Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Dominique (saint)

Fondateur de l’ordre des Frères prêcheurs (Caleruega, prov. de Burgos, v. 1170 - Bologne 1221).


Il naquit sur le plateau de Vieille-Castille, qui se repeuplait et prospérait depuis la reconquête de Tolède (1085) sur les Maures. Dans son village natal, où les habitants avaient le privilège de choisir leur suzerain et où, par sa mère Jeanne d’Aza, il se rattachait à la noblesse locale, Dominique bénéficia de l’atmosphère de nouveauté et de générosité qu’avait suscitée, dans la société et dans l’Église, l’enthousiasme des victoires sur l’islām. Après une initiation aux arts libéraux dans les écoles de Palencia, il s’engagea parmi les clercs du chapitre d’Osma dont le prieur Diego de Acevedo († 1207), qui allait devenir évêque, animait le renouveau religieux et culturel, dans une ville ouverte aux échanges avec l’Occident chrétien.

C’est de là qu’il partit, en compagnie de Diego, pour une mission à remplir dans le Danemark d’aujourd’hui. Le voyage allait décider de sa vocation.

Traversant les territoires du sud de la France, il y observa avec acuité les mouvements spirituels et culturels qui, sous l’influence des vaudois et des cathares, secouaient la région et prêchaient, avec une ferveur ambiguë, doctrinale et morale, le retour à l’Évangile. Au cours d’un second voyage, l’évêque et son compagnon se rendirent à Rome pour solliciter du pape l’envoi en mission parmi les païens.

Mais le pape Innocent III orienta Dominique vers les champs apostoliques de la Narbonnaise et du comté de Toulouse pour y mener « les affaires de la foi et de la paix ». Formule aussi ambiguë, à nos yeux, qu’admirable en ses intentions : elle allait introduire dans les débats religieux les procédés sommaires des opérations politiques et militaires, ainsi que les réactions incontrôlées de l’instinct de défense et de la peur des masses populaires.

Dominique s’engageait là dans une entreprise originale, en réaction contre un clergé local appesanti par l’appareil féodal, lié au conservatisme sacral d’une économie rurale, dépourvu des moyens d’affronter la culture en effervescence dans les villes nouvelles. « Des chiens qui ne savent pas aboyer », disait de ce clergé le pape. Mais le retour à l’Évangile prêché par les hérétiques contre cette Église menaçait simultanément l’équilibre de la foi et la stabilité de la société.

Dès 1204, Dominique avait contesté publiquement les puissants appareils mis en branle, avec les légats du pape Pierre de Castelnau, Arnaud Amaury, qui menaient, dans la ligne des évêques-soldats, leur entreprise contre les dogmes cathares. Dominique, lui, prônait le retour à l’Évangile, mais sous la mission de l’Église. Ainsi commençait la « prédication de Jésus-Christ », dont le test était la pauvreté.

Pareille mission contre les hérétiques comportait des colloques avec eux, tant publics que privés, poursuivis au milieu des horreurs d’une guerre, que surexcita l’assassinat, en 1208, de Pierre de Castelnau. Après la victoire de Muret (1213), Simon de Montfort, chef des croisés, étendit sa mainmise sur tout le Languedoc avec l’appui des prélats. Dominique, qui entretenait des rapports amicaux avec lui, poursuivit cependant son ministère en marge de la guerre et des répressions brutales.

En 1215, il se transporta de Fanjeaux, centre de ses expéditions voisin du monastère de religieuses qu’il avait fondé à Prouille en 1206, à Toulouse, où se forma autour de lui une équipe de quelques hommes conquis par son ascendant et sa méthode : fondation sans dotation ni terres, sans propriété d’aucune sorte. Un nouvel ordre religieux naissait. La prédication de la Parole de Dieu, témoignée dans la pauvreté évangélique, déterminait son esprit et ses institutions.

Venu à Rome à l’occasion du concile du Latran (nov. 1215), Dominique sollicita auprès d’Innocent III, malgré l’interdiction de nouvelles fondations, la confirmation de cette fonction de « prêcheurs » et de la première communauté de Toulouse. Les premiers Frères adoptaient la règle de saint Augustin, à la fois ouverte à la « vie apostolique » et assez souple pour garantir la liberté du choix de nouvelles institutions, hors la condition monastique. Honorius III approuva la communauté (21 janv. 1217) sous sa dénomination canonique de « prêcheurs », qui en signifiait la finalité.

Dominique prit alors une décision assez surprenante, que l’avenir allait ratifier : loin de retenir sur place ses compagnons, il les envoya par groupes dans les principaux centres universitaires de la chrétienté ; Paris tout d’abord, puis Bologne, Madrid. C’était se rendre indépendant des conjonctures politiques locales et particulières, et apporter une notable contribution à l’universalisme de l’Église, à l’encontre des cloisonnements géographiques et culturels. Les fondations s’enracinèrent rapidement et prospérèrent dans chaque région, en témoignage de la communion de pensée et de mouvement avec les évolutions en cours. Dominique les visita continûment, se donnant pour son compte, en Lombardie, à une mission analogue à celle qu’il avait menée jadis en Languedoc.

En 1220, il convoqua à Bologne des délégués de tous les couvents en un premier chapitre général, qui élabora des constitutions dans lesquelles la fin de l’ordre transposait l’ancien régime monastique, y compris pour un gouvernement analogue à celui des communes, des corporations, des universités, hors de toute structure féodale. En 1221, un nouveau chapitre, enregistrant une extraordinaire expansion, répartit les couvents en huit provinces. Prématurément épuisé, Dominique devait mourir peu après à Bologne, où il fut enseveli. Le pape Grégoire IX, qui avait été son protecteur, le canonisa en 1234.

M.-D. C.

➙ Cathares / Dominicains.

 H. C. Scheeben, Der heilige Dominikus (Fribourg, 1927). / P. Mandonnet, Saint Dominique (Desclée De Brouwer, 1938 ; 2 vol.). / V. Carro, S. Domingo (Salamanque, 1946). / M. H. Vicaire, Histoire de saint Dominique (Éd. du Cerf, 1957 ; 2 vol.). / M. H. Vicaire, Saint Dominique et ses frères (Éd. du Cerf, 1967).