Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
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Dauphiné (suite)

Entre 1440 et 1457, le Dauphiné est gouverné directement par Louis II (le futur roi Louis XI*), qui s’y établit effectivement et qui l’agrandit en 1447 de Montélimar et en 1450 de Vienne. Surtout, il rétablit en 1446 l’éphémère Conseil delphinal de 1336 ; en tant que grand conseil politique, il institue une chancellerie delphinale en 1447, regroupe la même année les sept bailliages de la fin du xiiie s. en deux bailliages et une sénéchaussée, fonde en 1452 l’université de Valence et érige en 1453 le Conseil delphinal en parlement du Dauphiné. Mais, devenu roi, il inaugure le régime du « roi-dauphin » qui aboutit à l’union définitive de la principauté au royaume en 1560.

Son contrôle par le souverain s’avère, en effet, une nécessité stratégique. Ouvrant un accès direct à la péninsule italienne par le col du Mont-Genèvre, la route Lyon-Turin voit passer Charles VIII en 1494, Trivulce en 1499, Louis XIII en 1629, qui décide d’en contrôler le débouché oriental en annexant Pignerol au royaume, de 1631 à 1706.

Illustré par la participation de sa petite noblesse aux guerres d’Italie (Bayard), le Dauphiné en supporte les conséquences. Celles-ci sont aggravées par les destructions consécutives aux guerres de Religion, particulièrement âpres dans ce pays pénétré dès 1523 par les idées réformées. Aux dévastations et aux massacres commis par les chefs protestants — le baron des Adrets (1513-1587) en 1562-1563, Charles Dupuy de Montbrun (vers 1530-1575) de 1567 à 1575, Lesdiguières de 1575 à 1590 — répondent les cruautés des ligueurs catholiques. Maître de Grenoble le 23 décembre 1590, François de Bonne de Lesdiguières (1543-1626) est reconnu par Henri IV comme gouverneur du Dauphiné (1591-1626), dont il écarte le duc de Savoie, Charles-Emmanuel Ier (1591-1601). Après sa disparition, en 1626, les états du Dauphiné sont suspendus en 1628, et la province est dotée d’un intendant en 1630.

Malgré deux invasions savoyardes au temps des guerres de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) et de la Succession d’Espagne (1701-1714), malgré la révocation de l’édit de Nantes (1685), qui provoque une importante émigration protestante, le Dauphiné connaît une grande prospérité économique de 1730 à 1820 (multiplication des forges et des manufactures ; mise en place des premières concentrations industrielles dans le textile).

Le 21 août 1787, le parlement de Grenoble réclame le premier la convocation des États généraux. Marquée le 7 juin 1788, par la journée des Tuiles, l’opposition bourgeoise aboutit les 14 juin et 21 juillet 1788 à la réunion des assemblées de Grenoble et de Vizille, qui obtiennent la convocation des états du Dauphiné à Romans (1er déc. 1788 - mi-janv. 1789) et celle des États généraux, animés par deux Dauphinois, Jean-Joseph Mounier (1758-1806) et Antoine Barnave (1761-1793), à partir de mai 1789.

Partagé en 1790 par la Constituante en trois départements (Isère, Hautes-Alpes et Drôme), le Dauphiné se révèle hostile à la Terreur. Favorable au régime bonapartiste institué en 1799 mais opposée à la Restauration, la bourgeoisie libérale élit l’abbé Grégoire comme député de l’Isère en 1819, et se rallie à la Monarchie de Juillet, dont Casimir Perier (1777-1832) consolide les bases politiques.

Enfin, lorsque Aristide Berges fait de sa papeterie de Lancey la première usine hydro-électrique de France, en 1869, il ouvre au Dauphiné un avenir de grande région industrielle.

P. T.


L’art

Pays de contact, dépourvu d’unité et accueillant des influences variées, le Dauphiné possède un patrimoine artistique complexe, sans grand caractère régional. L’Antiquité romaine et le Moyen Âge sont ses deux plus grandes époques.

« Vienne* la Belle » surtout, admirée par Martial, fut une colonie de Jules César fort célèbre dans l’Empire. Il en subsiste d’importants vestiges, à commencer par le temple d’Auguste et de Livie, et les fouilles ont livré d’innombrables objets, des sculptures, de très belles mosaïques. Die ne conserve debout que la porte Saint-Marcel, arc romain doublé d’une porte fortifiée au Moyen Âge, mais possède un petit musée d’antiquités.

Comme en Provence et en Bourgogne, l’art médiéval s’est nourri des modèles de l’Antiquité. Après les destructions des Vandales et des Wisigoths, un édifice bien conservé représente aux vie-viie s. l’architecture de l’époque mérovingienne, la crypte de l’église Saint-Laurent de Grenoble. Saint-Pierre de Vienne, ravagée au ixe s. par les Arabes et par les Francs, a été remaniée à l’époque romane. L’ancienne cathédrale d’Embrun (fin du xiie s.) témoigne d’apports transalpins directs, avec son porche nord aux deux colonnes portées par des lions couchés, avec l’alternance lombarde des assises de pierres noires et blanches jusque dans les voûtes.

L’art roman a pris un accent plus marqué à Vienne, à Valence et dans le Tricastin. À Vienne, la sculpture des chapiteaux de la cathédrale (consacrée en 1107) annonce les chefs-d’œuvre de l’église Saint-André-le-Bas. La cathédrale de Valence (fin du xie - début du xiie s.) offre un déambulatoire à quatre chapelles rayonnantes sans équivalent en Dauphiné et importé sans doute du Velay et de l’Auvergne ; l’édifice a été reconstruit en partie au xviie s., mais à l’identique, ce qui témoigne d’un souci archéologique rare à l’époque. Au sud, en Tricastin, la cathédrale de Saint-Paul-Trois-Châteaux comme l’église de Saint-Restitut doivent beaucoup à la Provence, tout en paraissant antérieures aux chefs-d’œuvre de Saint-Gilles-du-Gard et d’Arles (seconde moitié du xiie s.) : c’est dire leur intérêt.

Dans les arts de la couleur, l’ensemble des fresques de Saint-Chef (fin du xie ou xiie s.) est exceptionnellement complet et d’un grand intérêt pour l’étude de la peinture romane. Dans la chapelle haute, la Jérusalem céleste et les vingt-quatre vieillards de l’Apocalypse s’inspirent d’une iconographie orientale venue par l’intermédiaire de Cluny, mais traitée dans une gamme colorée d’une savante et mystérieuse douceur.