Mouvement d’art et de littérature qui se développa entre 1915 et 1923 environ.
C’est la cristallisation la plus explosive de la révolte contre la situation de plus en plus contraignante du monde occidental, situation qui, se dégradant depuis le milieu du xixe s., trouva son expression la plus significative dans l’hécatombe de la Première Guerre mondiale. Avec dada, la révolte quitte le plan de l’individu en marge et solitaire (Rimbaud, Lautréamont, Laforgue) ; elle se socialise, s’internationalise même et se propage comme un virus tendant à détruire la société en s’attaquant plus particulièrement à l’art qui la représente.
Généralités
De prime abord, dada s’en prend au langage — quotidien, plastique, littéraire — et, avec ses deux syllabes qui ne veulent rien dire, dada est le point de départ ex nihilo d’un programme qu’il s’empresse de nier au fur et à mesure. La surprise, la trouvaille proposées par Apollinaire* ne suffisent plus : le scandale devient obligatoire pour remuer de fond en comble les données sociales, qui ne sont plus acceptables. Les idées toutes faites doivent disparaître ; il faut même empêcher qu’elles ne se reproduisent dans des formes nouvelles, fussent-elles révolutionnaires. Dada sait bien que le nouveau vieillit, et il se charge de précipiter sa chute, de crainte qu’il ne s’instaure et ne finisse par jouer le rôle qu’il condamnait. Dada n’est pas dupe. « Nous savons sagement que nos cerveaux deviendront des coussins douillets, que notre antidogmatisme est aussi exclusiviste que le fonctionnaire et que nous ne sommes pas libres et crions liberté. » Mais la vitalité inépuisable de dada empêche ce nihilisme de devenir désespéré. Dada trouve toujours de quoi nourrir son impitoyable voracité, défiant la logique la plus irrationnelle et détruisant encore l’irrationalité conquise pour parvenir à une absurdité joyeuse. Dada se complaît dans cette provocation permanente. Il est souvent grotesque ; il est tout à fait satisfait quand il devient parfaitement idiot. « Dada travaille de toutes ses forces à l’instauration de l’idiot partout. Mais consciemment. Et tend lui-même à le devenir de plus en plus. » À la suite de cette entreprise de « crétinisation » totale, peut-être sera-t-il possible d’envisager quelque action positive. Mais, pour l’instant, le problème ne se pose pas. Il faut crier son dégoût, être « signal d’alarme ».
Zurich : février 1916. Hugo Ball, metteur en scène allemand, fonde le cabaret Voltaire « pour jouir de son indépendance, mais aussi pour la prouver ». Programme des plus vagues. Une seule certitude : il est contre la guerre. Il invite à se joindre à lui tous ceux qui se reconnaissent dans cette prise de position. Marcel Janco, peintre roumain, Tristan Tzara*, poète roumain, Hans Richter, peintre allemand, Walter Serner, écrivain autrichien, anarchiste et cynique ; et bientôt Hans Arp, Richard Huelsenbeck, ami de Ball, tout un groupe éclectique réfugié en Suisse pour des raisons diverses se réunit au cabaret Voltaire.
À ses débuts, le cabaret Voltaire se contente d’être une avant-garde raisonnable. On y expose dans une galerie dada des œuvres de De Chirico, Klee, Kandinsky, et les soirées se passent à réciter des poèmes — d’Apollinaire — et à chanter des mélodies. Une revue, le Cabaret Voltaire, est fondée. Mais c’est le 18 avril qu’« un mot est né, je ne sais comment » (Tzara). Il paraîtrait que c’est en glissant un stylet entre les pages d’un dictionnaire Larousse que ce mot dada fut trouvé, précisant la naissance de ce mouvement encore larvaire et qui deviendra bientôt aussi incongru que le mot qui le désigne. Mot qui fera fortune et dans lequel viendront échouer toutes les notions qui refusent de se cataloguer dans des formules déjà faites. Tout est dada, tout ce qui refuse et refuse encore de refuser, ne voulant qu’attaquer, provoquer.
Très vite, et sous l’instigation de Tzara, plus dynamique et Imaginatif que Ball, dada s’excite et ne connaît plus de bornes à ses mesures.
Durant des soirées qui resteront mémorables, on récite des poèmes dits « phoniques », du genre : « gadji beri bimba laula louni cadori ».
On s’exerce consciencieusement à la technique du chahut organisé.
On se livre à la provocation systématique en détruisant les valeurs les plus chères : le travail, la patrie, la famille.
Les spectateurs les plus éclairés protestent, s’insurgent.
Peu à peu, le spectacle est dans la salle, à la grande joie des « organisateurs ».