Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
A

Alexandre II (suite)

Le « tsar libérateur »

Entre Alexandre II le libérateur et son père Nicolas Ier le despote, le contraste est absolu. De son père, Alexandre n’a hérité que la haute taille, l’élégance et cette régularité des traits qui frappe tant chez les derniers Romanov. Pour le reste, il est tout autre chose que « le premier des officiers russes » : méditatif, il est formé aux sentiments délicats par son précepteur, le poète Joukovski, et nourri des œuvres de Mickiewicz, de Herzen, de Tourgueniev.

Lorsqu’il monte sur le trône, le 2 mars 1855, il commence par débarrasser la Russie du poids de la guerre de Crimée, qui tourne au désastre. Grâce à l’habileté d’Aleksandr Mikhaïlovitch Gortchakov (1798-1883), les clauses du traité de Paris (30 mars 1856) sont moins onéreuses que le tsar n’aurait pu le craindre. Cette même année, Alexandre annonce sa volonté d’abolir le servage.

Donnant l’exemple, Alexandre libère les serfs de la couronne, leur laissant la terre moyennant des annuités payables en quarante-neuf ans. La grande-duchesse Ielena Pavlovna, tante du tsar, l’imite sur ses terres ducales. D’autres nobles suivent, mais la masse de l’aristocratie se montre rétive : les assemblées des notables, en 1859 et 1860, sont tellement houleuses que le tsar les dissout et passe outre. Le 3 mars 1861 paraît l’oukase décrétant l’abolition du servage sur tout le territoire de l’empire. Le paysan libéré obtient gratuitement la propriété de sa maison et de son jardin mais, contrairement aux intentions primitives du tsar, il n’y a pas de redistribution des terres. Les champs deviennent propriété collective des nouvelles communautés rurales constituées ; ils appartiennent à l’assemblée des paysans, ou mir, qui, périodiquement, doit les répartir entre ses membres.

Cette réforme capitale ne devait satisfaire personne : ni le moujik, qui devenait le débiteur du mir, ni le noble dépossédé.

Plus timide est l’effort fait par Alexandre II sur le plan constitutionnel et administratif. À une réforme fondamentale primitivement élaborée, le tsar substitue des réformes partielles, dont la plus spectaculaire est la création de zemstvos (1864), assemblées de districts élues par la noblesse, les gens des villes et les paysans.


La révolte

En marge de l’empire tsariste, la Pologne meurtrie tourne les yeux vers le « tsar libérateur ». Elle en espère au moins le retour à l’autonomie perdue à la suite de la révolution de 1830. Mais rien ne vient, ou plutôt le tsar commet une faute qui transforme, aux yeux des Polonais, une mesure d’apaisement en un geste de défi. En 1861, Alexandre II croit bien faire en nommant chef de l’administration civile un Polonais : le marquis Aleksander Wielopolski. Or, celui-ci est détesté par les Polonais, qui lui reprochent son attitude cauteleuse à l’égard des Romanov. Le 22 janvier 1863, la révolte éclate, l’indépendance polonaise est proclamée. Mais la Pologne est seule contre la Russie. Dès le mois de mai, la lourde machine tsariste commence à l’écraser. Berg et Mouraviev — « le pendeur » — se chargent rapidement, eux aussi, de faire « régner l’ordre à Varsovie ».

Cette révolte semble avoir éloigné Alexandre II de l’intelligentsia russe au moment précis où celle-ci devient le ferment de ce monde à la fois morbide, véhément, tourmenté et exalté dont un Dostoïevski dans Crime et Châtiment, un Tourgueniev dans Pères et fils ont traduit l’inoubliable exaltation. D’abord marqué par le positivisme d’Auguste Comte — c’est le cas de Dobrolioubov et de Pissarev —, le nihilisme russe, sous l’influence de Tchernychevski, s’intéresse moins, après 1870, à l’explication des phénomènes sociaux qu’à l’action pratique et à l’étude des questions économiques. Puis les poursuites gouvernementales poussent les nihilistes extrémistes vers l’anarchisme de Bakounine. Alors, les attentats se multiplient, et la haine à l’égard du régime tsariste s’exaspère de la dure répression gouvernementale.


L’humiliation et la mort

La politique impérialiste et panslaviste du chancelier Gortchakov semble avoir accéléré le mouvement de désillusion générale en décimant l’armée, en créant d’énormes difficultés financières, en humiliant inutilement la patrie et en amenant le tsar à revenir partiellement sur une partie de ses concessions libérales. Fier de ses succès au Caucase et en Sibérie, Alexandre II croit le moment venu, en 1871, de prendre le contre-pied du traité de Paris de 1856. Il se présente aux populations balkaniques comme le protecteur — voire le libérateur — des Slaves contre les Turcs. En 1878, à l’issue d’une campagne atroce, les Russes forcent le Sultan, à San Stefano, sous les murs de Constantinople, à s’humilier devant le tsar.

Lendemains désenchantés du traité de San Stefano ! Mystification du congrès de Berlin (juin-juill. 1878), où Bismarck, souriant, traite Gortchakov comme un gamin ! Tandis que la Bosnie-Herzégovine est en fait livrée à l’Autriche, la Russie, jouée par l’Angleterre, ne conserve de ses conquêtes que Kars et Batoumi. Déjà se construit l’échiquier dont les jeux diplomatiques, trente-cinq ans plus tard, produiront la Première Guerre mondiale.

À la flambée de nihilisme qui suit ces événements, Alexandre II, conseillé par Loris-Melikov, ministre de l’Intérieur à partir de 1880, veut répondre par l’apaisement. Le dimanche 13 mars 1881, il signe un manifeste constitutionnel qui doit être publié le lendemain. L’annonce de cette Constitution — qui aurait pu sauver la Russie de l’anarchie et du despotisme — poussa peut-être le parti révolutionnaire à en prévenir la promulgation par un crime. Au retour de la parade dominicale de la garde, le tsar échappe à un premier attentat à la bombe. Il veut voir les blessés et le meurtrier ; mais alors qu’il descend de voiture, un complice jette sous l’empereur une autre bombe qui le déchiquette. C’est un agonisant qu’un traîneau ramène au Palais d’hiver.

P. P.

➙ Pologne / Romanov / Russie.