Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

États-Unis (suite)

Dans des romans moins « réalistes » mais aussi critiques, Edith Wharton (1862-1937) expose l’aliénation des classes aisées et de la « société frivole » (The House of Mirth, 1905 ; The Custom of the Country, 1913). Ellen Glasgow (1874-1945) montre la destruction du Sud par l’industrie, comme la romancière Willa S. Cather (1876-1947) le fait pour d’autres régions. En ironiste grand-bourgeois, Henry Adams (1838-1918), dans son autobiographie The Education of Henry Adams (1907, publié en 1918), exprime un pessimisme partagé par H. L. Mencken (1880-1956).


L’entre-deux-guerres (1919-1942)

Cette tradition de réalisme critique se poursuit après la guerre. Sinclair Lewis* (1885-1951) décrit l’aliénation des classes moyennes dans Main Street (1920) et dans Babbitt (1922), satire de l’Américain moyen infantilisé par la société de consommation et le conditionnement publicitaire. Le premier prix Nobel américain de littérature consacre paradoxalement en Lewis un romancier satirique des valeurs traditionnelles américaines.

Mieux que le roman social, vite daté, le nouveau roman policier américain reflète la transformation du Nouveau Monde en jungle de macadam et impose au monde entier un style et un rythme littéraires nouveaux. Ce roman est le produit à la fois du cinéma et de l’âge d’or du gangstérisme que fut la prohibition. Dashiell Hammett (1894-1961), dans le Faucon maltais (1930), propose le prototype d’un roman policier noir, imité dans le monde entier, jamais égalé. Au lieu de déduction, une action violente. La lecture devient spectacle, le raisonnement, aventure. Le « béhaviorisme » du cinéma muet inspire les faits et gestes de cette violence, et une nouvelle esthétique laconique de l’ellipse, qui débouche sur une éthique de l’absurde.

Le développement des mass media (cinéma, radio, journalisme), l’émancipation des années 20, les nouveaux rythmes du jazz entraînent des transformations profondes en quantité et en qualité. Le roman emprunte au cinéma des techniques de narration et de description nouvelles, plus objectives, plus elliptiques, plus rapides. Parallèlement à ces influences, une esthète comme Gertrude Stein* (1874-1946) opère une révolution dans la prose, dont l’influence, à travers Hemingway, s’étend aux nombreux écrivains américains qui ont fui la prohibition en s’installant à Paris. Les recherches de Joyce, les tendances nouvelles des arts plastiques (cubisme) enseignent à la littérature le monologue intérieur, le discontinu, les techniques du collage, que pratique John Dos* Passos (1896-1970), en particulier dans sa trilogie U. S. A. (1930-1936), dont le montage unanimiste est moins une technique de roman « impersonnel » qu’une révélation de l’absurdité du monde contemporain. Dans un style plus traditionnel, Sherwood Anderson* (1876-1941) expose avec humour la frustration et l’inhibition de la vie provinciale américaine (Winesburg, Ohio, 1919). Cette aliénation, le jeune Thomas Wolfe* (1900-1938), influencé par Joyce, l’exprime avec lyrisme dans ses romans autobiographiques (Look Homeward, Angel, 1929 ; Of Time and the River, 1935).

La guerre, puis la prohibition, enfin la crise économique sont vécues par cette « génération perdue » comme les signes apocalyptiques d’un univers absurde et condamné. L’inquiétude de tous ces sad young men (jeunes gens tristes), on la déchiffre dans l’humour noir de Nathanael West (1903-1940) et surtout dans l’œuvre romantique de ce Musset des « années folles » que fut Scott Fitzgerald* (1896-1940), dont les nouvelles et les romans (The Great Gatsby, 1925 ; Tender is the Night, 1934) sont la meilleure expression de la « génération perdue ». Dans leur désarroi, d’autres écrivains se tournent vers le socialisme : James T. Farrell (né en 1904) dans sa trilogie de Studs Lonigan, Erskine Caldwell* (né en 1903) dans ses mélodrames sudistes (le Petit Arpent du Bon Dieu), John Steinbeck* (1902-1968) dans les Raisins de la colère. L’idéologie date déjà ces œuvres, alors que Fitzgerald, Hemingway et Faulkner résistent mieux au temps.

Ernest Hemingway* (1899-1961) apprit dans la pratique du reportage une prose directe, précise, elliptique qui contraste avec le romantisme de son inspiration et met en valeur un cynisme désenchanté pour qui la suprême valeur est le courage dans l’affrontement de la mort. Le soleil se lève aussi (1926) évoque la dislocation de la génération perdue ; l’Adieu aux armes, son meilleur roman, est l’histoire d’un amour en quête de sens et d’ordre dans un monde en guerre. Après avoir connu la tentation « socialiste » (En avoir ou pas, 1937 ; Pour qui sonne le glas, 1940), Hemingway est revenu avec le Vieil Homme et la mer et ses derniers romans à un art où l’ellipse et la litote sont une leçon de virilité et de courage désabusé.

Au contraire de l’œuvre cosmopolite de Hemingway, William Faulkner* (1897-1962) fonde dans le comté imaginaire de Yoknapatawpha un microcosme sudiste où le temps semble figé, les hommes pétrifiés par la guerre civile qui est le symbole du péché originel et de la terre damnée (le Bruit et la fureur, 1929 ; Tandis que j’agonise, 1930 ; Lumière d’août, 1932 ; Absalon ! Absalon ! 1936).


La poésie entre les deux guerres

Cette terre damnée, Thomas Stearns Eliot* (1888-1965) en a révélé la stérilité et le désespoir dans le poème dominant la période : The Waste Land (1922). De Prufrock (1917) aux Four Quartets (1943), T. S. Eliot apparaît comme le plus grand poète et dramaturge américain, au moins jusqu’en 1927, où il choisit, comme Henry James, la nationalité britannique. Robert Frost* (1874-1963) assure la transition vers une version américaine et moderne de la pastorale. Carl Sandburg (1878-1967), dans ses Chicago Poems (1916), révèle la révolution poétique qui s’accomplit à Chicago autour de la revue Poetry. Les imagistes (Hilda Doolittle [1886-1961], J. G. Fletcher [1886-1950], Amy Lowell [1874-1925], Ezra Pound), dans leur manifeste Des imagistes, An Anthology (1914), déplacent l’accent du fond sur la forme : précision des images, perfection de la rhétorique. Leur influence se fait sentir dans les poèmes de William Carlos Williams (1883-1963), de Marianne Moore (1887-1972), de Hart Crane* surtout (1899-1932), dont White Buildings (1926) et The Bridge (1930) ont une intensité rimbaldienne. Les Cantos d’Ezra Pound* (1885-1972), commencés en 1916, sont l’œuvre poétique la plus ambitieuse du siècle, un voyage épique à travers la culture en quête d’une unité dantesque.