Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

élection (suite)

En Europe occidentale, l’esclavage cède la place au servage, mais, peu à peu, se constituent des communes d’hommes libres. Les communes* urbaines élisent leur défenseur et leur évêque. Elles se multiplient souvent grâce à l’aide du pouvoir royal, en lutte contre les seigneurs. Dès le xie s., les villes d’Italie revendiquent pour elles-mêmes les prérogatives des seigneuries féodales ; elles tiennent des assemblées où il est décidé de la guerre ou de la paix et élisent des magistrats investis du pouvoir judiciaire et du pouvoir militaire, qui prennent le titre de conseils. Au xiie s., en France, de nombreuses communes obtiennent des chartes. Au nord du pays apparaît à peu près en même temps la commune jurée, qui obtient — par la force ou en échange des subsides qu’elle verse au roi — des franchises. Il semble qu’à l’origine ces communes aient constitué de véritables aristocraties marchandes, les corporations* artisanales obtenant, parfois par l’insurrection, un droit de participation à la gestion municipale. Le renforcement du pouvoir royal, l’institution de la vénalité des offices ainsi que les prétentions de certains bourgeois (Étienne Marcel notamment) à la création d’une confédération des villes du Nord et du Centre ont pour aboutissement, au xive s., la suppression des chartes.

Cependant, les besoins d’argent des rois de France provoquent des recours fréquents aux états* généraux, composés à l’origine de deux ordres, auxquels sont adjoints un peu plus tard des représentants de la bourgeoisie*. Bientôt le tiers état apparaît en force aux états, où il dispose rapidement d’autant, et même souvent de plus, de délégués que les deux autres ordres réunis. On connaît assez mal les conditions précises dans lesquelles les délégués du tiers état sont désignés avant 1789 ; à cette date, tous les hommes libres (il n’y a plus que quelques milliers de serfs sur les terres du clergé) âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et inscrits au rôle des impositions, français ou naturalisés, participent à l’élection de ces délégués.

La Révolution* consolide l’importante participation au pouvoir que la bourgeoisie et le peuple avaient progressivement acquise au cours des siècles précédents. Mais, en fait, la distinction entre les citoyens passifs et les citoyens actifs, qui caractérise la Constitution de 1791, correspond à une régression politique : de nombreux électeurs de 1789 cessent d’être des citoyens actifs. Sur 24 millions, environ, d’habitants, on compte alors 4 300 000 citoyens actifs et près de 3 millions de citoyens passifs. C’est le triomphe du principe de l’électorat-fonction sur celui de l’électorat-droit ; en 1791, Barnave affirme que « la qualité d’électeur n’est qu’une fonction publique, à laquelle personne n’a droit et que la société dispense, ainsi que lui prescrit son intérêt », aux personnes ayant « un intérêt assez pressant à la conservation de l’ordre social ».

Si la Convention de 1793 est élue au suffrage quasi universel, le suffrage restreint est rétabli par la Constitution de l’an III et, plus encore, par les chartes de 1814 et de 1830. C’est seulement en 1848 que le suffrage universel est proclamé. Mais le suffrage universel est-il vraiment réel quand les femmes demeurent écartées des listes électorales ? Elles n’y sont admises en France qu’en 1944. La Grande-Bretagne établit le suffrage universel en 1918 (hommes à vingt et un ans ; femmes à trente ans [en 1928, l’âge de l’électorat féminin sera ramené à vingt et un ans]) après une série d’étapes successives (1832, 1867, 1884). L’Allemagne avait établi le suffrage universel des hommes en 1871 et celui des femmes en 1918.


Les tentatives pour réduire ou étendre le corps électoral en régime de suffrage universel

Le principe du suffrage universel étant admis, il restait à en préciser les conditions de fonctionnement. Il n’était plus question d’exiger de l’électeur qu’il soit propriétaire ou contribuable, c’est-à-dire qu’il justifie d’un cens plus ou moins élevé (on notera cependant que le système de poll tax [taxe électorale] n’a été définitivement aboli aux États-Unis qu’en 1964). Il restait cependant possible de subordonner l’inscription sur une liste électorale à certaines conditions, mais de caractère ni économique ni fiscal.

Le suffrage universel étant proclamé en 1848, le citoyen français ne pouvait, cependant, être électeur que s’il justifiait d’une résidence dans la commune d’une durée de six mois en 1848 et de trois ans en 1850. Cette condition devait écarter des urnes un certain nombre d’ouvriers, les travailleurs changeant souvent de résidence. Certains États des États-Unis exigent une résidence de deux années, alors que la mobilité de la population américaine est pourtant bien connue. Dans divers États, le citoyen doit justifier d’une certaine connaissance de la Constitution pour devenir électeur : il est ainsi facile, dans quelques États du Sud, d’écarter les Noirs de l’électorat. Au Portugal, le citoyen n’est électeur que s’il sait lire et écrire, or une proportion importante de la population se trouvait encore récemment analphabète. Le système des indignités consiste, quant à lui, à exclure du corps électoral les personnes ayant fait l’objet d’une sanction pénale ou, parfois, politique ; dans certains cas même, l’exclusion est collective (anciens bourgeois en U. R. S. S. en 1918, ennemis de la démocratie, ou personnes aux vues fascistes en Bulgarie et en Yougoslavie en 1945). La fixation de l’âge de l’électorat constitue un moyen de limiter ou d’étendre le nombre des électeurs. Dans de nombreux pays, cet âge est fixé à dix-huit ans ; les Français, les Italiens et les Suédois votent à 21 ans.

Les mêmes procédés peuvent réduire le nombre des citoyens éligibles ; or, l’éligibilité est le complément normal de l’électorat.


Les modalités d’expression de l’opinion publique

Lorsque les citoyens élisent directement une personne ou un collège très réduit de personnes à une fonction administrative, gouvernementale ou judiciaire, l’élection revêt toujours plus ou moins l’aspect d’un plébiscite, c’est-à-dire d’une délégation de pouvoir au candidat ou aux candidats considérés comme les plus compétents et les plus aptes à gouverner. Par contre, lorsque des citoyens élisent un large collège de représentants dont la mission sera, outre la confection de la loi, soit d’informer ou de contrôler les gouvernants, soit de désigner eux-mêmes ces gouvernants, il s’agit essentiellement pour le peuple de constituer par la voie de l’élection un échantillonnage de l’opinion publique aussi représentatif que possible. L’organisation des élections doit être faite en fonction de l’un ou l’autre de ces deux objectifs qu’il convient d’atteindre.