Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre II (suite)

 M. Paléologue, le Roman tragique de l’empereur Alexandre II (Plon, 1923). / H. S. Watson, The Decline of Imperial Russia, 1855-1914 (Londres, 1952). / R. Pipes (sous la dir. de), The Russian Intelligentzia (New York, 1961). / C. de Grunwald, le Tsar Alexandre II et son temps (Berger Levrault, 1963).

Alexandre III

En russe Aleksandr III Aleksandrovitch (Saint-Pétersbourg 1845 - Livadia 1894), empereur de Russie de 1881 à 1894.



L’avènement d’un colosse

Alexandre III est un colosse, mais un colosse en uniforme, qui conduira son empire comme un régiment. Il n’a pas été destiné au trône. Second fils d’Alexandre II et de Maria Aleksandrovna, il a vingt et un ans quand son frère aîné Nicolas meurt de phtisie à Nice (1865). Nicolas était fiancé à l’intelligente et ambitieuse Marie-Sophie Frédérique Dagmar, fille du roi de Danemark Christian IX. Six mois après la mort de son fiancé, Sophie épouse le nouveau tsarévitch Alexandre, sur qui elle prendra un grand ascendant.


Le retour à l’autocratie

Quand il monte sur le trône, le 13 mars 1881, Alexandre III passe pour un libéral. Mais la vue du cadavre ensanglanté et déchiqueté de son père balaie, dans l’esprit du nouveau tsar, les velléités de concessions qu’avait laissées subsister une éducation fondée sur le respect sans critique de la religion orthodoxe et de l’ordre social. À Loris-Melikov, qui lui demande s’il faut promulguer le manifeste constitutionnel préparé par Alexandre II, le jeune empereur répond par un refus. Aux nihilistes qui, une dizaine de jours après son accession au trône, lui adressent un ultimatum réclamant l’amnistie pour tous les condamnés politiques, une Constitution représentative de toutes les classes de la nation, la liberté de réunion et la liberté de presse, le tsar répond, en mai, par un oukase où il déclare compter « sur sa foi dans la force et la vérité de son pouvoir autocratique pour rétablir l’ordre ». Quelques semaines plus tard, rencontrant l’empereur d’Allemagne Guillaume Ier à Dantzig, il s’entretient avec lui de l’agitation socialiste ; c’est à la suite de cette entrevue que le tsar prend un oukase (septembre 1881) refondant les règlements destinés à combattre le nihilisme anarchiste. Cet oukase classe les provinces en trois catégories : les provinces qui ne sont pas déclarées en état insurrectionnel et où l’autorité a simplement le droit de frapper les suspects de sept jours de prison préventive ; celles qui sont « à l’état de protection renforcée », où l’autorité peut interdire toute réunion populaire, même privée, et juger à huis clos qui bon lui semble ; enfin les provinces déclarées « à l’état de protection extraordinaire », où le séquestre, la condamnation administrative, la suspension des journaux, l’expulsion sont la règle ordinaire.

Sans étouffer le nihilisme, ces mesures — dont le ministre de l’Intérieur, Dmitri Andreïevitch Tolstoï, est l’implacable exécutant — réduisent considérablement le nombre des attentats. Mais longtemps la vie du jeune empereur reste menacée. Retiré dans son palais de Gattchina, Alexandre III ajourne jusqu’en mai 1883 la solennité du sacre. À Moscou, où la grandiose cérémonie a lieu le 27 mai 1883, plus de quinze mille hommes, parmi lesquels tous les propriétaires de maisons, sont engagés comme policiers volontaires.

L’éternelle et lourde bureaucratie russe triomphe de nouveau sous Alexandre III, qui prend le contre-pied de la politique de son père. Sans doute maintient-il les zemstvos créés par Alexandre II, mais aux juges de paix élus par les membres de ces assemblées il substitue des chefs de canton, nommés par le pouvoir et choisis dans la noblesse. Ainsi, le mir perd-il son autonomie caractéristique. Ce qui ne veut pas dire que le tsar soit insensible à la misère du peuple russe. Quand il arrive au trône, il reste en Russie plus de trois millions de paysans placés sous la tutelle sévère de leur ancien seigneur, incapables qu’ils sont de lui payer la terre autrement qu’en corvées. Par un oukase du 9 janvier 1892, Alexandre III indemnise les seigneurs en billets de banque ; les paysans n’ont désormais d’autre créancier que l’État, qui leur accorde de longs délais de remboursement.


L’âme du règne : Pobedonostsev

L’esprit de simplification, qui lui semble devoir être le plus solide ressort de l’autorité impériale, Alexandre III l’applique aux allogènes, aux minorités et aux non-orthodoxes. N’a-t-il pas obligé, par oukase, l’héritier présomptif du trône et son fils aîné à épouser une princesse de foi orthodoxe ? En ce domaine, le tsar subit l’ascendant du procureur général du saint-synode, Konstantine Petrovitch Pobedonostsev (1827-1907), qui a été son précepteur.

Disciple de Joseph de Maistre et de Louis de Bonald, Pobedonostsev est convaincu de la méchanceté naturelle de l’homme et du poids du péché originel ; celui qui sera de 1880 à 1905 le véritable maître de l’Église russe se pose en adversaire acharné des idées occidentales, du libéralisme, du rationalisme. Son culte pour l’orthodoxie n’a d’égal que son culte pour l’autocratie. Ennemi de toute aspiration particulariste, le procureur général du saint-synode intensifie la russification des provinces baltes et de la Finlande. Les luthériens baltes, les catholiques lituaniens, les juifs sont persécutés, poursuivis, soumis à d’intolérables pressions, tandis que la Pologne russe sent plus lourdement que jamais peser sur elle le joug du tsar, « curateur et protecteur de l’Église orthodoxe ».

À cette russification des minorités de l’Empire correspond tout naturellement un panslavisme conquérant.


L’alliance franco-russe

Pour mieux établir son « protectorat moral » sur les populations slaves de l’Empire austro-hongrois, plus encore sur celles de l’Empire turc, Alexandre III cherche un allié sûr en Europe. C’est la France républicaine, la France isolée d’après 1871 qui semble devoir être le partenaire le plus solide. Mais si la civilisation et la culture françaises jouissent en Russie d’un renom sans pareil, les classes dirigeantes se méfient de la « patrie de la Révolution ».