Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

estampe (suite)

Le xviie siècle et le triomphe de la taille-douce

Seuls les Flandres et les Pays-Bas — avec l’étonnante personnalité d’Hercules Seghers*, précurseur, en un sens, de l’abstraction « informelle », avec Van Dyck* et les graveurs de Rubens*, avec le génie hors pair de Rembrandt*, qui rend picturales les techniques de l’eau-forte et de la pointe-sèche — peuvent alors entrer en concurrence avec la France, où tous les genres sont illustrés.

Malgré la réglementation qui pesait sur le corps de métier des graveurs, le passage d’un statut d’artisan à celui d’artiste a sans doute joué un rôle de stimulant. On demandait à un graveur, outre des connaissances pratiques touchant à tous les arts graphiques, une culture classique, nécessaire à l’illustrateur virtuel, et des notions de géométrie et de mécanique. La naissance de l’Académie — les graveurs importants en font presque tous partie — ne fit qu’accentuer ces exigences. L’apprentissage commençait tôt : un enfant pouvait entrer vers treize ou quatorze ans dans l’atelier d’un graveur en qualité de « serviteur et apprenty » ; il y était nourri, logé, vêtu et enseigné.

L’eau-forte est représentée par deux Lorrains : le maniériste Jacques Bellange (1594-1638) et Callot*, qui donne des heurs et malheurs de son temps une représentation animée, foisonnante et d’une extrême précision. Chez ces deux artistes subsiste l’esprit du travail au burin, beaucoup plus lent, dont les eaux-fortes d’Abraham Bosse* sont presque le pastiche ; François Chauveau (1613-1676) se montre un narrateur d’une imagination débordante ; Israël Silvestre (1621-1691) est l’héritier de Callot.

C’est le burin lui-même qui, le plus souvent, se perpétue et triomphe chez les esprits précis et raisonneurs que sont les graveurs de l’époque classique. Non que ce triomphe se fasse au profit de l’uniformité. On s’en rend compte en comparant l’œuvre de Claude Mellan (1598-1688), qui travaille en tailles parallèles dont il module l’épaisseur, à celle de Robert Nanteuil (1623-1678), qui les emmêle et les croise au point d’imiter un fond pictural. Le premier est célèbre par ses portraits et surtout pour un morceau de bravoure, la face du Christ gravée en une seule taille se déroulant en spirale à partir du nez. Robert Nanteuil est le graveur le plus célèbre de la seconde moitié du siècle. Presque exclusivement portraitiste, souvent d’après nature, ou reproduisant Le Brun, Mignard et Philippe de Champaigne, il a pour modèles Mazarin, Turenne, Colbert, Anne d’Autriche, onze fois Louis XIV, magnifiquement traité dans le portrait dit « aux pattes de lion ». Sébastien Le Clerc (1637-1714), auquel on attribue près de 3 500 pièces, a un burin très léger et fait évoluer la gravure vers le tout petit format. Sa Construction de la colonnade du Louvre est un chef-d’œuvre de composition malgré la précision du détail.

Gérard Edelinck (1640-1707), Anversois d’origine, traduit Le Brun et Philippe de Champaigne. D’une précision extrême, son métier est comparable à celui de Gérard Audran*. Chez celui-ci, l’alliance du burin et de l’eau-forte est très étroite ; ayant fait son apprentissage à Rome, la célébrité lui vint avec les Batailles d’Alexandre, suite reproduisant les toiles de Le Brun. Ici, la science de la lumière, la fougue contenue par la solidité architecturale montrent que l’estampe de reproduction elle-même peut atteindre au chef-d’œuvre.

L’importance des aquafortistes-ornemanistes fut considérable pour la propagation du style Louis XIV. Citons le nom de Jean Marot (1619? - 1679) et surtout celui de Jean Le Pautre*, qui a poussé plus loin que tous ses contemporains, dans ses frises de guirlandes et de rinceaux, le sens de la vie du décor. Jean Ier Berain*, un peu plus tard, donnait aux fêtes de la Cour tout leur éclat baroque. Ces fêtes, comme les exploits militaires du règne, sont décrites à l’Europe entière par les recueils du Cabinet du roi. Un atelier de gravure existe aux Gobelins, d’où le « grand goût » est imposé à tout le royaume. Enfin, parce que du roi dépendent les autorisations d’imprimer, les pensions et les séjours à l’école de Rome, l’estampe, comme les autres arts, est dans sa main.

La taille-douce

On désigne par ce terme un procédé d’impression en creux qui est venu de l’orfèvrerie. Dès le xe s., on coulait dans les parties incisées d’une pièce d’orfèvrerie un émail noir qui en accusait le dessin. On donne le nom de nielle à cet émail, de même qu’à l’estampe obtenue en appliquant une feuille de papier sur l’objet niellé. De ce point de départ évoluèrent différentes techniques.

La gravure au burin

Le dessin est tracé en creux sur une plaque de métal — le cuivre étant le plus employé. On nomme tailles les lignes tracées en poussant le burin presque horizontalement sur le métal. Les volumes sont représentés soit par le resserrement de tailles parallèles, soit par le croisement des tailles. La gravure au burin donne des images extrêmement précises, particulièrement appropriées au portrait, à l’illustration d’ouvrages didactiques et à la reproduction.

La gravure à la pointe sèche

Le métal est griffé à l’aide d’une pointe qui produit un effet d’arrachage, soulevant sur les bords du sillon ce qu’on nomme des barbes. Celles-ci retiendront l’encre tant qu’elles n’auront pas été écrasées par les impressions successives, donnant aux noirs des premières épreuves un velouté et une profondeur très recherchés.

La mezzotinte, ou manière noire

Elle permet d’obtenir un fond d’un noir moyen, velouté, en travaillant d’abord l’ensemble de la planche au « berceau », lame courbe garnie d’aspérités très serrées. Les demi-teintes et les blancs sont obtenus ensuite en supprimant partiellement ou complètement le grain du métal au « brunissoir » ou au grattoir. Inventé au xviie s., le procédé a été très employé en Angleterre par Reynolds*, pour faire reproduire ses portraits, et par Turner*.