Dufay (Guillaume) (suite)
Forme profane par excellence depuis le xiiie s. et devenue au xive s. savante au point d’être parfois un véritable tour de force mathématique, le motet connaît lui aussi, grâce à Dufay, une très sensible et définitive évolution. Sept seulement des trente-deux motets sont profanes : le motet redevient donc la forme religieuse qu’il a été à son origine et qu’il ne cessera plus d’être. Le mode même de composition se transforme fondamentalement : le motet s’abstient le plus souvent, chez Dufay, des complexités que Philippe de Vitry (1291-1361) avait introduites dans le traitement isorythmique imposé non seulement à la teneur — base de la composition à l’origine — mais même aux autres voix. Parfois même la teneur disparaît totalement : c’est le cas de dix-sept motets sur trente-deux. Et l’on doit signaler qu’aucun motet isorythmique n’a été composé par Dufay après 1450. La pluralité des textes dans les diverses voix, de règle depuis le xiiie s., tend elle aussi à disparaître. Le motet devient peu à peu la forme libre par excellence, dégagée qu’elle est des artifices purement musicaux, sans être pour autant asservie, comme la chanson, à un cadre fixe qui risque de brider la liberté dans les développements mélodiques.
C’est dans la messe que le rôle de Dufay apparaît comme le plus décisif. Avant lui, hormis la messe de Guillaume* de Machaut, les cinq parties de l’ordinaire étaient toujours écrites isolément, et les ensembles occasionnels comme la messe de Tournai étaient fort disparates. Il a certes, comme ses devanciers, écrit des fragments de messes (37 environ), mais il a dans ses neuf messes fixé progressivement le cadre de la messe cyclique. Dans son désir d’unification, il utilise sinon toujours une seule teneur, du moins un nombre de plus en plus restreint et restitue à la teneur un rôle mélodique que le découpage isorythmique lui avait fait souvent perdre.
Quelles que soient les formes utilisées, l’art de Dufay traduit une profonde évolution du langage. Les caractéristiques essentielles en sont d’une part un évident désir de simplification dans le domaine du rythme et un certain dédain du menu détail où s’était complu l’Ars nova, d’autre part une tendance à l’unification du tissu polyphonique et à son homogénéité plus grande, grâce à l’adjonction quasi systématique d’une contre-teneur, ce qui porte à quatre l’effectif vocal. Ajoutons aussi que, inconsciemment, Dufay assigne aux deux voix inférieures, teneur et contre-teneur, un rôle de soutien que l’on peut déjà qualifier d’harmonique. Ce langage formera la base de départ de la grande école polyphonique qui, par Palestrina et Lassus, trouvera son aboutissement dans l’œuvre de J.-S. Bach.
B. G.
C. Van den Borren, Guillaume Dufay. Son importance dans l’évolution de la musique au xve siècle (Bruxelles, 1925). / C. E. Hamm, A Chronology of the Works of Guillaume Dufay (Princeton, 1964).