Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

Directoire (suite)

Instabilité intérieure et succès militaires (25 oct. 1795 - 4 sept. 1797)

Les cinq directeurs qui détiennent le pouvoir exécutif sont à l’image des assemblées, Cinq-Cents et Anciens, qui les ont désignés (v. Convention nationale). S’ils ont fait la Révolution, ces hommes de la Plaine, comme L. F. Letourneur, de la Montagne, comme Lazare Carnot et Barras, de la Gironde, comme La Révellière-Lépeaux ou cet autre régicide qu’est J. F. Rewbell (ou Reubell), en ont craint la radicalisation. Aussi cherchent-ils à établir une République exempte d’anarchie et capable d’en finir avec la Contre-Révolution. Mais le problème dans l’immédiat, c’est l’argent. Or, avec la guerre qu’ils poursuivent, la crise financière s’aggrave.

Un cri d’alarme est lancé par le Directoire le 21 décembre 1795. L’inflation est à son comble ; 100 livres en assignats de 1791 ne valent plus que 17 sous ; malgré la cadence de la planche à billets et les 39 milliards en circulation, le Trésor est sans argent. Un emprunt forcé, impôt sur le capital, ne rapporte presque rien tant les fraudes sont nombreuses. Un nouveau papier-monnaie est créé le 18 mars 1796 en remplacement de l’assignat. Ce mandat territorial, gagé sur les biens nationaux, peut être utilisé par les détenteurs pour acheter, sans enchères, terres et immeubles de la République. L’échange entre cette nouvelle et l’ancienne monnaie fiduciaire se fait au change faible de 30 pour 1. Mais la nouvelle monnaie connaît le sort de l’ancienne. Dès mars 1796, 100 livres-mandats ne sont cotées que 18 livres ; à la fin de l’année, elles ne vaudront plus que 2 livres, et, en février 1797, le Directoire devra les supprimer.

Pour les masses populaires, et plus particulièrement pour celles qui peuplent les villes, cette inflation est génératrice de misère. Dans l’hiver de 1795, le prix du pain s’enflamme : artisans, ouvriers, mais aussi petits bourgeois et notamment les fonctionnaires souffrent de ne pouvoir acheter le pain, base de leur alimentation. « Les employés les plus favorisés, écrit l’administration du Rhône, ont 450 francs par mois, qui n’en font que 4, pas de quoi acheter leur pain [...]. Ils sont bien en dessous des salaires des hommes de peine. » À Paris, le gouvernement, qui craint l’émeute, décide l’achat et la vente à perte de farine. Mais aussitôt les indigents des campagnes et des villes avoisinantes affluent. Témoin de la misère de cette « population flottante » ce rapport du Directoire en février :

« Les subsistances de Paris coûtent des sommes incalculables au gouvernement : de là l’épuisement du Trésor public [...]. Ainsi cette distribution primitivement établie en faveur de cette commune lui devient fatale et les autres communes, en enviant ses privilèges, ne font que partager ses malheurs [...]. La population actuelle de Paris excède de 150 000 âmes au moins la population ordinaire et chaque jour elle augmente encore, parce que de toutes les parties de la République on est venu habiter une commune où le pain est distribué pour rien. »

Il y a là un terrain favorable à la reprise de l’agitation jacobine. Malgré les offres du Directoire, les Montagnards, qui ont été pourchassés après Thermidor, refusent le ralliement. Certains se regroupent autour de Robert Lindet, de J. B. A. Amar, de Le Peletier de Saint-Fargeau ou de Philippe Buonarroti et adhèrent au club du Panthéon (nov. 1795). Ils poussent leurs amis à pénétrer les administrations et, rêvant de revanche, veulent rétablir le régime de l’an II.

Est-ce le même programme que Babeuf* a en tête ou bien veut-il instaurer le régime communiste, dont il est l’idéologue ? Les historiens sont divisés sur ce point. Mais tous sont d’accord pour saluer dans cet ancien feudiste, fort au courant de la propriété ou de l’exploitation paysanne, le premier des utopistes socialistes du xviiie s. à avoir surmonté la contradiction existant par exemple chez les Montagnards. En l’an II, en effet, ceux-ci ne voulaient-ils pas l’inconciliable : l’égalité des jouissances et le respect de la propriété privée ? Si Babeuf ne préconise qu’un communisme de répartition et non de production, il fait faire à l’idéologie jacobine, sur le plan de la propriété, une brusque mutation. « Plus de propriété individuelle, la terre n’est à personne ; les fruits sont à tout le monde. Disparaissez, révoltantes distinctions de riches et de pauvres, de grands et de petits, de maîtres et de valets, de gouvernants et de gouvernés. Il n’y a qu’un seul soleil, un seul air pour tous. »

Diffusé par le Tribun du peuple, ce manifeste ne touche qu’un petit nombre. L’organisation mise en place par le comité insurrecteur est fragile. La propagande ne pénètre que très imparfaitement l’armée ou la légion de police, sur lesquelles on compte pour un éventuel coup de force. Vite mis au courant par ses indicateurs de l’action projetée, Carnot la devance. Babeuf et Buonarroti sont arrêtés le 10 mai 1796. Une tentative d’insurrection militaire au camp de Grenelle est noyée dans le sang (sept. 1796). Le Directoire gonfle l’affaire. Il cherche à rallier le plus possible d’« honnêtes gens ».

Si ceux-ci sont satisfaits du procès et de l’exécution de Babeuf (mai 1797), ils s’inquiètent d’un régime aussi menacé et près d’être renversé par des anarchistes. Spéculateurs, affairistes et traitants, qui vivent de la corruption entretenue dans les administrations publiques, ou acheteurs à vil prix de biens nationaux, tous rejoignent l’honnête commerçant ou l’industrieux bourgeois dans la peur des possédants. Mécontents aussi des tentatives d’emprunts forcés sur les riches (déc. 1795), certains prêtent l’oreille aux royalistes.

Le royalisme est un Janus qui présente une face modérée et cache celle de la réaction. Les royalistes constitutionnels, autour de l’abbé Brottier et des « Amis de l’ordre » rassurent le négociant, le banquier, l’homme d’affaires ou l’homme de loi nouvellement enrichi. Ils veulent jouer le jeu constitutionnel pour rétablir une monarchie prête à accepter les acquis sociaux de la Révolution. Dans l’ombre, les royalistes « absolus » rejettent toute idée de compromis. Malgré les défaites et la dissolution de leur armée dans l’Ouest, ils croient encore à la prise du pouvoir par la violence et comptent sur des alliés dans l’armée : Pichegru et peut-être Moreau, qui succède à ce dernier à l’armée de Rhin-et-Moselle.

En octobre 1796, l’Institut philanthropique est, pour les uns et les autres, un lieu de rencontre commode. Ils profitent des mesures prises par un pouvoir qui, menacé à gauche, cherche à droite une alliance avec des royalistes modérés qu’il croit prêts, pour défendre la propriété, à se rallier à la République.