Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Le théâtre

Comme la poésie, le théâtre se développe surtout au xxe s. Eugène O’Neill* (1888-1953) est le premier grand dramaturge américain. Dans ses huis clos, la symbolique sexuelle et l’analyse sociale combinent leur fatalité : The Hairy Ape (1922), Desire under the Elms (1924). Le deuil sied à Électre (1931) est une trilogie sudiste d’inspiration classique. Si l’on excepte T. S. Eliot, naturalisé britannique, les autres grands dramaturges sont Thornton Wilder (The Skin of our Teeth, 1942), Arthur Miller*, qui, dans Mort d’un commis voyageur (1949), montre une inspiration plus « engagée », et Tennessee Williams* (la Ménagerie de verre, 1944 ; Un tramway nommé Désir, 1947), chez qui les frustrations profondes s’expriment avec une luxuriante rhétorique sudiste. Avec Edward Albee* (Who’s Afraid of Virginia Woolf, 1962), le théâtre devient acte d’agression et oblige le spectateur à participer à un malaise. Entre le théâtre engagé et le théâtre de l’absurde, Albee propose un théâtre de l’inquiétude, de la « disturbance », qui est le ton dominant de la littérature américaine contemporaine.


Les contemporains

La période contemporaine donne une impression de confusion. Les critères esthétiques et politiques de la période précédente ne permettent plus de classement net. L’impression dominante est celle d’une inquiétude, d’une contestation radicale, où certains voient même le prélude d’une « révolution américaine ». Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, le complexe technico-militaire américain apparaît à Norman Mailer*, James Jones* ou Joseph Heller comme le symbole d’une société répressive dans un monde absurde. Le consensus social américain semble menacé, chaque groupe ethnique créant sa propre littérature : littérature juive, noire, portoricaine. Des beats aux hippies, des panthères noires aux weathermen, la dissolution politique semble, pour certains, aboutir à une dissolution même de la littérature, débordée par les mass media dont Marshall McLuhan annonce la victoire sur la civilisation écrite de la « Galaxie Gutenberg ».

En réalité les choses sont plus complexes. La littérature américaine n’a jamais été si vivante, si bien connue dans le monde. L’Amérique est le plus gros marché littéraire. Les droits de reproduction en livres au format de poche, en films, en feuilletons de télévision atteignent des sommes énormes : la littérature est devenue un « business », capable de récupérer toutes les outrances. Les écrivains les plus contestants sont souvent, comme Norman Mailer, les plus payés. Une énorme paralittérature de romans policiers, feuilletons sentimentaux, science-fiction, bandes dessinées se développe. Les « best-sellers » traditionnels, de Margaret Mitchell (1900-1949) à Pearl Buck (1892-1973), se vendent bien, et la relève du genre est assurée, comme le montre le succès de Love Story (1970) par Erich Segal. La littérature américaine, malgré les apparences, est plus vivante que jamais. Mais, moins que jamais, elle n’est un objet académique, manipulée par des clercs. La littérature américaine est dans la vie, pour changer la vie, animée par la tradition libérale et contestante.

La guerre, la domination américaine, la rivalité soviétique, la croissance des pouvoirs de l’État fédéral, tout entraîne une crise du libéralisme américain, au moment où les espoirs un moment fondés sur le socialisme s’effondrent. Consciente du désarroi, la littérature américaine contemporaine cherche des solutions nouvelles à un problème nouveau. Elle est très « engagée » ; mais ce mot n’a pas la même signification politique que pour la génération précédente. On peut distinguer plusieurs grandes lignes de développement.

D’abord, après Faulkner, une renaissance de la littérature sudiste, avec Allen Tate (né en 1899), William Styron* (Lie Down in Darkness, 1951), Flannery O’Connor (1925-1964), Carson McCullers* (The Heart is a Lonely Hunter, 1940), Wright Morris, Katherine Anne Porter*, Heather Ross Miller. Ce mouvement prend souvent un aspect intemporel de repli sur des valeurs traditionnelles, voire intégristes. Le repli, dans le désarroi, prend parfois des formes plus esthétiques ; autour du New Yorker s’est formée une école de néo-dandysme, où le « style » est souvent une façon de cacher l’angoisse : Salinger* (l’Attrape-Cœurs, 1951), J. Thurber (1894-1961), R. Benchley (1889-1945), J. O’Hara (1905-1970), Philip Roth* (Portnoy’s Complaint, 1969), Herbert Gold, James Purdy. John Updike* (Cœur de lièvre, 1960 ; Couples, 1969) est lui aussi un styliste d’abord, qui dissimule sous la rhétorique une inquiétude spirituelle, non sans une nostalgie du puritanisme. Une autre tendance au contraire, rompant à la fois avec l’esthétique et l’establishment américain, reprend la tradition anarchiste de Thoreau et de Henry Miller* (Tropique du Cancer, 1934), pour partir « sur la route » comme des clochards. Avec les beats, puis les hippies, la littérature devient « happening » : Kerouac, Ferlinghetti, Trocchi, William Burroughs* (The Naked Lunch, 1959), A. Ginsberg, Gregory Corso témoignent autant qu’ils écrivent. Tentée par une rupture, de nature mystique et surréaliste, la littérature se quitte pour devenir manifestation (v. beat generation).

Sous ses excès, on retrouve la tradition de « protest » libéral. Au pays de la liberté, on s’interroge toujours sur le bien-fondé de tout. Cette même mise en question libérale s’exprime de façon plus classique chez Mary McCarthy, Susan Sontag, Warren Miller ou Robert Lowell. La société de tolérance, née de l’abondance, se propose de libérer tous les opprimés. Le minoritaire, noir, juif, drogué, devient le héros d’« anti-success stories ». Bien des romanciers contemporains sont délibérément des écrivains juifs, parce qu’ils déchiffrent dans la condition juive le drame de l’aliénation de la « foule solitaire » où chacun est le métèque d’autrui : Bruce Friedman, Ivan Gold, Malamud* (The Assistant, 1957), Norman Mailer (An American Dream, 1964), Salinger, Saul Bellow* (Augie March, 1953 ; Herzog, 1964), Philip Roth. Mais les distinctions ethniques ne doivent pas faire illusion. Les écrivains noirs sont nombreux, mais il n’y a que peu de rapports entre l’inspiration libérale de James Baldwin (Another Country, 1962), Ralph Ellison (Invisible Man, 1952), Langston Hughes (1902-1967) et les textes violents et agressifs de LeRoi Jones.