Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Couperin (les) (suite)

Sa vie, qui s’écoule entre Paris et la cour de Versailles — sauf entre 1715 (mort de Louis XIV) et 1722 (retour de Louis XV au château de ses ancêtres) —, se confond avec son œuvre. Mais cette œuvre tombe vite dans un oubli de plus d’un siècle, jusqu’au jour où Jean-Bonaventure Laurens, qui se disait « antiquaire musical », publie, en 1841, une anthologie de ses pièces de clavecin. C’est Brahms et Friedrich Chrysander qui éditeront toute l’œuvre en 1886-1888, et c’est une Australienne, Mrs. Dyer, qui devait prendre l’initiative, en 1933, d’une édition générale de l’œuvre vocale et instrumentale de Couperin.

Outre quelques airs sérieux, brunettes et chansons à boire à une, deux ou trois voix, Couperin a laissé de nombreuses pages de musique religieuse à deux et trois voix traitées la plupart du temps sous la forme du motet ou de la cantate. Certaines de ces partitions sont datées des années 1704-05 : elles avaient été écrites sur l’ordre du roi pour être chantées à Versailles ou à Fontainebleau. Parmi ces œuvres, citons le Laudate Dominum, le Venite, exultemus, le motet de sainte Suzanne, la cantate Victoria, toute musique visant à une agréable fusion entre le beau chant français et les accents plus humains, les airs de vitesse des partitions italiennes. De cet ensemble de musique religieuse se détachent trois Leçons de ténèbres, écrites pour une abbaye de femmes des environs de Paris, les deux premières à une voix et la troisième à deux voix : cette dernière, qui traite en rondeau les lettres hébraïques de chaque verset des leçons, apparaît, avec sa basse chiffrée et ses recherches harmoniques de style madrigalesque, comme une des plus hautes inspirations lyriques de l’organiste de la chapelle royale.

Avant d’accéder à ce sanctuaire, Couperin, dès l’âge de vingt ans, s’était essayé à de courts versets d’orgue groupés sous deux rubriques : Messe propre pour les convents de religieux et religieuses et Messe à l’usage ordinaire des paroisses pour les fêtes solennelles. Ces deux groupements s’opposent par le style et la couleur. Pour les couvents, Couperin restreint sa palette à la tonalité unique de sol majeur ; les versets destinés au commentaire des prières de l’ordinaire, de même que l’offertoire et l’élévation, font alterner méditations tendres ou élégiaques dans un climat d’aimable facilité. Dans la messe destinée aux paroisses, Couperin paraphrase le thème grégorien du Kyrie « Cunctipotens » ; il écrit de courtes fugues ; de verset en verset, il se permet de passer d’une tonalité à une autre. En bref, il agrandit considérablement son horizon, jusqu’à composer un offertoire tripartite où il donne des preuves irréfutables de sa technique compositionnelle et de sa haute virtuosité. On imagine facilement que ce dernier recueil a retenti souvent à Versailles, le roi ayant de bonne heure montré une sympathie particulière à celui qu’il avait choisi pour l’un des organistes « par quartier » de sa chapelle, dès 1693.

Vingt ans plus tard, nous le retrouverons auprès du vieux monarque, composant, pour soulager les misères physiques ou morales de celui-ci, quatre Concerts royaux pour instruments (flûte, hautbois ou violon, viole de gambe ou basson, autour d’un clavecin), auxquels il adjoindra dix autres concerts, intitulant le tout, lors de la publication qu’il devait en assurer en 1722-1724, les Goûts réunis.

Passant de la musique pure à la musique évocatrice, voire pittoresque ou à programme, Couperin, qui avait souhaité parvenir à une fusion entre l’esthétique française et l’esthétique italienne, a entendu rendre un égal hommage, par deux grandes sonates à trois, dites « Apothéoses », aux héros de chaque école : Lully (1724) et Corelli (1725). L’année suivante (1726), sous le titre les Nations, il reprend trois des premières sonates qu’il avait composées en sa jeunesse (1692-93) et il les dénomme la Française, l’Espagnole, la Piémontaise : œuvres auxquelles il ajoutera la sonate dite l’Impériale. Chacun de ces quatre « ordres » groupe les anciennes sonates augmentées de suites de danses d’un grand intérêt polyphonique. Si le temps lui en avait été laissé, il est à penser qu’il aurait fait figurer, dans un second livre, les sonates retrouvées plus tard, comme la Superbe ou la Steinkerque (celle-ci faisant allusion aux bruits de guerre de la bataille qui porte ce nom) ainsi que la magistrale sonate à quatre dite la Sultane, qu’il dut écrire à l’intention de la duchesse de Bourgogne, à l’occasion du bal où celle-ci parut costumée en sultane.

À la fin de sa vie, et comme pour rendre un témoignage aux plus illustres de ses collègues touchant la viole de gambe (Marin Marais, Antoine Forqueray), Couperin devait verser au répertoire de cet instrument deux suites magnifiques pour une ou deux violes. C’est dans l’une d’elles que l’on trouve cette célèbre Pompe funèbre, l’un des plus purs et déchirants « tombeaux » qui soient.

Mais l’essentiel du message de Couperin réside surtout dans les deux cent quarante pièces qu’il a laissées pour le clavecin, et dont les premières remontent sans doute aux années 1692-1695, durant lesquelles le prince commençait à lui confier l’éducation musicale de ses enfants. Cette œuvre, qu’il double, en 1716, d’une méthode intitulée l’Art de toucher le clavecin (livre s’enrichissant de préludes donnés là à titre d’exemples), groupe quatre livres réunissant vingt-sept « ordres » : nom emprunté par l’auteur à l’histoire sociale de son temps, et qu’il préférait sans doute au terme suite. Ces livres parurent en 1713, 1717, 1722 et 1730. Chacune de ces pièces constitue un tout dont la perfection formelle et technique est à l’égal du sentiment et de l’esprit qui les animent. Binaire, chacune de leurs deux parties s’arrête à la barre de reprise ; il s’y adjoint parfois une petite coda en écho, qui peut reprendre certaines formules cadentielles de la dernière partie. Les premières créations de Couperin épousent encore la forme de l’allemande, de la courante, de la sarabande et du menuet. Puis l’auteur abandonne l’intitulé chorégraphique pour se faire le serviteur attendri ou naïf, ironique ou espiègle de la pièce de caractère, du portrait psychologique ou de la page pittoresque. Cela ne l’empêchera pas d’apercevoir ou de brosser des fresques comme les Fastes de la grande et ancienne ménestrandise ou les Folies françaises, dans lesquelles il peint, sur une basse contrainte, les dominos masqués et agrémentés de différentes couleurs qu’il a vu tourner à la ville.

Car il est d’abord musicien citadin, se promenant dans le Marais en regardant passer les Notables, la Commère, la Laborieuse, en assistant au travail de la Fileuse, en se laissant prendre aux agaceries du Tour de passe-passe ou en écoutant sonner le Réveil matin.