Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

estampe (suite)

Après un anonyme, le Maître des cartes à jouer, c’est Martin Schongauer*, qui apparaît comme le premier grand nom de la gravure en creux. Il semble avoir atteint la maîtrise de son style de buriniste vers 1480. La vivacité des scènes, une sensibilité presque baroque dans les attitudes et la précision du détail caractérisent son œuvre. Vers 1480-1490 travaille le Maître du Hausbuch († apr. 1505), auteur d’une partie des illustrations d’un livre de raison conservé au château de Waldburg-Wolfegg. Il a le sens de l’instantané dans la scène de genre. Son Saint Sébastien est une des premières études directes de nu que connaisse la gravure occidentale.

Au sud des Alpes, c’est à Florence que naît la taille-douce, plus précisément par le talent de Maso Finiguerra (1426-1464), orfèvre qui pratiquait couramment la technique du nielle. On garde de lui une estampe d’une planche de métal représentant le Couronnement de la Vierge (l’estampe est à Paris et la plaque au musée du Bargello à Florence). D’autres œuvres, à sujets allégoriques, sont anonymes. Mais des personnalités plus marquées ne vont pas tarder à affirmer un esprit nouveau.


L’estampe de la Renaissance

Après la victoire de la technique, la sève et l’humour, le mouvement, la couleur locale apportés par le Nord, l’affirmation du culte de la forme appartient à l’Italie. L’harmonie, l’équilibre, la subordination du détail au tout sont autant de signes qui, accompagnés de réminiscences antiques, nous font pénétrer dans les temps modernes. Rien de ce qui fit l’esprit de la Renaissance ne fut étranger à l’estampe.

La découverte du corps humain et de ses proportions, servant elles-mêmes de canon à l’architecture, n’est pas une des moindres caractéristiques de cette époque. Ainsi faut-il considérer le Combattimento di nudi d’Antonio Pollaiolo* ; cette bataille d’athlètes, aux corps charpentés avec une assurance digne d’un artiste passionné de dissection, est la seule gravure qu’on attribue avec certitude (v. 1465-1470?) à Pollaiolo. Celui-ci aurait initié à la gravure au burin Mantegna*, qui réalisa sept planches vers 1460-1475, trois à sujets religieux et quatre à sujets profanes (les Bacchanales et les Dieux marins), où l’habileté de la représentation des volumes ne le dispute qu’au sens de la lumière. Ces planches furent copiées par Dürer.

Avec Marc-Antoine Raimondi (v. 1480 - v. 1534), buriniste et aquafortiste, naît l’estampe de reproduction. S’étant fixé à Rome (1509?), cet artiste fut remarqué par Raphaël, qui lui confia la reproduction de plusieurs de ses œuvres (la Mort de Didon, le Jugement de Pâris, le Massacre des Innocents), et joua ainsi le rôle de vulgarisateur de l’idéal classique.

Francesco Mazzola, dit le Parmesan*, fut l’initiateur du maniérisme en gravure. Son style est aisément reconnaissable à ses formes démesurément allongées, d’une élégance exacerbée, qui influencèrent fortement les artistes de Fontainebleau. Aquafortiste comme Marc-Antoine Raimondi, il tira de cette technique un parti fort différent, mais très conforme à la spontanéité qu’elle autorise, allant parfois jusqu’à une facilité excessive.

La synthèse des manières italiennes et septentrionales se réalisa progressivement, en premier lieu grâce à l’influence quasi universelle de Dürer*, maître du dessin sur bois, du burin et aussi de la pointe sèche, qu’il est l’un des premiers à utiliser. Dans le milieu allemand se distinguent son élève Hans Baldung-Grien*, amateur de sorcelleries, Lucas Cranach*, qui portraitura Luther, et le Suisse Urs Graf (v. 1485-1527/28), aux scènes de violence d’un dessin tourmenté. Albrecht Altdorfer* travailla en petits formats et fut le créateur du paysage à l’eau-forte. Hans Sebald Beham (1500-1550) est un peintre de paysanneries et un ornemaniste qui balança entre l’attraction de Dürer et celle de l’Italie.

Les Pays-Bas comptent à cette époque un nom important, celui de Lucas* de Leyde, qui a assimilé l’influence de Dürer sans s’y soumettre. Sujets bibliques, scènes rustiques et allégories révèlent ses qualités : luminosité, souplesse du dessin, sens de l’espace ; Lucas de Leyde apporte à la gravure la perspective aérienne. Plus tard, Hendrick Goltzius (1558-1617) sera le meilleur représentant du maniérisme italianisant.

En France, Geoffroy Tory (v. 1480 - v. 1533), humaniste, libraire et imprimeur, rénove la typographie à l’exemple de l’Italie et l’illustration du livre d’heures. Jean Duvet (v. 1485 - apr. 1561) est l’un des premiers burinistes originaux ; il est connu pour son Apocalypse figurée et son Histoire de la licorne. Ses compositions sont étranges, touffues ; la finesse des détails, le rendu des volumes révèlent son premier métier d’orfèvre du roi. Après lui, Étienne Delaune (v. 1519-1583), graveur à la Monnaie royale de Paris, a fourni un nombre considérable de dessins d’ornements et des reproductions d’après les maîtres de Fontainebleau.

Il convient de souligner le rôle capital que joua la gravure dans la diffusion du style Renaissance en France, l’ensemble décoratif réalisé par le Rosso* et le Primatice à Fontainebleau servant lui-même de modèle. Antonio Fantuzzi, élève de Mantegna, y avait enseigné la taille-douce à un groupe d’artistes français, parmi lesquels Jean Mignon, Léon Davent, René Boyvin — dont la gravure de la Nymphe de Fontainebleau s’approprie l’élégance maniérée du Rosso. La fortune considérable de ces planches contribua à reléguer le bois au second plan dans la production française de la seconde moitié du xvie s., sauf pour l’illustration.

Les illustrations de livres qui avaient du succès — ainsi les Métamorphoses d’Ovide du Lyonnais Bernard Salomon — étaient copiées ou imitées pendant des générations, non seulement par d’autres graveurs connus ou anonymes, mais dans tout l’art décoratif (ébénisterie, émaillerie).

Il n’y a pas toujours de modèle reconnaissable à l’origine de ces gravures anonymes ; ainsi, bien sûr, lorsque le thème en est nouveau. C’est le cas de la propagande des idées de la Réforme par l’estampe : les portraits des grands réformateurs, les caricatures antipapistes, la cruelle objectivité des chroniques de la Saint-Barthélemy, des exécutions, de la mise à sac des villes, toutes ces représentations avaient d’autant plus d’influence sur les mentalités que l’image était encore une rareté à l’époque.