Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

Pour ce qui est de l’architecture, l’effort considérable de l’art ottonien s’est exercé sur les types d’édifices que lui proposait la renaissance carolingienne, mais en privilégiant nettement le plan basilical par rapport au plan centré pour les églises. Il reste peu d’édifices ottoniens à peu près intacts, si ce n’est de dimensions assez restreintes, comme l’église Sankt Cyriakus de Gernrode ; plus importante, en dépit de ses restaurations, est l’église Sankt Michael de Hildesheim. Dans le plan apparaissent des variations sur la partie occidentale, qui se présente tantôt comme une abside équilibrant celle de l’orient, tantôt comme un massif (« Westwerk ») pouvant prendre les dimensions d’une véritable prééglise ; variations aussi sur le transept, qui se double, comme à Hildesheim, et peut s’accompagner de tours. Cologne* développe une abside triconque à Sankt Maria im Kapitol et aux Sankt Aposteln. Les églises sont rarement voûtées, et, au-dessus des soutiens de grosseur souvent alternée, à chapiteaux en dés, s’étendent des surfaces lisses.

Si la sculpture de pierre est rare, on assiste à une floraison des arts métalliques et singulièrement du bronze. Les portes de la cathédrale d’Augsbourg* sont formées de plaquettes juxtaposées à motifs antiques, tandis que celles en bronze massif de la cathédrale d Hildesheim (début du xie s.) se distinguent par une verve étonnante, qui contraste avec le classicisme de la souche de cierge pascal coulée dans la même ville et inspirée de la colonne Trajane. Cet art des portes de bronze allemandes se poursuivra jusqu’au xiiie s. en Pologne et en Russie. L’époque ottonienne voit aussi la floraison du mobilier ecclésial et singulièrement des châsses, qui se produit sur tout le territoire compris entre la Meuse, le Rhin et la Moselle. Cologne et Trèves rivalisent. L’une des pièces majeures est l’antependium (musée de Cluny) donné par l’empereur Henri II à la cathédrale de Bâle, dont les figures d’or sur bois ont une pureté antique.

L’enluminure part des modèles carolingiens, mais les écoles ottoniennes — monastiques le plus souvent — sont beaucoup plus nombreuses, et l’influence byzantine croît, favorisée par l’impératrice Théophano, femme d’Otton II. Les fonds de pourpre à lettres d’or, la disposition des canons carolingiens ont subsisté, mais des représentations à personnages très soignées (scènes de l’Ancien Testament, évangélistes) sont venues enrichir le répertoire. L’un des principaux centres est celui du monastère de Reichenau, où sont également produites des reliures enrichies de pierres précieuses et d’ivoires. D’autres écoles, à Trèves, Echternach, Cologne, Hildesheim, Fulda, Ratisbonne, Salzbourg, Tegernsee, se distinguent par des styles divers. Rares sont les peintures monumentales qui subsistent (église d’Oberzell, à Reichenau).

Les cathédrales d’Empire marquent une étape nouvelle. Sur le Rhin, où les Saliens puis les Hohenstaufen ont succédé aux Ottoniens, se suivent les « Kaiserdome » qui, à l’exception de Cologne, ont conservé jusqu’aujourd’hui une partie de leurs caractères romans : Spire, Mayence, Worms (la plus tardive : 1181-1244), auxquelles il convient d’ajouter pour le style la cathédrale de Trèves et l’abbatiale de Maria Laach. Ces cathédrales appartiennent au système dit « lié », c’est-à-dire que les travées de la nef ont une longueur double de celles des collatéraux. Ce sont des œuvres monumentales à nombreuses tours, ayant souvent deux absides ornées de bandes lombardes. Celle de Spire a une remarquable abside à galeries ajourées ; fondée en 1030, elle ne reçut ses belles voûtes d’arêtes que vers le milieu du xiie s. À Cologne subsiste, endommagé, un ensemble unique d’églises de composition triconque. Les religieux rivalisent avec les empereurs, mais le monastère bénédictin d’Hirsau a été à peu près détruit. Ces édifices sont pauvres en sculpture de pierre qui leur soit liée organiquement. Une exception : l’église des Écossais à Ratisbonne, dont les reliefs d’applique, sur la façade, évoquent des réminiscences païennes.


Le gothique classique (« Hochgotik »)

Que l’architecture gothique ait été reçue de France, et assez tardivement, c’est ce qui n’est plus contesté. La cathédrale de Magdeburg, plus ou moins inspirée de celle de Laon, a sans doute été commencée en 1209 sous la direction de l’archevêque Albert II de Käfernburg, qui avait étudié à l’Université de Paris. Mais la réception complète ne se produit guère que vers le milieu du xiiie s. et n’aboutit pas à un ensemble comparable à celui des grandes cathédrales françaises. La cause la plus profonde en est peut-être dans l’idée différente que se faisaient du gothique les constructeurs allemands : ils prenaient tel ou tel élément, mais n’en déduisaient pas une structure logique et complète ; on notera, en particulier, leur hostilité aux arcs-boutants apparents. Les édifices gothiques ne sont ni très nombreux ni d’une importance capitale : Sankt Georg de Limbourg (1215-1235), Sankt Elisabeth de Marburg (1235-1283), Notre-Dame de Trèves (1242-1259), à chœur copié de Saint-Yved de Braine mais à plan centré, Sankt Peter de Wimpfen, commencé en 1269 et qualifié d’« opus francigenum ».

L’Allemagne est le seul pays qui le dispute à la France pour la grande sculpture gothique. Il s’agit moins, en général, de compositions architecture-sculpture, qu’interdit l’absence de vastes portails, que d’oeuvres plus dispersées, émanées d’ateliers dont les relations sont peu apparentes. À la cathédrale de Bamberg, des oeuvres apparentées à la sculpture de Reims (portail d’Adam, statues de la Visitation, et surtout le fameux Cavalier) succèdent sans transition aux puissants reliefs de la clôture du chœur (1225-1235). Les morceaux épars du jubé de Mayence et la Porte dorée de Freiberg sont également proches de la sculpture française. Les théories de Vierges sages et de Vierges folles, sur le modèle de la cathédrale de Strasbourg, seront populaires en Allemagne (Magdeburg et Fribourg-en-Brisgau). Cependant, le chef-d’œuvre de la sculpture gothique allemande est probablement constitué par les graves statues de donateurs qui se dressent dans un des chœurs de la cathédrale de Naumburg, à la fois individualisées et d’un style puissant.