Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

espèce (suite)

Parfois des circonstances particulières empêchent les échanges géniques entre les populations naturelles. Si l’obstacle dure assez longtemps, l’ensemble génique homogène tendra à se diversifier ; des traits dissemblables apparaîtront ; tant que les populations seront capables de se croiser librement, réellement ou potentiellement, elles constitueront toujours la même espèce. Si les croisements et, partant, les échanges géniques deviennent réellement impossibles, elles appartiendront à deux espèces différentes.

Dans une population composée de mâles et de femelles, et occupant une place plutôt restreinte, les échanges géniques s’effectuent et maintiennent un pool génétique homogène ; quelques allèles responsables du polymorphisme, par exemple, ne modifient pas cette homogénéité.

Sur des distances plus vastes, les échanges géniques changent ; l’intervention d’autres allèles peut entraîner des divergences génétiques se traduisant dans la morphologie.

Diversification et polymorphisme infraspécifiques

Individus et populations d’une espèce occupent une aire ; les conditions d’environnement y sont ou non homogènes. Dans l’hypothèse de fluctuations au sein du milieu, la nature mobile ou fixée des individus est un facteur important (adaptation, sélection). Acquisition ou perte de caractères, momentanées (somations sous la dépendance du milieu, variabilité) ou transmissibles (modifications géniques, variation), déterminent le polymorphisme, mais l’aptitude d’une espèce à s’adapter peut être liée à certaines qualités du génotype. L’introgression ou l’hybridation conduisent parfois à des infinités de phénotypes dont une hiérarchie systématique classique rend difficilement compte (Plantago) : des échanges de gènes ont lieu au niveau de populations monospécifiques locales. Tous ces faits, aux implications systématiques complexes, conduisent à réviser fréquemment la valeur fondamentale des unités décrites (taxons). En délimitant des catégories infraspécifiques, des degrés de diversification de moins en moins accentués justifient les unités suivantes sur le plan classificatoire :
sous-espèce : ensemble régionalement différencié, aux caractères discriminatifs constants, regardé souvent comme consécutif à la séparation des populations d’une même espèce (individus sympatriques ou non, interféconds ou non, ou féconds seulement par l’intermédiaire d’autres sous-espèces à ségrégation moins accentuée) ;
variété : subdivision assez vague (à l’échelle générale) qualifiant une modification morphologique distinctive, non nécessairement liée à l’isolement des populations (pouvant être omniprésente sur l’aire de l’espèce) ;
forme : groupes d’individus au niveau desquels apparaissent fortuitement une ou quelques modifications peu discriminatives du point de vue taxinomique (mais parfois à signification biologique ou écologique : aptitude à former des galles, à résister au feu ; existence de formes parasitaires, etc.).

Des distinctions, souvent appuyées sur l’expérimentation, se superposent plus ou moins aux précédentes :
race : population constituant des sous-espèces faiblement isolées, géographiquement ou sexuellement ;
espèces jumelles : entités morphologiquement peu ou non discernables, mais à comportement incompatible (exemples classiques chez les Vers parasites, chez les Lépidoptères) ;
clone : individus ou populations issus, sans intervention de phénomènes sexués, d’un même parent (on dit aussi biotype, syngénie, isogénie) ;
jordanon : entité systématique inférieure, à caractères distinctifs minimes, mais stables (culture), se rapprochant de la « lignée pure » ; cette « espèce élémentaire » (comme les « cultivars ») s’oppose au linnéon (« grande espèce ») ;
éco-espèces, écotypes : unités douées de continuité, dont divers caractères phénotypiques, physiologiques ou génétiques (par ex. polyploïdie) paraissent en rapport avec des limites d’extension et des conditions d’environnement déterminées ; l’accommodat aurait une valeur plus transitoire ;
-cline : suffixe qui indique une transformation dont on saisit origine et gradient (chronocline, écocline, ontocline, topocline, etc.) ;
-dème : suffixe qui désigne un ensemble de populations d’une ou de plusieurs unités taxinomiques classiques très voisines, au sein desquelles des gènes peuvent être échangés.

Des homologies de caractères ou des origines de variation communes conduisent à définir des unités correspondant ou contraires à la réunion de plusieurs entités de rang spécifique (espèce collective, grex, cœnospecies, rassenkreis, major species, cercle, etc.).

Conclusion

Définition des espèces et des unités subordonnées, conception du « niveau spécifique » laissent aujourd’hui une place notable aux critères de cytologie, de palynogie, d’embryologie, de chorologie, d’écologie, de paléontologie, de chimio-physiologie, de biologie moléculaire, de génétique expérimentale, etc. L’interprétation des corrélations de caractères (l’analyse en est facilitée par les ordinateurs), la traduction en diagrammes de dispersion, ou métroglyphes, permettent de mieux apprécier la signification des critères adoptés. Cette analyse ne se substitue pas à la pensée comparative du biologiste, mais elle l’aide. L’harmonisation de ces résultats avec ceux qui sont nés de la conception typologique des diverses unités (nécessaire référence internationale de définition en systématique et en nomenclature) demeure la base d’une connaissance plus précise des êtres vivants et de leur inventaire. Rappeler qu’une espèce, même la plus simple, représente un ensemble de mécanismes plus perfectionné que l’ordinateur le plus complexe permet de mesurer à quel grave problème répondent les tentatives de protection de chaque forme de vie.

G. G. A.


Deux catégories d’espèces

La définition moderne de l’espèce permet de reconnaître deux grandes catégories d’espèces : les espèces monotypiques et les espèces polytypiques.

Les populations naturelles qui constituent une espèce monotypique présentent exactement la même morphologie, les mêmes variations, les mêmes mœurs et exigent les mêmes conditions écologiques.