Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Allemagne (suite)

L’art particulariste et bourgeois de la fin du Moyen Âge

La civilisation qui l’emporte au xive et au xve s. est à base mercantile et bourgeoise. L’architecture, en particulier celle des villes libres, dont la richesse s’est fabuleusement développée, est loin d’avoir la monumentalité et le caractère aristocratique du gothique classique ; on l’a baptisée « Sondergotik » (« gothique spécial », pourrait-on dire). Le type d’église en faveur est la « Hallenkirche », l’église-halle où les collatéraux ont la même hauteur que la nef. Différent des précédents poitevins, ce type présente en Allemagne l’aspect d’une salle à piliers grêles, aérée, très haute, où la différenciation en nefs orientées est à peine sensible. Dès le xiiie s., les quatre grandes cathédrales de Westphalie, Osnabrück, Münster, Paderborn et Minden, ont été reconstruites de la sorte. La Hallenkirche se répand largement en Bavière et en Franconie (église Sankt Georg à Dinkelsbühl) ; c’est en Hallenkirche que devait être construite à l’origine l’église d’Ulm, dont l’énorme tour est entreprise en 1392. À Prague, succédant au Français Mathieu d’Arras, travaille le Souabe Peter Parler (1330-1399), membre d’une famille qui répand le Sondergotik en Allemagne et en Bohême, et crée des églises d’une singulière originalité (Kutná Hora).

Une manifestation toute différente du Sondergotik est constituée par l’architecture de brique des régions septentrionales, singulièrement dans les pays colonisés par les Teutoniques : églises du Brandebourg, églises monastiques de Doberan ou de Chorin, cathédrales de Dantzig et de Lübeck. Si la brique ne se prête pas à la sculpture, elle est propre aux compositions de masses originales. On ne saurait omettre l’architecture militaire des Teutoniques et singulièrement le palais-forteresse de Marienburg (auj. Malbork), où le grand maître s’établit en 1309.

C’est vers le xive et le xve s. que les villes prennent la physionomie que leur ont reconnue les siècles. Nuremberg*, avant la Seconde Guerre mondiale, en était le chef-d’œuvre ; on peut en citer de plus petites, comme Rothenburg ou Dinkelsbühl, aux calmes rues bordées de pignons. De nombreux hôtels de ville sont entrepris à cette époque.

La sculpture fleurit, une sculpture un peu trop fouillée, à laquelle manque parfois le style du gothique classique. On retrouve ici les Parler (Belle Fontaine de Nuremberg), mais il faut attendre la seconde partie du xve s. pour assister à un renouveau de grande classe, qui se manifeste à Nuremberg avec deux artistes très opposés de tempérament, le robuste tailleur de pierre qu’est Adam Krafft (v. 1460 - v. 1508-1509) et le nerveux huchier Wit Stwosz* (v. 1440-1533). En Franconie également, mais installé à Würzburg, Tilman Riemenschneider* orne de ses retables la vallée de la Tauber. Dans la région rhénane, Hans Backofen (v. 1470-1519) semble viser, avec ses tombeaux d’évêques, à la puissance des statues de Naumburg.


Les peintres primitifs allemands

L’essentiel du xve s. est peut-être l’apparition, avec une diversité étonnante, de la peinture de panneaux dans toute l’étendue de l’Allemagne. Cologne a joui d’une réputation peut-être mensongère grâce à la douceur rêveuse du Maître de la Véronique (actif v. 1400) et de Stefan Lochner (v. 1405/1415-1451) ; l’école de Cologne tombe ensuite sous l’influence flamande avec les anecdotiers délicieux que sont le Maître de la Vie de Marie (actif v. 1460-1480) et le Maître de la Légende de sainte Ursule (actif v. 1500). Dans la première partie du xve s., la Westphalie possède Konrad von Soest (retable de Niederwildungen) ; les villes hanséatiques ont le dur Maître Bertram, de Minden (v. 1345-1415), et Maître Francke, dont le retable des Navigateurs se rapproche du style courtois international. La Souabe brille avec Lukas Moser qui, en 1431, a laissé une inscription désespérée sur le retable de Sainte Madeleine à Tiefenbronn. Du même pays vient Konrad Witz (v. 1400/1410-v. 1445), actif à Bâle de 1434 à sa mort, auteur de deux retables, dans les panneaux de l’un desquels il fait preuve d’une surprenante prescience de paysagiste en représentant le lac de Genève, tandis qu’ailleurs il montre des personnages impénétrables dans leur armure de fer, d’un puissant effet plastique. À Ulm, Hans Multscher (v. 1400-1467) se complaît dans une humanité grimaçante. Le plus proche de l’art italien est le Tyrolien Michael Pacher (v. 1435-1498), qui connaît assurément Mantegna et qui se prolonge par son disciple Rueland Frueauf (v. 1445-1507). Enfin, couronnant cette époque des grandes pestes, des lumières fulgurantes et aussi des extases, se détache l’art visionnaire de Matthias Grünewald* (v. 1470-1528).


La gravure

L’essor de la gravure au xve s. a doté l’art allemand de l’un de ses moyens d’expression préférés : gravure sur bois dont les estampes, à l’origine, se rassemblent en une imagerie populaire dans les « Blockbücher », gravure sur cuivre aristocratique qui s’apparente à l’orfèvrerie avec le Maître E. S., dont l’activité se situe de 1450 à 1467, et avec le Maître du Cabinet d’Amsterdam, aux estampes rarissimes. Le plus célèbre graveur, et celui qui a le plus marqué l’avenir, est l’Alsacien Martin Schongauer* (v. 1450-1491), beau peintre par ailleurs (la Vierge au buisson de roses). Ses planches vont d’un maniérisme grêle, d’un chiffonnage exquis à un véritable pathétique ; Michel-Ange a fait une copie du saint Antoine, composé comme un blason.


La Renaissance, âge d’or de la peinture allemande

Deux maîtres de vocation européenne se dressent au-dessus de la peinture allemande du xvie s. : Albrecht Dürer* (1471-1528) et Hans Holbein* le Jeune (1497-1543). Le premier a bénéficié dans sa patrie, Nuremberg, d’un apprentissage presque artisanal chez le peintre-graveur Michael Wolgemut (1434-1519). Esprit complexe, luthérien convaincu et ami des humanistes, il va du dessin bouillant de l’Apocalypse gravée sur bois (1498), qui se ressent encore du gothique, aux grandes formes denses des Quatre Apôtres (1526) qui le mettent de pair avec les maîtres italiens. Hans Holbein le Jeune n’a pas connu les mêmes inquiétudes. Il est sorti du milieu d’Augsbourg, où son père Hans Holbein l’Ancien (v. 1465-1524) s’était largement ouvert aux idées italiennes, et sa propre carrière s’est déroulée à Bâle, puis en Angleterre. Sa gloire est surtout due à ses portraits, dont la surprenante perfection n’est jamais chose morte.