Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
D

développement et différenciation (suite)

En fait, ce cas est peu fréquent, et, le plus souvent, une régulation est possible jusqu’à un stade avancé du développement : jusqu’à la fin de la gastrulation chez l’embryon des Vertébrés. Enfin, même lorsque les ébauches des principaux organes sont en place et constituent une mosaïque irréversible, beaucoup de détails de l’organisation ne sont pas encore définitivement fixés : l’embryon conserve une grande malléabilité. Les premières déterminations embryonnaires sont des déterminations d’axe et de polarité. L’axe céphalo-caudal dépend de la répartition des matériaux ovulaires : vitellus, pigment, cytoplasme et en particulier ribonucléoprotéines cytoplasmiques. L’acquisition du plan de symétrie bilatérale suit de près la fécondation et se manifeste par la rotation de la couche externe (pigmentée) du cytoplasme de l’œuf, matérialisée par la trace du croissant gris. La pesanteur, d’une part, et le point d’entrée du spermatozoïde, d’autre part, déterminent le côté ventral et le plan de symétrie bilatérale, ainsi qu’on a pu le montrer en utilisant certains dispositifs d’insémination dirigée. Mais, si l’on sépare (en ligaturant à l’aide d’un cheveu) les deux premiers blastomères selon le plan de symétrie bilatérale, on peut obtenir deux embryons complets. Le même résultat est obtenu sur la blastula, dont le croissant gris matérialise le plan de symétrie, ou la gastrula : ici, c’est par rapport à la lèvre dorsale du blastopore que l’on s’oriente. Par contre, toute séparation faite selon un autre plan aboutit à un embryon complet mais unique, dérivé de la partie qui comporte le croissant gris ou la lèvre dorsale du blastopore, c’est-à-dire le champ cordo-mésodermique. L’autre partie dégénère. Le cordo-mésoderme représente donc une véritable ébauche déterminée. Les autres secteurs ne sont que des ébauches présumées, susceptibles d’être modifiées si l’embryon subit une perte importante tout en conservant le matériel cordo-mésodermique. Au stade neurula, aucune régulation n’est plus possible : la neurula est une mosaïque de territoires déterminés où les capacités régulatrices ont disparu.

Les expériences célèbres (1918-1924) de Hans Spemann (1869-1941) ont précisé le rôle joué par la lèvre dorsale du blastopore et permis de mettre en évidence la notion d’induction.


Notions de centre organisateur et d’induction

Spemann et ses élèves pratiquaient des transplantations entre des embryons d’Amphibiens ; leur méthode consistait à exciser un fragment d’une gastrula et à le greffer sur une autre gastrula, à des places différentes et à des moments variés de la gastrulation. Un fragment de neuroblaste présomptif implanté sur la face ventrale d’un embryon du même âge se développe conformément à la destinée du territoire sur lequel il se trouve et non selon son origine : le fragment de neuroblaste n’était donc pas déterminé de façon absolue ; sa différenciation est influencée par un facteur émanant de son nouvel entourage. L’expérience fondamentale consiste à prélever la lèvre dorsale du blastopore d’une gastrula pigmentée d’un Triton de l’espèce Triturus tœniatus et à la greffer sur la face ventrale d’une gastrula non pigmentée d’un Triton de l’espèce T. cristatus. Dans un liquide physiologique, la cicatrisation se fait au bout d’une heure ; on laisse alors le germe hôte évoluer. On peut, a priori, envisager deux hypothèses : le greffon s’intègre aux tissus de l’hôte ou, déjà déterminé, il évolue conformément à sa nouvelle détermination et donne de la corde et quelques somites dans l’embryon hôte. C’est un troisième résultat, inattendu, qui est obtenu. Dans les cas les plus favorables, on obtient deux embryons accolés qui peuvent poursuivre leur développement pendant plusieurs mois quelquefois. Une coupe transversale montre que seule la corde et une partie du myotome de l’embryon secondaire sont pigmentées comme l’étaient les cellules du greffon ; les autres tissus, surnuméraires, ne sont pas pigmentés et ont donc été différenciés aux dépens du matériel cellulaire de l’hôte. Le territoire greffé était déjà déterminé, et il a évolué conformément à cette détermination, mais il a, de plus, induit la formation d’un axe nerveux complet : l’ectoderme ventral, au lieu de donner des dérivés épidermiques banals, a évolué en cellules nerveuses. De même se sont formés du côté ventral, dans une région où ils ne sont pas normalement localisés, des muscles, du pronéphros, un tube digestif. Les organes induits ne sont pas des formations chaotiques : l’embryon secondaire qui se constitue est harmonieux comme il l’aurait été au cours d’une embryogenèse normale. Aussi, cette région de la lèvre dorsale du blastopore porte-t-elle le nom de centre organisateur, que lui a donné Spemann. Depuis, en étudiant d’autres groupes animaux (Vertébrés et Invertébrés), on a pu montrer que le phénomène d’induction s’observe dans tous les types de développement, qu’il ne se limite pas à l’organogenèse initiale de l’embryon, mais qu’il intervient au cours de l’édification d’organes bien déterminés provenant de l’association de tissus différents. L’organisateur primaire détermine immédiatement, par exemple, la formation de la plaque neurale, et, à la fin de la neurulation, des organisateurs secondaires entrent en jeu dans diverses régions de la plaque neurale et président à la formation d’organes spécialisés tels que yeux, fosses nasales, branchies, dents. Il s’agit d’une chaîne de réactions où chaque étape du développement est déterminée par l’étape précédente et détermine l’étape suivante. Mais, là encore, rien n’est définitif : les effets d’une lésion peuvent être réparés grâce aux propriétés régulatrices que conservent certains territoires embryonnaires. Bien entendu, la différenciation cellulaire et l’organogenèse dans les conditions normales sont sous la dépendance de gènes, supports matériels des caractères héréditaires. Cependant, la nature de l’inducteur, recherchée de façon systématique, n’est toujours pas élucidée.