Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Duns Scot (John) (suite)

La preuve de l’existence de Dieu proposée par Scot dans la Reportata parisiensia et dans le De primo principio est originale. Au lieu de partir des corps mobiles comme Thomas d’Aquin, Duns Scot s’appuie sur le « muable », qui constitue une aptitude effective, une passion transcendante, et il remonte par dépassement jusqu’à l’étant premier, qui n’est affecté d’aucune relation de dépendance. La démarche s’apparente à celle de saint Anselme ; mais elle est notablement différente, car Scot suppose déjà acquis que l’être premier soit possible et ne supporte aucune contradiction. Il ne fait pas jaillir l’existence de l’essence, car l’étant premier, visé à titre d’existible, est mis en rapport avec l’étant contingent et muable. La démarche est un passage de l’être mondain et créé, qui pourrait ne pas être, à l’être qui ne peut pas ne pas être. Le Dieu ainsi atteint est premier dans l’ordre de la causalité et de la finalité, source de tout être et de toute propriété transcendante. La Révélation viendra préciser les libres décisions de sa volonté toute-puissante, volonté de justice ou de miséricorde.


La morale de Scot

Si Duns Scot souligne la volonté et la toute-puissance divine, il n’en conclut pas pour autant que nos actes sont bons en tant qu’il nous est ordonné par Dieu de les accomplir, mais, au contraire, que nous devons les accomplir parce qu’ils ont été établis bons. Les deux premiers commandements du Décalogue résultent pour Duns Scot des exigences du « droit naturel » et le troisième (le respect du sabbat) dans une certaine mesure aussi, puisqu’il règle le culte suivant l’ordre de la nature. Quant aux sept autres commandements, appelés par Scot « deuxième table de la Loi », ils concernent les rapports entre les créatures contingentes et n’ont donc pas le même caractère absolu : ils résultent plus directement d’une volonté du Législateur. Duns Scot s’éloigne donc ici de la position de Thomas d’Aquin, pour qui l’ensemble du Décalogue rejoint la « loi naturelle », considérée comme nécessaire, irréversible et immuable.

Selon Duns Scot, les hommes naissent « naturellement libres » ; les rapports de dépendance relèvent du droit positif. La propriété n’est pas un droit naturel tel qu’elle puisse être toujours considérée comme légitime : le transfert des propriétés est justifié lorsque le possesseur ne fait pas servir ses avoirs dans le sens du bien commun. Scot admet le « contrat de société » invoqué à son époque pour justifier le prêt à intérêt, à condition qu’aucune partie n’en tire un bénéfice automatique, tandis que l’autre serait lésée. Ainsi, Duns Scot fait confiance à l’effort industrieux de l’homme. D’une façon générale, il accorde beaucoup plus d’intérêt que Thomas d’Aquin au droit positif. L’autorité légitime repose pour lui sur l’entente des citoyens et sur la délégation de pouvoirs que ceux-ci conviennent de lui accorder.

Si la cité apparaît comme une institution tardive, la famille est primitive. Elle dépend cependant, elle aussi, d’une loi divine « positive » et non naturelle, car elle repose sur un contrat. La fécondité était, avant la chute, un bien raisonnablement voulu, non une nécessité de nature ; depuis la chute, les lois réglant l’union charnelle ont pour Scot un caractère relatif. La polygamie, en tant qu’elle accomplit le commandement de fécondité, peut, pour Scot, être tenue pour juste et légitime, bien qu’elle le soit moins que la monogamie, meilleure du point de vue non de la fécondité, mais des rapports interpersonnels entre époux.

B.-D. D.

 E. Longpré, la Philosophie du bienheureux Duns Scot (Librairie de Saint-François, 1924). / M. de Wulf, Histoire de la philosophie médiévale, t. II (Vrin, 1934). / E. Gilson, Jean Duns Scot (Vrin, 1952). / G. de Lagarde, la Naissance de l’esprit laïc au Moyen Âge, t. III (Nauvelaerts, 1963). / John Duns Scot, 1265-1965 (Washington, 196). / Congrès scottiste d’Oxford, De doctrine Joannis Duns Scotis (Edimbourg et Rome, 1968). / L. Veuthey, Jean Duns Scot, pensée théologique (Éd. franciscaines, 1968).

Duparc (Henri)

Compositeur français (Paris 1848 - Mont-de-Marsan 1933).


Représentant éminent de la mélodie française d’inspiration romantique, Henri Duparc naît dans un milieu bourgeois où la pratique des arts et de la musique était à l’honneur. Au collège des Jésuites de Vaugirard, il a pour professeur de piano César Franck, qui pressent son exceptionnelle sensibilité musicale et le familiarise avec les grands maîtres, tandis que la fréquentation des concerts du conservatoire lui révèle les symphonies de Beethoven.

Tout en poursuivant ses études de droit, il travaille l’harmonie et le contrepoint sous la direction de César Franck, qui encourage de ses conseils ses premiers travaux. De 1867 date probablement la sonate pour piano et violoncelle récemment retrouvée ; en 1868, il publie cinq mélodies dont il ne gardera que Soupir et Chanson triste pour l’édition définitive ; en 1869, il compose Absence, qui deviendra plus tard Au pays où se fait la guerre, et il publie Feuilles volantes, six petites pièces pour le piano. C’est également l’époque où il se lie d’amitié avec Alexis de Castillon (1838-1873), puis avec Vincent d’Indy, qui deviendront, grâce à lui, les fervents disciples de César Franck. Le futur fondateur de la Schola cantorum habitait, avenue de Villars, le même immeuble que la famille irlandaise Mac Swiney, où il venait fréquemment faire de la musique ; c’est là qu’il rencontra Duparc, qui allait épouser un peu plus tard (1871) Ellen Mac Swiney. Au cours des années 69 et 70, Duparc effectue quelques voyages en Bavière, séjourne chez Liszt à Weimar, rencontre pour la première fois Richard Wagner et assiste à Munich (26 juin 1870) à la création de la Walkyrie en compagnie de Saint-Saëns et Catulle Mendès. Après la guerre de 1870, il organise chez lui des réunions amicales où se retrouvent les littérateurs, poètes et musiciens les plus notoires de ce temps ; celles-ci se poursuivront jusqu’en 1880, et c’est au cours de l’une d’elles que Saint-Saëns et Romain Bussine décideront de fonder la Société nationale de musique, dont Henri Duparc restera longtemps l’actif secrétaire. La Société nationale fait entendre en 1874 un Poème nocturne pour orchestre en trois parties (seule la première, Aux étoiles, a été conservée) ainsi qu’une suite de Ländler et, trois ans plus tard, le poème symphonique Lénore, inspiré d’une ballade de G. A. Bürger. Les mélodies qui rendront célèbre Duparc s’échelonnent jusqu’en 1884 ; entre-temps celui-ci a fondé avec d’Indy les Concerts de musique moderne (1878) ; il s’est rendu plusieurs fois en Allemagne, notamment à Munich avec Chabrier pour assister à Tristan et à Bayreuth (1883-1886). De 1880 à 1885, il réside chaque été dans la propriété de ses parents à Marnes-la-Coquette, dont il devient temporairement le maire, puis il s’installe à Monein, près de Pau, et y réside jusqu’en 1897. C’est là qu’il ébauche la Roussalka, projet d’opéra qu’il détruira plus tard, et que, par l’intermédiaire de Charles de Bordeu (1857-1926), il fait la connaissance de Francis Jammes. L’amitié de ces trois êtres d’élite durera jusqu’à leur mort. En 1902, Duparc se rend pour la première fois à Lourdes ; il y retourne en 1906 avec Paul Claudel et Francis Jammes ; il s’oriente vers une vie intérieure profonde empreinte d’un mysticisme et d’un esprit contemplatif qui contribuent à l’éloigner de toute création artistique ici-bas. Sa santé, chancelante depuis de nombreuses années, l’incite à s’installer sur les bords du lac Léman, à La Tour-de-Peilz, en Vevey (1906-1913), et à faire différentes cures. Il revient à Tarbes près de ses enfants, subit (sans résultat) l’opération d’un glaucome et s’installe en juillet 1924 à Mont-de-Marsan, où il restera jusqu’à sa mort, vivant dans la prière et la pensée de Dieu. S’il a détruit la plupart de ses œuvres, les treize mélodies qu’il a consenti à laisser éditer restent un des plus nobles et des plus purs joyaux de la musique française.

G. F.