Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Almohades (suite)

 C. A. Julien, Histoire de l’Afrique du Nord (Payot, 1931 ; nouv. éd. revue par C. Courtois et R. Le Tourneau, 1952-1953 ; 2 vol.). / E. Lévi-Provençal, Histoire de l’Espagne musulmane (Maisonneuve, 1950-1953 ; 3 vol.). / A. Huici Miranda, Historia política del imperio almohade (Tétouan, 1956 ; 2 vol.) ; Historia de los almorávides y almohades (Madrid, 1957). / A. Benabdellah, les Grands Courants de la civilisation du Maghreb (Casablanca, 1958).

Almoravides

En ar. al-Murābiṭūn, Berbères sahariens qui régnèrent au Maghreb et en Andalousie au xie et au xiie s.



Les origines

Les Almoravides sont des tribus berbères du groupe des Ṣanhādjas, apparentés aux Touaregs. Pasteurs nomades, ils se lancent, au milieu du xie s., à partir de leur désert, à la conquête de terres plus riches et parviennent à constituer un immense empire, englobant un double domaine africain et européen. Ce mouvement, qui traduit un épisode de la lutte pour la vie que mènent constamment, au Maghreb, les nomades contre les sédentaires, s’exprime en termes religieux. En effet, les Almoravides, ou al-Murābiṭūn, sont, en même temps qu’une confédération de tribus, une confrérie religieuse. Tout comme les Arabes au début de l’islām, ils se mettent en marche pour occuper des territoires et propager une doctrine.


La doctrine almoravide

Toutefois, cette doctrine n’a rien d’original et ne fait que reprendre les principes du rite malékite, hérités des grands docteurs de Kairouan. En 1035, des chefs de la tribu des Lamtūna, de retour de pèlerinage, s’arrêtent à Kairouan, où ils entendent Abū ‘Imrān, savant originaire de Fès. Pris d’admiration pour ce maître, ils lui demandent d’envoyer parmi eux, dans le désert, l’un de ses disciples. Ce sera ‘Abd Allāh ibn Yāsīn, fondateur du mouvement almoravide. Réformateur rigoureux, ibn Yāsīn invite les nomades à respecter scrupuleusement les prescriptions de l’islām et, par conséquent, à ne plus épouser plus de quatre femmes et à payer l’impôt rituel. Trouvant ces obligations insupportables, les nomades ne répondent pas à son appel. Ibn Yāsīn les abandonne alors et se rend, en compagnie de l’un de leurs chefs, dans une île du cours inférieur du Sénégal. Très vite, quelques chefs de tribus les suivent, encourageant par leur exemple beaucoup de nomades à faire de même. C’est ainsi que le ribāṭ fondé par ibn Yāsīn essaime et compte, en peu de temps, de nombreux fidèles.


Le ribāṭ : centre de formation religieuse et militaire

Le ribāṭ est un couvent doublé d’un camp militaire. Les gens du ribāṭ, ou murābiṭūn, constituent, en même temps qu’une communauté religieuse, une troupe de guerriers. Ils reçoivent un enseignement religieux fondé sur un malékisme intégral et schématique. Ibn Yāsīn parvient à soumettre ces chevaliers sahariens, férus d’indépendance, à une discipline très rigoureuse. Le moindre manquement aux obligations religieuses ou morales est sanctionné de coups de fouet, qui doivent être supportés en « esprit de pénitence ». Les fidèles sont constamment aux ordres de leur maître ibn Yāsīn, considéré comme le gardien de la loi.


L’occupation du Maroc

Cette discipline aide à la formation militaire des murābiṭūn. Devenus une véritable machine de guerre, ces moines-soldats parviennent à s’imposer aux Noirs idolâtres avant de franchir l’Atlas et d’occuper le Maroc sous la conduite de Yūsuf ibn Tāchfīn, le fondateur de la dynastie des Almoravides. Ce dernier prend le pouvoir en 1061 et étend très vite son autorité sur tout le Maghreb central jusqu’à Alger.


L’annexion de l’Andalousie

En 1085, le roi de Castille et de León, Alphonse VI, s’empare de Tolède et menace les principautés musulmanes d’Andalousie. Les royaumes de taifas*, principautés arabes d’Espagne, appellent alors à leur secours Yūsuf ibn Tāchfīn. Renouant les traditions de la guerre sainte, celui-ci remporte en 1086 la victoire retentissante de Zalaca. Devenu le champion de l’islām en péril, le roi almoravide s’arroge la souveraineté sur l’Espagne musulmane au détriment des royaumes de taifas. En 1090, il obtient des fuqahā’ (pluriel de faqīh), ou jurisconsultes andalous, une fatwa, ou consultation juridique, l’autorisant à détrôner les princes de taifas, déclarés à l’occasion libertins, débauchés et impies.


Le rôle des fuqahā’ sous les Almoravides

Les gens dévots d’Andalousie s’accommodent merveilleusement de ce roi berbère, dont la continence, la simplicité et la frugalité, contrastant avec la débauche et l’ostentation des rois de taifas, lui donnent les allures d’un véritable ascète. Au surplus, l’avènement des Almoravides leur permet de jouer un rôle important dans la direction des affaires politiques. En effet, sous ibn Tāchfīn, comme sous son fils et successeur ‘Alī ibn Yūsuf, les fuqahā’ jouissent d’une grande autorité aussi bien au Maghreb qu’en Andalousie. Ils sont directement associés à la conduite de l’État et jouissent de traitements substantiels. Ils participent au conseil de l’émir et accompagnent celui-ci dans ses déplacements. Dans les provinces, ils collaborent à la justice et au gouvernement. Toutefois, leur pouvoir est, malgré les apparences, purement consultatif. Jurisconsultes, ils expriment leur opinion par des consultations juridiques, ou fatwas. Or, la fatwa doit être sollicitée par le musulman incertain de ses droits et soucieux de ses devoirs. Les Almoravides en font, il est vrai, un procédé de gouvernement. L’émir provoque une fatwa pour appuyer une mesure dont la légitimité peut être contestée. De ce fait, les fuqahā’ deviennent des instruments très efficaces de la politique almoravide. En effet, leur opinion fait force de loi et s’impose à tous les musulmans. C’est ainsi que Yūsuf ibn Tāchfīn s’appuie sur une fatwa des fuqahā’ andalous pour légitimer son pouvoir en Espagne musulmane. On peut dire que les fuqahā’ détiennent le pouvoir législatif sans pour autant avoir l’initiative des lois.