Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
F

Fitzgerald (Scott) (suite)

Scott Fitzgerald fut toujours fasciné par l’argent. « Les gens riches sont différents de vous et moi », disait-il à Hemingway. Les bijoux, les Rolls-Royce, les châteaux, les domestiques les protègent, en font une race à part. Toute sa vie, Fitzgerald chercha son Diamant gros comme le Ritz. Dans ce conte (The Diamond Big as the Ritz), où un enfant est enfermé dans un diamant-montagne avec halls de saphirs et esclaves noirs, on déchiffre un besoin d’évasion et de protection, une peur de la même nature que celle de Poe dans le « domaine d’Arnheim ». Le thème de toute l’œuvre est celui de l’intrus : le petit pauvre qui s’est faufilé au château sous un déguisement et qui meurt de peur d’être découvert.

Car Fitzgerald est né dans une famille pauvre et prétentieuse. Son père, après une faillite dans l’ameublement, était représentant de commerce. Sa mère se privait et le faisait savoir pour lui payer des cours de danse, des écoles chic et finalement l’université de Princeton. Mince, blond, beau, Fitzgerald affecte des allures de dandy. Il a du succès. Mais Ginevra King, l’héritière qui deviendra la Joséphine du roman, refuse de l’épouser. Sorti de Princeton sans diplôme, Fitzgerald s’engage dans l’armée en 1917. Sous-lieutenant dans un camp de l’Alabama, il rencontre Zelda Sayre, fille d’un juge et petite-fille d’un sénateur. Zelda, comme la Nicole de Tendre est la nuit, est une héritière admirée, courtisée, une « flapper » aux allures de garçonne, belle, provocante, une fofolle qui sera la femme de sa vie et de sa mort. Démobilisé par l’armistice de 1918, Fitzgerald travaille pour une agence de publicité, à 90 dollars par mois, et écrit un roman et des nouvelles refusés par deux cent vingt-deux éditeurs et directeurs de journaux. Découragé, il commence à boire, participe à des bagarres dans les bars, comme il l’évoque dans la nouvelle Premier Mai (May Day), avec la nostalgie du jeune homme brillant qui n’arrive pas.

En septembre 1919, Scribner accepte son roman, qui paraît en 1920 : l’Envers du paradis (This Side of Paradise) est un succès. Zelda accepte de l’épouser. Le rêve commence : il est jeune, beau, célèbre et il a épousé la princesse. L’Amérique sent la prospérité, le succès, la joie de vivre. La grande fête commence : « L’âge du jazz courait sur sa lancée, écrit Fitzgerald, ravitaillé par d’énormes distributeurs automatiques d’argent. Même si vous étiez fauché, vous n’aviez pas à craindre de manquer d’argent : il y en avait plein autour de vous. » De 1920 à 1929, dans une atmosphère d’inflation et de boom économique, Scott et Zelda seront les héros d’une fabuleuse kermesse qui s’achèvera dans la catastrophe économique de 1929.

En 1921, ils arrivent à Paris, s’installent non pas à Montparnasse, comme leurs amis Hemingway* et Gertrude Stein*, mais au Ritz, place Vendôme. Ils jettent l’argent par les fenêtres, boivent, se battent, se font arrêter. Fitzgerald gaspille son génie à écrire des textes qu’il vend cher. En 1922, son second roman, The Beautiful and Damned, raconte cette dérive d’un couple de fêtards et les extravagances de Zelda. Hemingway, dans Paris est une fête, a cruellement décrit les angoisses de Fitzgerald. Car ce dernier était lucide : « On peut écrire une nouvelle en sifflant une bouteille, mais pas un roman. » L’alcoolisme, le surmenage, l’insomnie le minent : « J’ai gâché 1922 et 1923, écrit-il. J’ai fait un travail infernal, mais rien que de la camelote alimentaire. »

Son troisième roman, Gatsby le Magnifique (The Great Gatsby), paraît en 1925. C’est aussi un drame autobiographique du déclassement : Gatsby ne peut épouser la fille d’un milliardaire, qui lui échappe, comme Nicole échappe à Dick à la fin de Tendre est la nuit. « C’est ce que j’ai toujours vécu, avoue Fitzgerald : un garçon pauvre dans une ville riche, pauvre dans une école de riches, pauvre dans une université de riches. Je n’ai jamais pu pardonner aux riches d’être riches, ce qui a assombri ma vie et toutes mes œuvres. Tout le sens de Gatsby, c’est l’injustice qui empêche un jeune homme pauvre d’épouser une jeune fille qui a de l’argent. Ce thème revient parce que je l’ai vécu. » Gatsby est bien accueilli par la critique, en particulier par Gertrude Stein et T. S. Eliot*, qui y voit « le premier pas fait par le roman américain depuis Henry James* ».

En octobre 1929, l’écroulement des cours à la Bourse de New York sonne le glas des « années folles ». Les années noires commencent pour le monde et pour les Fitzgerald. En 1930, Zelda est internée dans une clinique psychiatrique près de Genève. Fitzgerald erre en Suisse, lisant des manuels de psychiatrie. Le sujet de Tendre est la nuit (Tender is the Night) s’esquisse : l’histoire de Dick Diver, le petit psychiatre qui épouse sa riche malade, la guérit et y ruine sa carrière, son amour et sa vie. Longtemps remanié, le livre est publié en avril 1934. Œuvre ample, ambitieuse, elle a cette « touche de désastre » que Fitzgerald jugeait caractéristique de son inspiration. C’est un roman de la dissolution, dont le titre, emprunté à l’Ode au rossignol de Keats, dit les séductions de la mort. « Toute vie est un processus de démolition », écrit-il. La démolition psychologique, sentimentale, sociale et professionnelle du docteur Diver est totale.

Et le roman est prophétique de la fin de Fitzgerald. Malgré les cures de désintoxication, celui-ci boit de plus en plus, écrit de moins en moins. Ses droits d’auteur tombent de 30 000 à 33 dollars par an. Dans l’Après-midi d’un écrivain (Afternoon of an Author) et la Fêlure (The Crack-up), publiés après sa mort, il raconte, avec une simplicité dépouillée, aux accents presque mystiques, cette déchéance : « Tout ce que j’ai pu faire et être est perdu, dépensé, enfui, irrécupérable. Dans la vraie nuit de l’âme, il est éternellement trois heures du matin. » Deux fois, il tente de se suicider. En 1937, oublié, il travaille à Hollywood comme scénariste. Il n’a pas le temps d’achever son dernier roman, le Dernier Nabab (The Last Tycoon). Il meurt d’une crise cardiaque le 20 décembre 1940. En 1948, Zelda périt brûlée vive dans l’incendie de l’asile psychiatrique où elle était traitée.