Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

correspondance (suite)

Un pas de plus dans l’élaboration littéraire nous amène à la lettre de Guez de Balzac ou à celle de Voiture, véritables morceaux de style, prétextes à dissertation ou à badinage. Balzac, que ses contemporains appelaient l’unico éloquente, n’a pas dissimulé ses véritables intentions : « Il n’a tenu qu’à la fortune, dit-il, que ce qu’on appelle lettres n’ait été harangues ou discours d’État. »

Il faut faire une place à part à la lettre d’amour, qui se distingue profondément des autres par son inspiration. Son auteur est mû non par un désir de faire connaître des événements, des faits, des anecdotes, des idées, mais par un véritable besoin intérieur, celui d’exprimer la part la plus intime de lui-même pour toucher une âme dont il est capital qu’il soit compris. Le sujet de la lettre est, pour celui qui l’écrit, une matière essentielle, unique, mais infiniment variée, impossible à rendre dans sa totalité, qui l’oblige à une quête exigeante et souvent douloureuse de l’expression juste. Les recherches de style y sont donc conçues non comme un ornement, mais comme une nécessité. Ces caractères, on le voit, sont ceux mêmes qui président à la création littéraire dans ce qu’elle a de plus profond. La similitude s’accentue encore lorsque l’être qui aime et qui écrit a l’impression de ne pas rencontrer d’écho. « J’écris plus pour moi que pour vous », dit la Mariane des Lettres portugaises : bien des amants malheureux pourraient reprendre cette phrase à leur compte. Seul demeure le besoin de s’exprimer. La lettre, dès lors, n’est pas plus écrite en fonction de son destinataire que l’œuvre littéraire en fonction d’un lecteur déterminé.

Une histoire d’amour racontée par lettres réunissait les principales conditions — unité et variété de l’action, caractère « littéraire » de l’écriture — qui pouvaient donner naissance à un nouveau type de roman. Les Lettres portugaises de Guilleragues*, première œuvre qui mérite le nom de roman épistolaire (1669), se présentent en effet sous la forme de cinq lettres qu’une belle abandonnée écrit à son infidèle amant. La forme épistolaire confère à une histoire certains caractères particuliers : l’événement est rapporté avec quelque délai, mais il multiplie son effet sur les personnages, puisque ceux-ci en sont touchés lorsqu’ils le vivent, lorsqu’ils l’écrivent, lorsqu’ils ont connaissance des réactions de ceux à qui ils l’ont rapporté. La forme épistolaire permet en outre au romancier de résoudre d’un coup le problème de la vraisemblance : puisque le narrateur est forcément chaque fois un personnage de l’action, il n’est pas arbitraire qu’il puisse rapporter non seulement ce qu’il fait, mais aussi ce qu’il pense, ce qu’il sent. Cet avantage fut si bien compris par les auteurs qu’ils présentèrent en général leurs romans comme des recueils de lettres authentiques et qu’ils furent souvent crus. Récemment encore, certains partaient à la recherche de la « véritable » religieuse portugaise. D’autres n’ont pas renoncé à retrouver les lettres « authentiques » dont se serait inspiré Laclos. Ces illusions ont du moins le mérite de mettre en valeur le caractère ambigu de l’art épistolaire. Le roman par lettres connut pendant plus d’un siècle une remarquable floraison, illustrée par plusieurs chefs-d’œuvre : les Lettres persanes, la Nouvelle Héloïse, les Liaisons dangereuses. Cette dernière œuvre marque pratiquement la fin du genre (1782). Ce tarissement est peut-être dû au fait que les principales ressources de la forme épistolaire avaient été épuisées : il serait difficile d’aller plus loin que Guilleragues dans le dépouillement et la concentration, plus loin que Laclos dans la mise au point minutieuse d’un mécanisme étonnamment précis.

S’il est intéressant de voir comment les lettres ont été conçues par ceux qui les ont écrites, il ne l’est pas moins d’examiner sur quels aspects très divers de la production épistolaire l’intérêt du public s’est successivement porté.

C’est au xvie s. que se répandit l’habitude de publier des correspondances. On lisait déjà les lettres de Cicéron, de Sénèque, de Pline ainsi que les Héroïdes d’Ovide, lettres fictives, en vers, prêtées aux amants les plus illustres de la mythologie et de l’histoire. On lut, dans le texte ou en traduction, les lettres venues d’Italie, en particulier celles d’Annibale Caro, de Girolamo Parabosco, d’Isabella Andreini. On lut aussi des lettres d’érudits de toutes nationalités.

Le mouvement né au xvie s. prit toute son ampleur au siècle suivant. Que recherchait-on alors dans les recueils de correspondances ? D’abord des sources de renseignements sur toutes sortes de sujets. On trouvait dans les lettres des érudits ou des savants, nous l’avons vu, des manières de petits traités sur les sujets les plus graves. Les lettres du médecin Gui Patin (publiées en 1683, onze ans après sa mort) remportèrent un vif succès parce qu’elles fournissaient une chronique prise sur le vif des événements petits et grands de l’histoire du temps. L’intérêt des lettres de Bayle vient, comme il est dit dans la préface de l’une des éditions, de ce qu’« elles roulent particulièrement sur l’histoire littéraire ».

Mais ce qu’on demandait aussi aux lettres, c’était de fournir des modèles de style, de politesse, d’esprit. De nombreux manuels, depuis le xvie s. et surtout au xviie s., s’efforcent d’enseigner aux honnêtes gens « le style et la méthode d’écrire en tous genres de lettres missives ». La plupart mêlent les préceptes et les exemples, ceux-ci étant fournis aussi bien par des lettres composées pour la circonstance que par des lettres d’auteurs jugés particulièrement dignes d’être imités (Balzac et Voiture surtout). Les exemples étaient classés suivant leur genre et leur objet : billets galants (caractérisés par leur brièveté et l’absence de formules initiale et finale), lettres amoureuses, galantes, d’affaires, de louanges, de félicitations, etc.