Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

expressionnisme (suite)

Bien qu’il se soit toujours défendu d’appartenir à l’école expressionniste, Fritz Lang*, dans les Trois Lumières (Der mude Tod, 1921) et dans le Docteur Mabuse (Dr. Mabuse der Spieler, 1922), reste très proche du mouvement, ne serait-ce que par le choix des thèmes et l’« architecture » de la mise en scène. Mabuse, peinture prophétique du désordre latent de l’Allemagne et de la souterraine montée de ce qui, quelque dix années plus tard, prendra le nom de nazisme, apparaît comme un exemple d’« expressionnisme transcendé » tout comme Nosferatu le vampire (1922) de F. W. Murnau*.

On retrouve certains thèmes expressionnistes dans le Trésor (1923) de G. W. Pabst, dans le Dernier des hommes (1924) de F. W. Murnau, dans les Nibelungen (1924), Metropolis (1925) et M le Maudit (1931) de Fritz Lang tout comme dans la seconde version de l’Étudiant de Prague (1926) de Henrik Galeen (l’ombre, le sosie, le double démoniaque).

L’excès même du caligarisme dans son refus de la nature et du réalisme provoque très rapidement une nette réaction. Il est intéressant de signaler que le scénariste le plus notoire de l’expressionnisme, Carl Mayer, sera également l’un des plus talentueux porte-parole du « Kammerspiel », école qui s’attachera davantage à l’analyse des drames individuels et de la vie quotidienne. Le « faire-sentir » cherchera à remplacer le « donner-à-voir ».

Lupu-Pick, en réalisant le Rail (Scherben, 1921), puis la Nuit de la Saint-Sylvestre (Sylvester, 1923), suit à la lettre les indications de son scénariste Carl Mayer, qui prévoit que, tandis que se déroule une histoire linéaire, des mouvements de caméra en profondeur et en hauteur devront, par leur insistance symbolique, « sculpter la réalité » et faire ainsi apparaître les réactions psychologiques des personnages écrasés par leur destin. Cette tendance s’épanouira dans le Dernier des hommes de Murnau.

Dès 1926, Lupu-Pick, parlant du Dernier Fiacre de Berlin (Die letzte Droschke von Berlin) de Carl Boese, dira que c’est « une gifle monumentale adressée aux snobs expressionnistes ». Désormais, le réalisme triomphera tout en conservant certains « tics » expressionnistes. Longtemps, cependant, le cinéma allemand gardera (notamment par l’usage du clair-obscur) celles des leçons de l’expressionnisme qui semblaient les plus assimilables. Cette influence de l’expressionnisme a profondément marqué certains metteurs en scène de renom comme Eisenstein, Josef von Sternberg, Orson Welles et Ingmar Bergman.

G. H. et J.-L. P.

 R. Kurtz, Expressionismus und Film (Berlin, 1926). / S. Kracauer, From Caligari to Hitler (Princeton, 1947). / L. H. Eisner, l’Écran démoniaque (Bonne, 1952 ; nouv. éd., le Terrain vague, 1965). / M. Henry, le Cinéma expressionniste allemand (Éd. du Signe, Montpellier, 1971).


L’expressionnisme et la danse

En danse, l’expressionnisme est une attitude esthétique, issue des théories de Rudolf von Laban*, qui place le geste à l’origine du sentiment exprimé.

Préparée par les travaux de François Delsarte (1811-1871), par la danse libre (danse libérée des principes académiques) d’Isadora Duncan (1878-1927) [v. danse] et par les recherches gymniques et rythmiques d’Émile Jaques-Dalcroze (1865-1950), la danse moderne a trouvé ses bases mêmes dans l’expressionnisme.

C’est en Allemagne, où le ballet classique n’avait pas, à proprement parler, fait école, que naquit cette tendance. L’absence de tradition chorégraphique, telle qu’elle existait alors en France et en Italie, a permis à l’expressionnisme de s’implanter fortement et d’influencer non pas l’Europe, alors fermée à ce langage nouveau, mais l’Amérique.

Rudolf von Laban*, outre son principe fondamental reconnaissant la primauté à l’émotion et à certains gestes essentiels, réclamait une liberté totale d’expression ; le rythme était donné par le geste lui-même.

L’expressionnisme eut en Allemagne de nombreux adeptes : Mary Wigman (1886-1973), élève de R. von Laban, chez qui le mouvement est fondé sur l’opposition « tension-détente » et qui exploite la technique de groupe ; Kurt Jooss (né en 1901), élève également de R. von Laban, qui élabore une synthèse entre l’expressionnisme et la danse académique, et grâce à laquelle il parvient à une maîtrise totale des mouvements et des expressions ; Harald Kreutzberg (1902-1968), élève de Kurt Jooss et disciple de Mary Wigman, danseur soliste et mime, qui considérait l’expressionnisme comme la seule réalisation possible de la danse moderne ; Yvonne Georgi (1903-1975), un temps partenaire de Kreutzberg.

Mais c’est aux États-Unis que l’expressionnisme connut le plus grand succès. L’absence d’une école traditionnelle permit au courant expressionniste et à la danse libre de s’implanter. La plupart des danseurs et chorégraphes américains subirent cette influence. Si Martha Graham (née v. 1893) exploite l’opposition qui réside dans tout mouvement, Hanya Holm (née en 1898) pense que l’expressionnisme est la seule manière de concevoir la danse dans ses rapports avec l’homme et l’univers. Doris Humphrey (1895-1958) et Charles Weidman (1901-1975), fondateurs d’une école, accordent aux mouvements une importance majeure. À leur suite, ou en même temps, s’affirment des personnalités intéressantes : Ruth Page (née en 1905), qui adapte l’expression corporelle à la danse classique, José Limón (1908-1972), un des meilleurs danseurs modernes ; Herbert Ross (né en 1926) ; etc.

À leur tour, les chorégraphes contemporains soumettent leur propre tempérament à ce qui est déjà une tradition et imposent des œuvres originales : Jerome Robbins (né en 1918), Alwin Nikolais (né en 1912), Paul Taylor (né en 1930), Merce Cunningham (né en 1915), etc. L’Angleterre n’est pas insensible à cette influence et se tourne peu à peu vers la « contemporary dance », tandis qu’en Italie Aurel Milloss (né en 1906), élève de R. von Laban, domine pendant de longues années le ballet italien. D’origine allemande et installée en France, Karin Waehner (née en 1926) fut élève de Mary Wigman, de Martha Graham, de José Limón, de Louis Horst (1884-1964) et de Merce Cunningham.

H. H.