Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

élection (suite)

Vote obligatoire ou facultatif

Dans la mesure où l’électorat est une fonction, il semblerait que l’électeur soit tenu de voter. L. Duguit* affirmait : « On peut dire que cette obligation existe déjà dans la conscience des hommes » (l’exactitude de cette affirmation est fort discutable) « et certainement elle sera consacrée par la loi positive dans un avenir très prochain. »

Cette prévision ne s’est pas vérifiée en France (il y eut effectivement obligation sous la IIIe République, mais seulement en ce qui concernait les élections sénatoriales). En effet : a) une petite fraction de l’opinion française (anarchistes notamment) se refuse à participer au fonctionnement d’un « État » dont elle discute le principe même ; b) certains révolutionnaires nient l’efficacité de tout autre moyen de lutte que la violence ; c) les partis de gauche, en général, sont hostiles au vote obligatoire, défendant le principe de l’électorat-droit en face du principe de l’électorat-fonction, condamnant tout ce qui pourrait ressembler à une répression, et craignant que la fraction de l’électorat qui néglige, par indifférence, son devoir électoral ne soit portée à voter pour les candidats les plus conservateurs si on l’oblige à se prononcer. Pour les membres de la fraction la plus légaliste des partis d’extrême gauche, seule compte l’opinion des électeurs qui savent ce qu’ils veulent et qui l’affirment dans l’urne comme sur les lieux de travail ou dans la rue : ils restent ainsi dans la tradition de la minorité agissante.

Les partis de droite, généralement partisans, quant à eux, du vote obligatoire, voient dans l’obligation du vote l’occasion d’un renfort bien utile ; tous spéculent sur l’idée que la « majorité silencieuse » est, au fond d’elle-même, favorable aux notions d’ordre et de sécurité ainsi qu’à la propriété privée. La loi belge de 1893, en même temps qu’elle établissait le suffrage universel (pour les hommes), rendait le vote obligatoire. Cette mesure, doublée depuis du vote des femmes, n’a pas empêché le parti ouvrier belge de jouer un rôle important dans le gouvernement du pays. En 1968, le Parlement français, de son côté, a refusé de rendre obligatoire la participation des étudiants aux élections de leurs représentants aux conseils d’administration des universités (obligation réclamée cependant par ceux qui étaient hostiles à la réforme de l’université alors entreprise) parce que cette obligation n’existe pas en droit français pour les autres consultations électorales ; cependant, la représentation étudiante est réduite lorsque le nombre des votants est inférieur à la moitié du nombre des inscrits.

En fait, il est difficile de rendre effective l’obligation du vote. Si la sanction est constituée par une amende, la mauvaise organisation et le coût des services de recouvrement la rendent peu efficace ; si elle est constituée — au moins en cas de récidive de l’infraction — par la perte des droits politiques, elle est accueillie avec indifférence par les électeurs qui se refusent à voter par principe ; cependant, le principe du retrait des droits électoraux donne lieu à contestation dans un pays où le principe d’un suffrage quasi universel est connu de longue date. Il faut rappeler que l’inscription sur les listes électorales est seule obligatoire en France, mais que, cependant, en 1951, 2 millions de personnes (dont un million et demi de femmes) avaient omis de se faire inscrire.


Mandat impératif ou représentatif

• Chaque électeur étant considéré comme titulaire d’une quote-part de la souveraineté (J.-J. Rousseau), le représentant élu d’une circonscription peut être considéré comme le mandataire des électeurs de cette circonscription ou, plus exactement, du groupe des électeurs qui l’a élu. Il s’ensuit — conformément aux règles du mandat du droit civil — que, dans cette conception, le mandant peut limiter le mandat qu’il donne et le révoquer à son gré. Cette première théorie, celle du mandat impératif, prévalait en ce qui concerne les états généraux ; en 1789, J. Pétion de Villeneuve la défendit à l’Assemblée nationale.

À diverses reprises, les partis français qui prétendent défendre la démocratie ont essayé, sans succès, de faire légaliser cette notion ; certains d’entre eux faisaient signer à leurs élus une démission en blanc, qu’ils adressaient au président de l’assemblée à laquelle ceux-ci appartenaient lorsque les élus avaient cessé de leur donner satisfaction ; en application des règles constitutionnelles (la loi constitutionnelle du 30 novembre 1875 et l’article 27 de la Constitution d’octobre 1958 déclarent expressément que tout mandat impératif est nul), confirmation de cette « démission » est toujours demandée à l’intéressé.

Certains cantons suisses (Berne, Lucerne, Argovie, Thurgovie, Soleure, Bâle-Campagne, Schaffhouse) accordent aux électeurs la possibilité de réclamer une votation en vue de dissoudre les assemblées cantonales ; quelques cantons prévoient même la possibilité d’une révocation des autorités cantonales. De même, plusieurs États des États-Unis connaissent le recall ; dès lors qu’un certain nombre d’électeurs (de 10 à 35 p. 100) demandent une nouvelle élection, celle-ci a lieu, permettant ainsi au conseiller municipal, au député, au fonctionnaire local — parfois même au gouverneur (comme en Oregon) — de solliciter de ses électeurs la confirmation de leur confiance. En Union soviétique, les députés peuvent également être révoqués par leurs électeurs.

• La notion de mandat représentatif est beaucoup plus généralement admise. Comme l’affirmait Sieyès à l’Assemblée nationale — en réponse à Pétion —, un député n’est pas le mandataire de sa circonscription, mais celui de la nation tout entière ; il n’est pas pensable « qu’un député de tous les citoyens du royaume écoute le vœu des seuls habitants d’un bailliage ou d’une municipalité contre le vœu de la nation tout entière [...] ». Certains publicistes (A. Esmein* notamment) estiment qu’en application du mandat représentatif « les députés sont appelés à décider librement, arbitrairement au nom de la nation, qui est censée vouloir par leur volonté et parler par leur bouche » ; c’est effectivement l’essence du régime représentatif — mais, selon Duguit, « les élections générales, qui doivent avoir lieu à des époques assez rapprochées, ont précisément pour but de permettre à la nation d’apprécier la manière dont les représentants ont exécuté le mandat qu’elle leur avait donné ».