Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

expressionnisme (suite)

Soutenu par Peggy Guggenheim, Pollock allait incarner au plus haut degré l’expressionnisme américain. Il s’essaya dès 1941-42 au dripping, mit au point le procédé du all over (toute la surface de la toile recouverte de peinture pour suggérer la continuité de la création) et travailla debout, ses immenses formats posés sur le sol. Une telle disposition exigeait une mobilité constante à laquelle tout le corps — et plus seulement le bras et la main comme naguère — participe : d’où le terme d’action painting, que l’on doit au critique d’art Harold Rosenberg. Les foisonnants lacis de couleur de Pollock restituent au niveau de la toile une émotion brute ; çà et là émergent parfois des repères figuratifs (têtes, membres), auxquels l’artiste allait revenir de façon plus explicite dès 1951 (Number 27, New York, coll. part.). À cette sollicitation insidieuse du personnage (qui révèle combien l’expressionnisme abstrait est ambigu), de Kooning céda beaucoup plus. Le thème de la femme, traitée fort irrévérencieusement, est une constante de son œuvre ; s’y mêlent des réminiscences nettement picassiennes, jointes à un « lâché » des contours à la manière de Gorky, dont il avait un moment partagé l’atelier (Femme à la bicyclette, 1952-53, New York, Whitney Museum).

Chez les autres peintres ayant participé, entre 1948 et 1960 environ, à l’expressionnisme new-yorkais (qui n’a guère d’équivalent en sculpture), la référence à l’abstraction l’emporte nettement. Robert Motherwell, de bonne heure associé à eux, mais plus cultivé, moins instinctif que Pollock et de Kooning, est rapidement parvenu à un équilibre formel voisin de l’abstraction classique et qui annonce déjà les lendemains de l’expressionnisme abstrait. Une suite capitale de ses tableaux est intitulée Élégie pour la République espagnole (à laquelle a succédé plus récemment une Élégie irlandaise) ; elle est traitée en grands contrastes clairs et sombres, et cette rigueur — adaptée à un thème politique qui n’a rien perdu de son actualité — est une manière de réponse au pathétique picassien. Franz Kline, proche de Motherwell par le goût du noir et blanc, s’en distingue en revanche par sa facture plus explosive, où de grandes balafres noires sillonnent la toile en tous sens afin de restituer des équivalents abstraits et expressifs des spectacles enregistrés par l’artiste (Neuvième Rue, 1951, New York, coll. part.). Quant à Barnett Newman (1905-1970), s’il se rallia à l’expressionnisme abstrait, il s’en distingua immédiatement par son souci de structure, réalisée en juxtaposant de vastes champs colorés, par son attitude méditative et sa prédilection pour le symbolisme mystique — caractères qui ont fait de lui un des maîtres les plus écoutés de la jeune génération américaine. Les autres peintres affiliés au courant expressionniste des années 50 (Rothko*, Clyfford Still [né en 1904], Adolph Gottlieb [1903-1974], William Baziotes [né en 1912], Philip Guston [né en 1913]) y découvrirent surtout un moyen de dépasser le problème de la figuration européenne, expressionniste ou surréaliste, comme celui de l’abstraction trop dogmatique de Mondrian : chacun put se constituer un style et adapter à son tempérament une façon particulière de peindre. Cet individualisme « existentiel », s’il demeure bien conforme au génie foncier de l’expressionnisme, ne devait pas tarder à susciter une violente réaction, celle du pop’art*.


Derniers avatars européens (1955-1970)

L’expressionnisme abstrait était difficilement présentable en Europe à cause de l’ampleur des formats. Les peintres européens le découvrirent à la faveur de leurs voyages aux États-Unis (New York attira désormais autant que Paris) ou par les reproductions. L’abstraction française, qui triompha entre 1950 et 1960, laissait peu de place à l’expressionnisme. Ce sont quelques étrangers qui, en territoire parisien, ont maintenu l’expressionnisme : Appel (qui se rendit à New York en 1957) et Jorn en particulier. Le seul peintre français qui ait alors témoigné, avec plus d’harmonieuse mesure, d’un souci d’expression analogue est probablement Paul Rebeyrolle (né en 1926) avec ses figures originales des années 1956-57 (l’Homme à la cigarette, Paris, coll. part.), sorte de réponse courtoise à la suite contemporaine de W. de Kooning. Le cas du Belge Émile Hecq (né en 1924) est curieux : après des débuts parfois très proches de Cobra, la découverte de Picasso stimula chez lui, à l’instar des Américains, une prise de conscience expressionniste qui interféra rapidement, entre 1954 et 1956, avec la tradition narrative du Nord, au profit d’une peinture de très grands formats sur des thèmes à la fois épiques et burlesques (les Mauvais Juges, 1955, Paris, coll. part.).

Les choses changèrent quelque peu vers 1960, quand la saturation du marché de l’abstraction et l’avènement du nouveau réalisme* semblèrent redonner leur chance à d’autres tendances. Une « nouvelle figuration* » naquit donc, trop souvent inspirée des beaux jours de Cobra. Quelques tempéraments puissants se sont dégagés et imposés : le Suédois Bengt Lindström (né en 1925), l’Anglais John Christoforou (né en 1921) et surtout l’Espagnol Antonio Saura (né en 1930). La révélation du peintre anglais Francis Bacon*, exposé pour la première fois à Paris en 1957, a cautionné cette résurgence expressionniste. Mais ces réussites isolées, fort diverses au demeurant, prouvent bien que les grandes convergences historiques sont actuellement révolues dans ce domaine. Bacon a tiré excellemment parti de l’espace du tableau abstrait, dans lequel il place ses personnages en situation pénible, triste ou incongrue — reflet du quotidien contemporain —, tandis que son talent de portraitiste révèle et dérobe à la fois un visage en le soumettant à une « défiguration » (pour reprendre un terme de Jorn) semblable à celle que renvoient les miroirs faussés.

M.-A. S.

L’architecture*

Y a-t-il une architecture expressionniste ? La question a été souvent éludée : l’expressionnisme apparaît surtout comme un art littéraire ou pictural, dont la transposition dans le langage de l’architecture ne s’est pas faite aisément. Depuis quelques années, pourtant, la notion d’expressionnisme en architecture s’est trouvée remise en honneur : la tendance a été alors d’englober sous ce terme la totalité des mouvements extérieurs au fonctionnalisme, depuis l’Art* nouveau jusqu’à l’architecture organique. Une telle extension de sens est quelque peu abusive, et l’on se doit de ramener le mouvement à un cadre plus étroit.