Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
E

économique (science) (suite)

• Deux autres types d’analyses — qualitative et quantitative — ont apporté chacun leur contribution à la connaissance des phénomènes économiques. Cependant, cet apport est loin de faire l’unanimité. Ainsi, Ludwig Edler von Mises (1881-1973) a soutenu qu’on ne saurait concevoir une science économique quantitative, car tout ce qu’il était possible d’obtenir dans ce domaine était en fait une série d’enregistrements de quantités déjà réalisées, permettant des vérifications et des constatations, mais n’établissant pas un lien rationnel, le qualitatif n’étant pas quantifiable.

À l’appui de cette opinion, il faut citer les positions et les difficultés de l’école de l’utilité marginale. C’est elle, en effet, qui, dans le cadre d’une analyse micro-économique, a développé les études qualitatives et démontré que l’utilité relevait de l’ordinal (on peut classer les préférences des consommateurs), et non du cardinal (on ne peut pas les mesurer). Walras, de son côté, n’a pu réussir correctement à rendre mesurable l’intensité du dernier besoin satisfait. En réalité, les deux types d’analyses ne s’excluent pas, à condition que l’on parte de concepts quantitatifs. En effet, lorsqu’on dispose d’un ensemble de données quantitatives relatives à un phénomène, on ne saurait obtenir une connaissance complète de celui-ci sans poursuivre une opération de détermination et de qualification. L’exemple caractéristique est celui des dépenses publiques, dont le volume croît d’année en année. Seule une analyse quantitative permet d’évaluer l’importance du phénomène et d’en dégager les conséquences. Quand les dépenses publiques sont peu importantes, l’activité économique répond au schéma de l’équilibre réalisé par l’effet d’un grand nombre de décisions individuelles. Quand leur volume s’accroît au point de représenter le tiers du revenu national, comme il en est ainsi aujourd’hui dans les États modernes, la nature et le mécanisme de l’équilibre sont modifiés radicalement par le jeu des décisions de l’État. La distribution des revenus, la demande de facteurs productifs, de biens d’investissement et de consommation sont déterminées selon un mécanisme différent, où la contrainte dont dispose la puissance publique joue sur un domaine de plus en plus étendu. Le système d’équilibre subit en conséquence des modifications d’ordre qualitatif. De même, la réduction d’un grand nombre d’entreprises existant dans une branche d’activité en un petit nombre d’entreprises de grande dimension fait passer l’économie d’un régime de concurrence à un régime d’oligopole et, à la limite, de monopole. Ces transformations sont d’ordre qualitatif. En somme, les changements d’ordre quantitatif provoquent des modifications qui ne peuvent être connues correctement que si on les interprète dans des catégories qualitativement déterminées. Les analyses quantitatives connaissent depuis 1945 un grand essor, surtout avec les études macro-économiques, qui conduisent spontanément à la mesure des quantités globales et des relations existant entre elles. Mais elles ne sauraient se priver d’éléments qualitatifs pour préciser la nature de phénomènes qu’on ne peut atteindre intégralement par leur seule évaluation.

• Les autres directions dans lesquelles s’est engagée la science économique contemporaine sont celles de l’analyse structurelle et de l’analyse comptable.

L’analyse structurelle a pour objet l’étude des caractères et des liaisons structurelles d’une unité économique donnée. Elle décrit les proportions et relations caractéristiques de l’ensemble, et suit leur changement dans le temps. L’étude des relations peut être réalisée soit d’un point de vue descriptif, par voie déductive ou historico-sociologique, soit d’un point de vue économétrique et statistique, en exprimant mathématiquement les rapports existant entre les différentes variables. Les travaux de W. Leontief sur la structure de l’économie américaine, reposant sur la notion d’interdépendance générale, essaient de formuler le système d’équations qui traduit non seulement l’équilibre du marché, mais qui, de plus, peut représenter les relations caractéristiques de l’économie nationale considérée comme un tout. Leontief cherche à dégager ces interrelations empiriquement par la voie statistique et aboutit à la construction d’un tableau retraçant les flux par lesquels des communications s’établissent entre les différentes « industries » de l’économie américaine. Ces interrelations sont établies à partir de l’input (qui est ce qu’une industrie absorbe ou consomme pour donner son produit) et de l’output (qui est le volume de production réalisé par une entreprise ou une industrie et qui est destiné à constituer l’input d’autres industries ou des ménages). Il est alors possible de dresser sous une forme quantitative et statistique un tableau d’interrelations traduisant la structure de l’économie.

Quant à l’analyse comptable, elle est différente en ce sens qu’elle a pour objet l’étude chiffrée, l’évaluation des circuits quantitatifs qui se manifestent au sein d’un système économique en état de fonctionnement. Alors que le type précédent s’attache aux relations de structure, l’analyse comptable se consacre aux relations de fonctionnement. Elle repose sur un enregistrement ex post de relations quantitatives existant entre grandeurs caractéristiques et se traduit par une égalité nécessaire des valeurs en cause. Pour établir le réseau de relations, il est nécessaire de se référer à un modèle de circuit préétabli en fonction d’une conception abstraite de l’activité économique et du système dans lequel elle se déroule. La comptabilité nationale procède d’une analyse comptable.

• Enfin, le dernier effort de renouvellement de l’analyse économique résulte du dépassement de l’analyse statique par l’analyse dynamique. L’analyse statique permet une étude de relations entre variables, soit pour un moment déterminé, soit pour une période. En général, elle considère que ces relations conduisent à l’établissement d’une explication de l’équilibre monétaire stable ou périodique. La monnaie est, en général, exclue de la détermination de l’équilibre, parce qu’elle véhicule le temps ; la théorie statique est normalement formulée dans l’hypothèse d’une économie de troc : la monnaie est alors réintroduite ultérieurement.