Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

estampe (suite)

L’apparition de l’estampe

Où, quand et comment l’estampe apparaît-elle en Occident ? Le problème est loin d’être élucidé, le nombre des pièces qui subsistent aujourd’hui étant fort limité. Leur datation et leur localisation sont d’autant plus difficiles que l’anonymat fut de règle jusqu’au milieu du xve s.

On a attribué beaucoup des premières estampes à l’Allemagne. Sans doute est-il plus juste de les localiser, moins précisément, dans une région géographique correspondant à la vallée du Rhin et comprenant tous les riverains de ce fleuve — Suisses, Français, Allemands, Flamands, Hollandais. L’identité de style peut s’expliquer à la fois par l’internationalisme de l’art à cette époque et par des impératifs techniques semblables et très contraignants.

Le nom de xylographies est donné aux premières estampes réalisées en imprimant un bois taillé sur du papier. Pendant longtemps, on a soutenu que le travail de l’estampe avait une origine exclusivement religieuse. À cela deux raisons : la nature des images et le fait que l’Église était assez puissante pour résister à l’hostilité des corporations telles que celle des enlumineurs (v. miniature). Ceux-ci pouvaient considérer d’un mauvais œil la reproduction des images par l’impression. Cependant, il apparaît que la technique de l’estampe a pu susciter l’intérêt de ces corporations autant que leur méfiance. Ainsi, certains statuts de corporations de cartiers (fabricants de cartes à jouer) comportent le droit de fabriquer des images pieuses ; tout un commerce et un artisanat laïc vivaient sans doute de l’estampe dès le milieu du xve s. (v. imagerie).

Les estampes considérées aujourd’hui comme les plus anciennes d’Europe ne sont guère plus d’une quinzaine, toutes à sujets religieux. On peut citer un Portement de Croix (à Paris), des scènes de la Vie de la Vierge, dont le Couronnement (à Munich). Le style de ces œuvres est assez comparable quant au dessin, aux figures de vitrail de la même époque. On prend souvent pour élément de comparaison le « bois Protat », grand fragment d’un bois gravé sur le thème du Calvaire, sans doute destiné à l’impression sur étoffes (v. 1375-1400). Les visages sont traités de manière rustique, mais le dessin des vêtements est assez souple.

Des repères plus précis sont fournis par l’apparition des livres illustrés, dont les plus anciens sont antérieurs à la typographie. Le texte comme l’illustration de ces incunables xylographiques sont gravés dans un même bloc. L’origine de l’illustration est difficile à établir. La notion de propriété d’auteur était alors inconnue ; les bois étaient rachetés et corrigés d’une édition à l’autre, et cette circulation était internationale. Le musée de l’Imprimerie de Lyon possède plusieurs bois identiques sur le thème du Jugement dernier, utilisés par trois imprimeurs différents.

Parmi ces incunables xylographiques, l’Apocalypse figurée apparaît en France et aux Pays-Bas entre 1400 et 1430, et l’Ars moriendi (l’Art au morier) en France vers 1450 et en Allemagne vers 1470. Les Bibles des pauvres et le Speculum humanae salvationis traitent de la correspondance entre l’Ancien et le Nouveau Testament, établissant une typologie iconographique qui resta en usage pendant plus de trois siècles ; ces ouvrages sont édités aux Pays-Bas et en Allemagne entre 1460 et 1470.

Les incunables typographiques apparaissent en Allemagne (Der Edelstein, recueil de fables, 1461), en Italie (les Méditations du cardinal Torquemada, 1467), en France (le Mirouer de la rédemption de lumain lignaige, 1478) ; remarquons que ces deux derniers livres sortent d’ateliers ouverts par des imprimeurs allemands.

Les illustrations italiennes ne tardent pas à se distinguer par des bordures où apparaissent des éléments de décoration à l’antique. Le contexte local était suffisamment puissant pour contrecarrer l’influence allemande, d’abord prépondérante.

L’illustration française connaît un essor rapide après 1481, date de parution des missels de Paris et de Verdun, imprimés par Jean Dupré, auquel on doit aussi un livre traduit de Boccace, De la ruyne des nobles hommes et femmes. Avec Guy Marchant, Pierre Le Rouge, Antoine Vérard, le livre illustré embrasse des domaines très variés. Le dernier de ces imprimeurs s’intéresse à la chevalerie, à l’histoire, à la Légende dorée. Guy Marchant, lui, publie les « best-sellers » que furent la Danse macabre et la Danse macabre des femmes (1485-1486) — qui deviennent la Danse macabre des hommes et des femmes (1499) —, ainsi que le Compost et Calendrier des bergers (1491) et des bergères (1499), ouvrages naïfs et moralisants illustrés de scènes de la vie rustique et répandus dans la France entière. L’invention du livre d’heures semble française. Antoine Vérard († v. 1513) s’y distingue particulièrement, en gravant sur des blocs minuscules les scènes des deux Testaments, mais aussi la Légende dorée, le calendrier des travaux des mois, destinés à expliquer le texte dans les marges. Le style de toutes ces œuvres apparaît souvent comme un compromis entre la verve des pays nordiques et le souci de beauté formelle — sensible en particulier dans l’architecture des pages — venu d’Italie.

Les vingt dernières années du xve s. voient se développer les réalisations allemandes. Parmi celles-ci un livre original, les Sanctae Peregrinationes de Bernhard von Breydenbach († 1497), récit d’un pèlerinage en Terre sainte assorti de scènes de mœurs et de paysages de villes qui étaient alors des nouveautés (Mayence, 1486). La Chronique de Nuremberg (1493) compte plus de 1 800 images, dont un bon nombre sont de Michael Wolgemut (1434-1519), un des maîtres de Dürer.

Les pays du Nord, en cette fin du xve s., voient naître l’art de la taille-douce dont les premières manifestations se situent dans le temps autour de 1430 (Passion conservée à Berlin) et dans l’espace entre la Suisse et les Flandres, toujours suivant le même axe rhénan. L’invention semble sortir en droite ligne des ateliers d’orfèvrerie. En tout cas, elle prit rapidement le pas sur les essais de gravures en relief sur métal, réalisées selon le même principe que les xylographies (avec des demi-teintes obtenues par le procédé du criblé).