Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

Équateur (suite)

Le xixe siècle

• La guerre civile. En 1845, ce système d’arbitrage, exercé par des militaires étrangers entre les deux groupes maîtres de l’économie et de la société, s’effondre ; la réapparition de Flores, à la tête d’une expédition mal organisée par l’Espagne, déchaîne la guerre civile et provoque une réaction contre le « militarisme étranger ».

• Les libéraux : 1845-1859. Le libéralisme, fort de l’appui de Guayaquil (les commerçants et les planteurs sont partisans du libre-échangisme, qui va dans le sens de leurs intérêts), fait passer des mesures juridiques (libération des esclaves) qui ne changent rien à la réalité sociale du pays et ne modifient pas son bipartisme économique.

• Les conservateurs. De 1859 à 1875, l’Équateur connaît une solution originale sous la dictature progressiste et théocratique de Gabriel García Moreno (1821-1875), fils de riches commerçants de Guayaquil, libéral comme les hommes de sa classe, passé au catholicisme sociopolitique le plus intransigeant. Il lutte d’abord contre Flores, puis contre les militaires libéraux entre 1846 et 1859 et prend le pouvoir à la faveur de la guerre avec le Pérou. Après s’être appuyé sur l’aristocratie de Quito pour mater Guayaquil, García Moreno, président de la République de 1861 à 1865 et de 1869 à 1875, s’impose à elle et construit un État moderne qui lui permet, avec l’appui populaire, de museler les élites. Ce dictateur théocratique entreprend de moderniser et de civiliser son pays : des prêtres français sont chargés d’alphabétiser et d’éduquer à tous les niveaux ; l’armée est disciplinée et mise au service de l’État ; la grande entreprise, c’est la construction du chemin de fer Guayaquil-Quito, destiné à débloquer la Sierra.

En 1875, García Moreno est assassiné, et les conservateurs traditionnels prennent sa succession pour vingt ans. Ils abandonnent son style dictatorial, mais, en même temps, son progressisme. C’est l’oligarchie de la Sierra qui est au pouvoir. García Moreno, qui fut détesté et calomnié, a pourtant inspiré de l’admiration jusque chez ses ennemis, par son honnêteté absolue et par son dévouement à la cause publique.


Le xxe siècle

• 1895-1930 : libéraux et conservateurs. En 1895, le caudillo libéral Eloy Alfaro (1842-1912), fort de l’appui de la côte, renverse l’hégémonie des conservateurs de Quito pour laïciser l’État (Constitutions de 1897 et 1906). Le libéralisme autoritaire d’Eloy Alfaro, paralysé par les notables du parti, est obligé de se limiter à l’anticléricalisme et à l’exécration de la mémoire de García Moreno, tandis que demeurent inchangées les structures sociales du pays, dont la position internationale s’affaiblit : le libéralisme accentue la dépendance extérieure (monoexportation de cacao), tandis que les traités avec le Brésil et la Colombie, en 1904 et 1916, font perdre à l’Équateur 300 000 km2 en Amazonie (la moitié du territoire). À partir de 1924, le système fondé sur l’opposition libéraux-conservateurs est remis en question, et, en 1932, apparaît José María Velasco.

• Après 1932 : le vélasquisme. La permanence des problèmes nationaux (opposition côte-Sierra, monoexportation, sous-développement, ambitions du Pérou, qui annexe le tiers de l’Équateur en 1942) et l’incapacité des classes et groupes dirigeants à y remédier expliquent la pérennité du chef charismatique José María Velasco Ibarra (né en 1893). Représentant les forces politiques nouvelles qui refusent le jeu traditionnel appuyé par Guayaquil, Velasco se heurte à l’opposition des partis et de l’armée. Cinq fois porté au pouvoir à partir de 1934, il ne pourra mener à son terme qu’un seul de ses mandats (1952-1956) ; il sera renversé par l’armée en 1935, 1947, 1961 et 1972.

Quelles que soient ses tendances (conservateur en 1933, libéral et socialiste en 1944, vélasquiste depuis), le mouvement vélasquiste bénéficie toujours d’un courant de popularité lié à la personne du caudillo ; sans lui, il perd de sa force. Opposé aux partis, nationaliste intransigeant, respectueux des libertés démocratiques, Velasco a toujours été seul contre tous : les conservateurs, les libéraux, les étudiants, les officiers. Renversé en 1961, il est revenu au pouvoir en 1968, par la voie électorale, après que les militaires eurent fait la preuve de leur incapacité et que les civils eurent repris leurs féroces luttes de clans. Quarante ans d’agitation et de fracas ne dissimulent pas une stabilité désespérante : si Velasco est indispensable, c’est qu’il incarne la seule espérance de changement face aux partis identifiés à la défense des intérêts créés, face à des groupes révolutionnaires sans audience populaire. Il n’a pas pu détruire le régime seigneurial qui opprime les paysans indiens de la Sierra, ces serfs que l’on appelle huasipungos, il n’a pas pu diversifier l’économie de plantations de la côte, condamnée à la banane (il est renversé en 1961 parce qu’il cherche des marchés à l’Est). La vie politique reste limitée à Guayaquil.

En juin 1970, Velasco, pour prévenir un coup d’État, procède lui-même à son renversement pour assumer les pleins pouvoirs. De président constitutionnel, il devient dictateur, révélant ainsi le désespoir et la hâte d’un vieil homme fatigué, paralysé par la coalition des révolutionnaires et des immobilistes. De fait, le 15 février 1972, il est renversé par le général Guillermo Rodríguez Lara, lui-même démis par une junte militaire le 11 janvier 1976.

Le présent est incertain, et, comme le faisait dire le président Velasco par son ministre de la Guerre : « Le pays doit se socialiser, le peuple ne peut plus vivre dans l’incertitude et la misère. Le moment est venu d’être ou de ne pas être. »

J. M.


La population

La population, dont la densité dépasse 20 habitants au kilomètre carré, est caractérisée par une croissance très rapide. Le taux annuel moyen d’accroissement de 1942 à 1968 est de 3,2 p. 100, tandis que celui des dix dernières années atteint 3,4 p. 100, un des plus forts du monde. Il s’explique par un taux de natalité extrêmement élevé (45 p. 1 000) et par la diminution, lente mais constante, de la mortalité, malgré la faiblesse du niveau de vie rural. Cette population est composée essentiellement d’Indiens et de métis. Tandis que le métis s’adapte progressivement aux formes de la vie moderne, l’intégration de la masse indienne est beaucoup plus difficile. À la faiblesse du niveau de vie s’ajoute ici la structure de la propriété terrienne. Les grands propriétaires ont besoin, pour maintenir leur forme actuelle d’exploitation, d’une main-d’œuvre qui reste en dehors de l’économie monétaire. L’Indien ne reçoit effectivement en échange de son travail qu’un salaire dérisoire, l’essentiel restant pour lui le droit d’utiliser une parcelle de terre sur laquelle il installe sa cabane et pratique quelques cultures d’autosubsistance. Il est par ailleurs astreint à des corvées personnelles, l’endettement très lourd qu’il a contracté auprès du propriétaire l’attachant à la ferme. Cette masse indienne, analphabète, est un frein puissant à une éventuelle modernisation du pays. La population se répartit encore aujourd’hui en fonction des localisations traditionnelles. La montagne andine, occupant seulement 15 p. 100 de la superficie du pays, abrite 61 p. 100 de la population, tandis que la plaine côtière n’en abrite que 32 p. 100, et la plaine amazonienne 7 p. 100. Des migrations internes importantes tendent à modifier cette situation. Aux déplacements saisonniers qui dirigent chaque année plusieurs milliers d’habitants des régions andines vers les grandes fermes de cultures d’exportation de la plaine côtière s’ajoutent des tentatives d’installation définitive dans la plaine. Très nombreux entre 1940 et 1960, les paysans qui migrent occupent les terres libres de la zone littorale, qu’ils transforment en petite propriété plus ou moins marginale par rapport à l’économie moderne. Dans la plaine amazonienne, la colonisation des terres proches de la Sierra s’opère en dehors de toute intervention des services de l’État. Ces migrations sont nécessitées par l’augmentation considérable du noyau traditionnel de peuplement dans la montagne, qui impose une émigration vers les basses terres.