Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

entrepreneur

Personne ou ensemble de personnes décidant des options stratégiques d’une entreprise.


L’entreprise sociétaire, essentiellement apparue en Europe occidentale et aux États-Unis à la fin du xixe s., celle où la personne de l’animateur se distingue de plus en plus de celle des apporteurs de capitaux, pose des problèmes relatifs à l’identité de l’entrepreneur dans l’entreprise. En fait, l’« entrepreneur » peut être le président-directeur général de la société anonyme, mais aussi une fraction influente du conseil ou deux ou trois directeurs techniques possédant des pouvoirs clés dans l’entreprise. On constate donc une certaine diffusion de la « fonction d’entrepreneur » dans l’entreprise.

Comme le fait notamment remarquer Raymond Barre, l’activité de l’entrepreneur se caractérise d’abord par certaines opérations qu’il assume au nom et pour le compte de l’entreprise à la tête de laquelle il se trouve :

• diagnostiquer une situation économique propre au moment de l’histoire dans laquelle évolue l’entreprise ;

• établir un plan d’action pour l’entreprise ;

• contrôler en cours de réalisation l’exécution matérielle du plan, constater les écarts et faire prendre les mesures correctes adaptées à la suppression de ceux-ci ;

• réaliser l’organisation et la structure de l’entreprise.

• Mais l’entrepreneur se caractérise encore par le fait qu’il assume des responsabilités et prend sur sa personne (et souvent sur ses biens) des risques, parce qu’il produit pour un marché (de biens ou de services) dont il ne peut connaître le comportement précis et qu’il aborde toujours en anticipant : son erreur peut entraîner des pertes financières pour l’entreprise, voire la faillite de celle-ci. Il faut seulement remarquer que, les missions du chef d’entreprise se distinguant de plus en plus de celles des détenteurs du capital, le chef d’entreprise mettra surtout en danger la pérennité de capitaux appartenant à autrui, et non pas les siens propres.

• L’entrepreneur se caractérise enfin par l’exercice d’une fonction d’autorité : il est essentiellement le chef — et souvent le chef unique — d’une unité de production. Il est donc détenteur d’un pouvoir de contrainte à l’égard de ceux qui, dans l’entreprise, lui sont assujettis. En tant que telle, son activité se distingue radicalement de celle des autres travailleurs de l’entreprise. Schumpeter l’avait dit naguère : « Le chef n’est pas simplement un camarade plus habile ou une sorte de contremaître » ; la fonction de « maître d’œuvre » n’est jamais celle de la « main-d’œuvre » ; comme le souligne F. Perroux, « [...] le chef a pour première et inaliénable caractéristique de ne pas être un travailleur comme les autres. Il exerce une autorité [...] ».

J. L.


La spécificité de la fonction d’entrepreneur

Une entreprise représente à la fois une organisation et des moyens de production. L’organisation est elle-même agencée autour d’un certain nombre de fonctions classiques qui permettent des gestions spécifiques en vue d’objectifs déterminés par l’homme, ou l’ensemble d’hommes, représentant l’entrepreneur. Ces fonctions classiques sont essentiellement, selon Henri Fayol, la fonction de production, la fonction financière, la fonction d’achat, la fonction commerciale, la fonction administrative. La fonction d’entrepreneur, quant à elle, n’est complètement recouverte par aucune d’entre elles, mais a pour objet de les coordonner toutes ; l’entrepreneur est, très particulièrement, responsable de la définition des objectifs de l’entreprise.

Pour ce faire, il est nécessaire qu’il établisse un lien permanent entre l’environnement et le potentiel productif de l’entreprise. Il s’ensuit qu’il est un véritable découvreur d’opportunités, soit qu’il effectue cette recherche seul, soit qu’il emploie des conseillers. Les grands entrepreneurs semblent avoir eu un sens aigu de l’histoire et des « créneaux » à mettre à profit dans le déroulement du temps.

L’entrepreneur doit également faire passer les objectifs dans la réalité quotidienne de l’entreprise et veiller à ce que celle-ci ne s’écarte pas du chemin qui lui a été tracé ; il lui faut traduire les objectifs généraux de l’entreprise en objectifs propres à chaque cellule de son entreprise. Cette opération comporte une prise en compte des motivations des individus composant l’entreprise et réalise une fonction d’arbitrage continue entre les différentes fonctions de l’entreprise et les différents groupes d’intérêts dans l’entreprise (actionnaires, salariés, clientèle, fournisseurs).

La définition de l’entrepreneur selon Joseph Schumpeter

La définition donnée par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter (1883-1950) est demeurée célèbre, encore que d’autres conceptualisations du rôle du chef d’entreprise (celle de F. H. Knight notamment, insistant sur le risque et la responsabilité) soient souvent mises en avant aujourd’hui. Pour Schumpeter, l’entrepreneur est avant tout un innovateur, c’est-à-dire celui qui réalise de nouveaux agencements, sans cesse changeants, des facteurs de la production (produits nouveaux, technologies nouvelles, débouchés nouveaux, organisation renouvelée). Il vainc constamment la résistance au changement.

Cette description semble surtout recouvrir un type d’entrepreneur issu de l’analyse historique (d’ailleurs stimulante) relative aux économies évoluées du xixe s., quand le « décollage », effectivement, postule des changements fréquents. Elle laisse dans l’ombre, cependant, le risque, que l’entrepreneur supporte toujours, et la fonction d’autorité qui le distingue nettement des autres partenaires de l’entreprise.

J. L.


Les styles divers de l’entrepreneur

La fonction d’entrepreneur ainsi décrite est très large ; elle n’explique pas en elle-même le rôle concret de l’entrepreneur, n’indique pas un style de direction. En effet, elle peut se présenter différemment en fonction d’un certain nombre de données.

• La première donnée est le profil de l’entrepreneur lui-même. Le style de gestion peut être complètement différent suivant la prédominance accordée par l’entrepreneur à l’une des trois fonctions : financière, commerciale, de production.