Duns Scot (John) (suite)
La preuve de l’existence de Dieu proposée par Scot dans la Reportata parisiensia et dans le De primo principio est originale. Au lieu de partir des corps mobiles comme Thomas d’Aquin, Duns Scot s’appuie sur le « muable », qui constitue une aptitude effective, une passion transcendante, et il remonte par dépassement jusqu’à l’étant premier, qui n’est affecté d’aucune relation de dépendance. La démarche s’apparente à celle de saint Anselme ; mais elle est notablement différente, car Scot suppose déjà acquis que l’être premier soit possible et ne supporte aucune contradiction. Il ne fait pas jaillir l’existence de l’essence, car l’étant premier, visé à titre d’existible, est mis en rapport avec l’étant contingent et muable. La démarche est un passage de l’être mondain et créé, qui pourrait ne pas être, à l’être qui ne peut pas ne pas être. Le Dieu ainsi atteint est premier dans l’ordre de la causalité et de la finalité, source de tout être et de toute propriété transcendante. La Révélation viendra préciser les libres décisions de sa volonté toute-puissante, volonté de justice ou de miséricorde.
La morale de Scot
Si Duns Scot souligne la volonté et la toute-puissance divine, il n’en conclut pas pour autant que nos actes sont bons en tant qu’il nous est ordonné par Dieu de les accomplir, mais, au contraire, que nous devons les accomplir parce qu’ils ont été établis bons. Les deux premiers commandements du Décalogue résultent pour Duns Scot des exigences du « droit naturel » et le troisième (le respect du sabbat) dans une certaine mesure aussi, puisqu’il règle le culte suivant l’ordre de la nature. Quant aux sept autres commandements, appelés par Scot « deuxième table de la Loi », ils concernent les rapports entre les créatures contingentes et n’ont donc pas le même caractère absolu : ils résultent plus directement d’une volonté du Législateur. Duns Scot s’éloigne donc ici de la position de Thomas d’Aquin, pour qui l’ensemble du Décalogue rejoint la « loi naturelle », considérée comme nécessaire, irréversible et immuable.
Selon Duns Scot, les hommes naissent « naturellement libres » ; les rapports de dépendance relèvent du droit positif. La propriété n’est pas un droit naturel tel qu’elle puisse être toujours considérée comme légitime : le transfert des propriétés est justifié lorsque le possesseur ne fait pas servir ses avoirs dans le sens du bien commun. Scot admet le « contrat de société » invoqué à son époque pour justifier le prêt à intérêt, à condition qu’aucune partie n’en tire un bénéfice automatique, tandis que l’autre serait lésée. Ainsi, Duns Scot fait confiance à l’effort industrieux de l’homme. D’une façon générale, il accorde beaucoup plus d’intérêt que Thomas d’Aquin au droit positif. L’autorité légitime repose pour lui sur l’entente des citoyens et sur la délégation de pouvoirs que ceux-ci conviennent de lui accorder.
Si la cité apparaît comme une institution tardive, la famille est primitive. Elle dépend cependant, elle aussi, d’une loi divine « positive » et non naturelle, car elle repose sur un contrat. La fécondité était, avant la chute, un bien raisonnablement voulu, non une nécessité de nature ; depuis la chute, les lois réglant l’union charnelle ont pour Scot un caractère relatif. La polygamie, en tant qu’elle accomplit le commandement de fécondité, peut, pour Scot, être tenue pour juste et légitime, bien qu’elle le soit moins que la monogamie, meilleure du point de vue non de la fécondité, mais des rapports interpersonnels entre époux.
B.-D. D.
E. Longpré, la Philosophie du bienheureux Duns Scot (Librairie de Saint-François, 1924). / M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, t. II (Vrin, 1934). / E. Gilson, Jean Duns Scot (Vrin, 1952). / G. de Lagarde, la Naissance de l’esprit laïc au Moyen Âge, t. III (Nauvelaerts, 1963). / John Duns Scot, 1265-1965 (Washington, 196). / Congrès scottiste d’Oxford, De doctrine Joannis Duns Scotis (Edimbourg et Rome, 1968). / L. Veuthey, Jean Duns Scot, pensée théologique (Éd. franciscaines, 1968).