andalousie / Arabes / Berbères / Espagne / Islām / Maroc / taifas (les royaumes de).

 E. Lévi-Provençal, la Civilisation arabe en Espagne (Le Caire, 1938 ; nouv. éd., Maisonneuve, 1949) ; Histoire de l’Espagne musulmane (Maisonneuve, 1950-1953 ; 3 vol.). / J. Bosch, Historia de Marruecos : los almorávides (Tétouan, 1957).