Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dufay (Guillaume) (suite)

Forme profane par excellence depuis le xiiie s. et devenue au xive s. savante au point d’être parfois un véritable tour de force mathématique, le motet connaît lui aussi, grâce à Dufay, une très sensible et définitive évolution. Sept seulement des trente-deux motets sont profanes : le motet redevient donc la forme religieuse qu’il a été à son origine et qu’il ne cessera plus d’être. Le mode même de composition se transforme fondamentalement : le motet s’abstient le plus souvent, chez Dufay, des complexités que Philippe de Vitry (1291-1361) avait introduites dans le traitement isorythmique imposé non seulement à la teneur — base de la composition à l’origine — mais même aux autres voix. Parfois même la teneur disparaît totalement : c’est le cas de dix-sept motets sur trente-deux. Et l’on doit signaler qu’aucun motet isorythmique n’a été composé par Dufay après 1450. La pluralité des textes dans les diverses voix, de règle depuis le xiiie s., tend elle aussi à disparaître. Le motet devient peu à peu la forme libre par excellence, dégagée qu’elle est des artifices purement musicaux, sans être pour autant asservie, comme la chanson, à un cadre fixe qui risque de brider la liberté dans les développements mélodiques.

C’est dans la messe que le rôle de Dufay apparaît comme le plus décisif. Avant lui, hormis la messe de Guillaume* de Machaut, les cinq parties de l’ordinaire étaient toujours écrites isolément, et les ensembles occasionnels comme la messe de Tournai étaient fort disparates. Il a certes, comme ses devanciers, écrit des fragments de messes (37 environ), mais il a dans ses neuf messes fixé progressivement le cadre de la messe cyclique. Dans son désir d’unification, il utilise sinon toujours une seule teneur, du moins un nombre de plus en plus restreint et restitue à la teneur un rôle mélodique que le découpage isorythmique lui avait fait souvent perdre.

Quelles que soient les formes utilisées, l’art de Dufay traduit une profonde évolution du langage. Les caractéristiques essentielles en sont d’une part un évident désir de simplification dans le domaine du rythme et un certain dédain du menu détail où s’était complu l’Ars nova, d’autre part une tendance à l’unification du tissu polyphonique et à son homogénéité plus grande, grâce à l’adjonction quasi systématique d’une contre-teneur, ce qui porte à quatre l’effectif vocal. Ajoutons aussi que, inconsciemment, Dufay assigne aux deux voix inférieures, teneur et contre-teneur, un rôle de soutien que l’on peut déjà qualifier d’harmonique. Ce langage formera la base de départ de la grande école polyphonique qui, par Palestrina et Lassus, trouvera son aboutissement dans l’œuvre de J.-S. Bach.

B. G.

 C. Van den Borren, Guillaume Dufay. Son importance dans l’évolution de la musique au xve siècle (Bruxelles, 1925). / C. E. Hamm, A Chronology of the Works of Guillaume Dufay (Princeton, 1964).

Dufy (Raoul)

Peintre français (Le Havre 1877 - Forcalquier 1953).


Il était le fils aîné d’une famille de huit enfants ; son père, employé de commerce, était aussi un grand amateur de musique. En 1891, Raoul Dufy travaille à son tour dans un bureau d’importation, ce qui ne l’empêche pas d’être assidu au cours du soir que professe, à l’école des beaux-arts du Havre, le peintre Charles Lhullier (1824-1898). Considéré comme un parfait « éveilleur de personnalités », celui-ci exige de ses élèves qu’ils commencent par dessiner durant plusieurs années : la couleur ne leur est pas permise. Ces élèves sont notamment, outre Dufy, Othon Friesz et Georges Braque*, tout de suite devenus des amis. En 1895, Dufy et Friesz louent en commun une chambre de bonne qui leur servira d’atelier ; désobéissant à leur professeur qui consent à fermer les yeux, ils y achèvent leurs premières peintures, commencées sur nature. Aux musées du Havre et de Rouen, ils vont admirer les tableaux de Poussin, de Géricault, de Delacroix, de Corot, d’Eugène Boudin, ainsi que les aquarelles de Jongkind.

En 1900, grâce à l’appui de Charles Lhullier, Dufy obtient une bourse municipale et va rejoindre Othon Friesz à Montmartre. Tous deux fréquentent l’atelier de Léon Bonnat à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Dans le vestibule contigu à l’atelier Bonnat et à l’atelier Gustave Moreau, ils font la rencontre de Matisse*, de Rouault*, de Marquet*, qui les initient à ce qui deviendra le fauvisme*. Dans les galeries de la rue Laffitte, les deux amis font la découverte de l’art de Monet, de Cézanne, de Gauguin, de Van Gogh, de Toulouse-Lautrec, et en même temps s’éprennent, au Louvre, de Giorgione et de Claude Gellée.

En 1901, Dufy a débuté au Salon des artistes français (thèmes religieux et allégoriques). Il opte, dès 1903, pour celui des artistes indépendants. De 1905 à 1908 s’étend sa période fauve, pendant laquelle il tend à tout exprimer par la couleur. Dans l’Atelier (1907), il côtoie le cubisme. Sous l’influence de l’imagerie populaire, il exécute des gravures sur bois de fil, est reçu au Salon d’automne et fait, avec Friesz, un voyage à Munich, suivi d’un séjour dans le Midi en compagnie de Georges Braque. Remarqué par Guillaume Apollinaire, il illustre, de celui-ci, le Bestiaire ou Cortège d’Orphée (gravures sur bois, 1910). Puis il renonce à la gravure sur bois, pour se consacrer désormais à la lithographie et à l’eau-forte. Il exécute des tentures (Chasseur, Marine, Automne, Nature morte) pour le couturier Paul Poiret. De 1912 à 1930, il collaborera avec les fabricants de soieries Bianchini-Férier et Chatel, en qualité de modéliste ; invité par eux à s’inspirer de la mode féminine sur les hippodromes, il s’intéresse au monde des courses et aux chevaux.

Il séjourne à Vence en 1919 (Régates), s’abandonne de mieux en mieux, dans son dessin et dans la composition, à sa grâce naturelle et peint de plus en plus clair. Il est en pleine possession de son style personnel, que caractérise un graphisme elliptique et un coloris librement distribué. Il voyage en Italie (Florence, Rome, la Sicile, 1922-23) et commence en 1922 une collaboration féconde (vases, jardins d’appartement) avec le céramiste catalan J. L. Artigas. Sous les apparences de la fantaisie allègre, de la désinvolture, il s’adonne à des compositions méditées. Il fait un voyage au Maroc (1925), donne des cartons pour la manufacture nationale de Beauvais (1927-1929), des décors et des costumes pour le ballet Beach de Léonide Massine, donné à Monte-Carlo en 1933. Son premier Concert public date de 1929 ; ses eaux-fortes pour l’illustration de la Belle Enfant, d’Eugène Montfort, de 1930.