Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dominicains (suite)

De la Renaissance et de la Réforme à la Révolution

Face aux mouvements nouveaux, dans la foi et dans la culture, l’attitude des Dominicains ne fut pas uniforme. Sans doute réagirent-ils en corps contre les « innovations » de Luther et de Calvin, tant par leur prédication que par leur œuvre de controverse. L’un des leurs, il est vrai, Martin Bucer*, passa à la Réforme, dont il devint l’un des docteurs. Cajetan (1469-1534), théologien de classe, maître général de l’ordre, tout en récusant les réponses, pressentit, mieux que beaucoup, la vigueur des problèmes posés, que nous retrouvons aujourd’hui ; malgré son tact, il échoua dans sa mission auprès de Luther (1518).

À Cologne, les Dominicains entrèrent en conflit violent avec Reuchlin* ; mais au couvent de Saint-Jacques, à Paris, Guillaume Petit entretint les meilleures relations avec les protagonistes du nouveau savoir ; conseiller de François Ier, il fit partager au roi son estime pour Érasme, pour Budé, pour Lefèvre d’Étaples et contribua à faire inviter des humanistes étrangers au Collège de France.

La théologie scolastique elle-même se renouvelle. Francisco de Vitoria (v. 1492-1549), enseignant à Paris de 1516 à 1522, puis à Salamanque, en même temps qu’il pose les principes du droit international et, avec son confrère Bartolomé de Las Casas*, défend les Indiens contre les méfaits de la colonisation, introduisit un nouveau style de réflexion théologique. En Espagne encore, Melchor Cano (1509-1560) établit le premier traité des « lieux théologiques », et Domingo de Soto (1495-1560), théologien au concile de Trente, fit bénéficier la théologie morale des transformations économiques et juridiques du monde. Domingo Báñez (1528-1604), intègre protagoniste des controverses sur la grâce, est aussi le soutien de la réforme engagée par sainte Thérèse.

Cependant, l’expansion de la Réforme dans les pays germaniques provoque l’amputation ou l’anémie de provinces entières. À l’intérieur de l’ordre, les mouvements de réforme lui conservent bonne tenue, mais ne vont pas sans contestation, ni sans un certain déplacement de l’axe de la vie spirituelle (influence de la Devotio moderna) et sans une constriction des observances.

Le xviie s. ne manque pas de grandeur. Si la controverse probabiliste absorbe trop d’énergie, si les relations avec le jansénisme ne vont pas sans ambiguïté, du moins une suite de maîtres érudits tels Jacques Goar (1601-1654), François Combefis (1605-1679), Jacques Quétif (1618-1698), Jacques Echard (1644-1724) et Michel Lequien (1661-1733) sont les émules des mauristes et des bollandistes. Le plus remarquable signe de vitalité est l’expansion missionnaire dans le Nouveau Monde et en Extrême-Orient : reprise des grandes expéditions du Moyen Âge en terre d’islām et en Asie, témoignage d’un ordre voué à l’évangélisation. Mais, au xviiie s., dans tous les domaines, l’appauvrissement en nombre, la sclérose des institutions et des études manifestent la défaillance de l’ordre devant l’esprit nouveau. La Révolution française n’aura pas de peine à démanteler cet ordre à partir de 1792.


La restauration

Parmi les résurgences de divers côtés, elle trouve son promoteur en la personne de Lacordaire*, qui, en plein engagement religieux et politique devant l’opinion, entre dans l’ordre (1839), déclenchant non seulement en France, mais dans les divers pays une reprise de vie institutionnelle et apostolique. En Espagne, où un schisme a aggravé la fermeture de nombreux couvents, l’unité se reforme. Dès lors, l’ordre reprend une croissance normale, non sans intelligence des signes des temps.

L’ordre compte actuellement, selon l’index établi en 1967, 10 085 religieux, répartis en trente-neuf provinces, plus une en formation en Afrique centrale. On présume qu’ils étaient 15 000 à la fin du xiiie s. dans un monde beaucoup moins peuplé.

En France, trois provinces groupent 199 (Toulouse), 543 (Paris) et 268 (Lyon) religieux. Une partie notable exerce son activité hors d’Europe, dans les pays dits « de mission ».

Il y a 217 monastères contemplatifs de femmes, avec près de 6 000 moniales, et, groupées en de multiples congrégations apostoliques, 54 000 religieuses du tiers ordre.


Second ordre et tiers ordre

Comme dans tous les ordres religieux s’est développée, à côté d’une branche masculine, une branche féminine, dans des monastères contemplatifs. Un trait originel et original caractérise les Dominicaines : leur première communauté fut fondée par saint Dominique lui-même, groupant à Prouille, dans le Languedoc, dès 1206, au début de son ministère parmi les albigeois, de jeunes femmes converties.

À ces familles masculine et féminine s’ajoute le « tiers ordre », dénomination très significative de l’implantation des nouveaux ordres mendiants dans un monde laïc en promotion culturelle et ecclésiale au xiiie s., car les tertiaires sont des laïcs, hors l’état religieux. D’abord groupes informels, immergés dans les nombreuses formations urbaines où confréries et corporations se croisaient, ces fraternités furent ultérieurement organisées, tant chez les Frères mineurs que chez les Frères prêcheurs, selon des statuts officiels (1284-85). Leur plus notable illustration fut Catherine de Sienne (xive s.), aujourd’hui docteur de l’Église.

Sont classés aussi sous la même dénomination de tiers ordre de nombreux groupes féminins institués en « congrégations » depuis le xviie s., vivant alors en communauté sous une règle religieuse et adonnés à la vie apostolique sous de multiples formes.

M.-D. C.

➙ Dominique (saint).

 T. Ripoll et A. Bremond, Bullarium ordinis Praedicatorum (Rome, 1720-1740 ; 8 vol.). / Monumenta ordinis Praedicatorum historica (Rome, 1896 et suiv. ; 28 vol.). / A. Mortier, Histoire des maîtres généraux de l’ordre des Frères prêcheurs (Picard, 1902-1920 ; 8 vol.). / Archivum Fratrum Praedicatorum (Rome, 1931 et suiv.). / A. Walz, Compendium historiae ordinis Praedicatorum (Rome, 1948). / R. L. Œchslin, D. Abbrescia et S. Axters, « Frères prêcheurs », dans Dictionnaire de spiritualité (Letouzey et Ané, 1964).