Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Estonie (suite)

L’industrialisation a fait appel en un premier temps aux ressources du sol. Les villes moyennes de l’intérieur, comme Tartou (90 000 hab.), filent et tissent le lin et la laine, travaillent le bois. Le petit port de Piarnou est un centre de conserveries de poisson. Les schistes bitumineux de Kokhtlalarve alimentent une industrie chimique le long de la côte. C’est surtout l’arrivée de gaz naturel par le gazoduc en provenance du Second-Bakou (entre Oural et Volga) qui doit stimuler l’industrie de Tallin. Vieux pays, de population cultivée, offrant une main-d’œuvre qualifiée, l’Estonie, comme les autres États baltes, se spécialise dans la fabrication d’appareillages pour l’industrie métallurgique et électrique (excavateurs, transformateurs, matériel d’extraction minière et d’hydrocarbures, appareils électroménagers, etc.).

La population garde une certaine particularité. D’origine finnoise, elle parle la langue este, et ses coutumes ont été conservées. Toutefois, la partie orientale a été russifiée déjà au temps des tsars : la ville de Narva, à la frontière de la république de Russie, est devenue russe de peuplement et de langue. En 1970, les Estoniens représentaient moins de 70 p. 100 de la population de la république (près de 75 p. 100 en 1959), et les Russes, près du quart (20 p. 100 seulement en 1959). Depuis l’annexion des États baltes s’est opérée une colonisation importante de cadres, de techniciens, d’intellectuels russes. La proximité de Leningrad en fait une grande banlieue de la seconde agglomération urbaine de l’Union. Mais Tartou, siège d’une université célèbre, fondée dès 1632, symbolise encore les traits originaux de la république.

A. B.


L’histoire

D’origine finno-ougrienne, les Estoniens apparaissent pour la première fois dans la Germanie de Tacite, qui les présente comme vivant sous un régime patriarcal. Les premiers envahisseurs du pays sont les Vikings. Unis contre ceux-ci, puis contre les Russes, qui, entre 1030 et 1192, multiplient les incursions sur leur territoire, les Estoniens doivent, au xiie s., faire face aux Allemands, qui introduisent le christianisme en Estonie. En 1217, les chevaliers Porte-Glaive écrasent les Estoniens. Mais le nord du pays et les îles restant libres, Albert Ier von Buxhœveden († 1229), en vue de parachever la conquête, s’allie au roi Valdemar II de Danemark, que l’on peut considérer comme le fondateur de Tallin (1219).

Partagés, sur arbitrage pontifical, entre Danois (côtes septentrionales) et Allemands, les Estoniens tombent tous, en 1346, sous la coupe allemande, les chevaliers teutoniques ayant éliminé les Danois de la zone nord. Dès lors, la Hanse contrôle les ports estoniens, tandis que les barons allemands s’approprient les grands domaines, réduisant les paysans au servage.

Au xve s. et au xvie s., le pays est la proie de nouveaux conquérants : les Polonais, qui se rendent maîtres de la Livonie après la défaite de l’ordre Teutonique (1561) ; les Suédois, qui, en 1558, s’installent dans le nord du pays, où ils doivent d’ailleurs repousser les incursions d’Ivan IV le Terrible. Au xviie s., la Suède étend son autorité sur toute l’Estonie, le traité d’Altmark (1629), consécutif à la première guerre polono-suédoise, ayant entériné l’effacement de la Pologne. Sous les Suédois, le sort de la masse paysanne, autochtone, est moins sacrifié qu’auparavant aux intérêts de la noblesse allemande. L’université de Tartou, fondée par Gustave II Adolphe en 1632 en vue d’établir aux portes de la « barbarie orientale » un « Temple de la pensée luthérienne », s’ouvre aussi aux fils de paysans.

L’ère suédoise — que la légende a quelque peu auréolée, compte tenu de ce qui va suivre — se clôt avec la première guerre du Nord (1700-1721) et le traité de Nystad (1721), qui fait passer l’Estonie sous le sceptre du tsar. Les Russes laissent s’étendre le servage et favorisent la puissance des barons baltes ; Alexandre Ier réagit cependant : le servage est aboli en Estonie par les lois de 1816-1819. En 1863, 1866 et 1868, les paysans estoniens bénéficient des mesures libérales prises par Alexandre II. Si bien qu’à la fin du xixe s., ils sont propriétaires des deux cinquièmes des terres. Cependant, la politique de russification menée par les tsars et la naissance d’un prolétariat urbain misérable dans les villes industrialisées provoquent la formation et le développement d’un mouvement nationaliste et le réveil de la littérature estonienne. En 1857, J.-W. Jannsen (1819-1890) fonde à Piarnou le premier journal estonien ; en 1869, à Tartou, a lieu le premier des festivals de chants nationaux, qui jouent un rôle primordial dans le réveil de l’âme estonienne. En 1878, Carl Robert Jakobson (1841-1882) lance le périodique Sakala, qui lutte pour l’égalité des droits entre Allemands et Estoniens.

Alexandre III réagit par une législation restrictive, favorable à la langue, à la culture et aux institutions russes. Les Estoniens répliquent ; le journal Teataja, fondé en 1901 par Konstantine Päts (1874-1956), se fait l’écho des revendications les plus radicales. La révolution manquée de 1905 en Russie durcit les positions. Jaan Tõnisson (1868-?) fonde alors le parti national libéral, qui organise le congrès de Tallin du 27 novembre 1905, où 800 délégués estoniens réclament l’autonomie pour leur pays et l’abolition de tous les privilèges féodaux. Mais Tõnisson, qui écarte les moyens violents, est débordé sur sa gauche par Jaan Teemant (1872-?), fondateur de la Jeune Estonie, qui appelle son peuple aux armes. La loi martiale, aussitôt établie par les Russes, favorise une répression brutale et sanglante : Teemant est condamné à mort par contumace ; une active émigration en Amérique du Nord et en Australie prive le pays de quelques-uns de ses meilleurs leaders.

À la faveur de la première Révolution russe, l’Estonie se soulève. Le 12 avril 1917, le pays se constitue en État autonome ; des élections à la diète nationale, dite « Maapaev », aboutissent à la constitution d’un gouvernement provisoire dont Konstantine Päts prend la tête (juill.-oct. 1917). Quand les bolchevistes deviennent maîtres de la Révolution en Russie, la diète estonienne décide de faire sécession (28 nov.). Les bolchevistes répliquent en instituant en Estonie un gouvernement communiste (8 déc.), dirigé par Jaan Anvelt (1884-1937) ; les barons baltes sont expropriés. Mais l’avance allemande en Estonie (févr. 1918) oblige Anvelt à évacuer le pays ; dès le 24 février, un gouvernement provisoire proclame l’indépendance de l’Estonie. À la suite du traité de Brest-Litovsk (mars 1918), un protocole signé à Berlin (27 août) fait passer les pays baltes de la souveraineté russe à la souveraineté allemande. L’effondrement du Reich (11 nov.) fait de l’indépendance de l’Estonie une réalité que les Soviets se refusent à entériner : le 28 novembre 1918, l’armée rouge envahit le pays. Mais, épaulés par la Finlande et par les Anglais de E. A. Sinclair, le colonel Johan Laidoner (1884-1952?) et les corps francs estoniens finissent par avoir raison des Russes (févr. 1919) ; il leur faut ensuite se débarrasser des troupes allemandes de R. von der Goltz (juin 1919). Finalement, par le traité de Tartou (2 févr. 1920), les Soviets renoncent à toute souveraineté sur l’Estonie, qui sera reconnue par les puissances le 26 janvier 1921.