Poète anglais (Londres 1572 - id. 1631).
Dans la période où s’éteint la « merry England » élisabéthaine, tandis que se prépare l’aube du classicisme et s’annonce déjà l’âge des puritains, Donne, brillant héritier du xvie s., subit profondément l’influence du tourment religieux qui pèse sur l’existence quotidienne et trouble les esprits. On peut mieux comprendre alors son génie à la fois sensuel et cérébral, mystique et intellectuel qui l’a placé à la tête d’une lignée de poètes dits « métaphysiques » non encore éteinte aujourd’hui. La vie de cet auteur irritant à maints égards offre le reflet d’une œuvre toute de contraste, « baroque », régentée de bonne heure par la religion, mais souvent très éloignée des préceptes de l’Église établie. Étudiant en droit à Londres, Donne fréquente les tavernes et dilapide joyeusement son héritage. À vingt ans, il écrit ses premières Satires, bientôt suivies d’Élégies et de quelques-uns de ses Songs and Sonnets (Chansons et sonnets), dont le fond et la forme sont fort libres et qui circulent sous le manteau. Les Satires moquent les théologiens, la Cour, les goûts de ses contemporains. Le poète donne avec Biathanatos une apologie du suicide et attaque la reine Elisabeth dans Of the Progress of the Soule (le Voyage de l’âme). Il n’en flatte pas moins les personnages dont peut dépendre sa fortune, tel sir Robert Drury, dans les Anniversaries (Anniversaires), seules œuvres importantes publiées de son vivant (1611-12). Son attitude à l’égard de l’amour et des femmes révèle aussi des sentiments complexes et contradictoires. À sa manière, il semble proclamer après Du Bellay :
J’ai oublié l’art de pétrarquiser,
Je veux d’amour franchement deviser.
C’est ainsi que dans ses premiers Sonnets il se fait le chantre de l’infidélité (The Indifferent), de l’amour charnel (Going to Bed) et que dans le Parfum ou l’Apparition il descend la femme du piédestal où l’avait placée l’auteur des Canzones. Pourtant il dédie A Valediction : Forbidding Mourning (Adieu pour interdire les larmes), poème plein de tendresse, à Ann More, dont il a fait son épouse en 1601 au prix de sa carrière mondaine et politique. Esprit indépendant, voire d’avant-garde, Donne, sur le plan de la poésie, se détourne résolument des formes et des gloires établies. Il se plaît à démanteler la strophe et torture le vers au point que ses amis même, comme Ben Jonson, s’en trouvent scandalisés. Manieur savant de l’hyperbole, de l’image rare ou précieuse, il pousse le goût du bizarre, des subtilités de l’écriture (The Sun Rising, The Blossome) jusqu’à l’extravagance, l’obscurité et parfois le ridicule. Ce raffinement de la pensée, on le retrouve dans les Sermons, qui font passer sur l’assistance toujours plus nombreuse de ses prêches le souffle terrifiant de la Mort et du Jugement. Car le catholique dont le frère est mort en prison s’est converti à l’Église établie. Après avoir attiré en 1610 l’attention du roi par son Pseudo-Martyr et cédant à maintes pressions, Donne entre dans les ordres en 1615. Dès lors, son étoile ne cesse de briller, sa réputation et son audience de grandir, et ce jusqu’en 1621, où il devient doyen de la cathédrale Saint Paul. Profane ou sacrée, l’inspiration de Donne reste toujours la même. L’amour dans sa jeunesse, la mort après 1615 sont avant tout pour lui des thèmes générateurs d’idées, des prétextes à exercer son esprit. C’est peut-être pour cela qu’il ne décrit jamais la nature ou les êtres. Ce qui compte pour lui, par-delà le rythme de la phrase, l’élégance du vers, le sens et la forme d’un mot, c’est l’enivrante marche vers les cimes vertigineuses de la pensée abstraite. S’il brise — comme l’a reproché Johnson aux poètes métaphysiques — « chaque image en fragments », c’est pour mieux atteindre à la poésie transcendantale. Donne mérite bien son titre de « monarque du wit ». Il y a déjà chez lui l’effort de recherche d’un art ésotérique, ce mouvement de sacralisation de la poésie qui, à travers Cowley, Browning et T. S. Eliot, va se manifester au long des âges. Il est rejoint en quelque manière par l’art d’un Baudelaire, la volonté de Mallarmé de « diviniser la chose écrite » et se manifeste encore plus près de nous par le rêve de Valéry d’accéder à « la poésie pure », cette « limite idéale des désirs et des puissances du poète ».
D. S.-F.
E. M. Simpson, A Study of the Prose Works of John Donne (Oxford, 1924 ; 2e éd., 1948). / J. B. Leishman, The Monarch of Wit : an Analytical and Comparative Study of the Poetry of John Donne (Londres, 1951). / L.-G. Gros, John Donne (Seghers, 1964).