Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

conte (suite)

Au xviie s., le conte est en recul, tandis que fleurit le roman, sentimental, héroïque, comique ou parodique. Le roman absorbe le conte ou s’en détourne, et ce n’est qu’à la fin du siècle qu’on aperçoit en France les germes d’une littérature riche en contes : l’initiateur en est Charles Perrault, qui, avec les Contes de ma mère l’Oye (1697), fait entrer dans la littérature écrite une littérature orale et enfantine préexistante. Ces contes très connus (le Petit Chaperon rouge, Barbe-Bleue, la Belle au bois dormant, le Chat botté, Cendrillon, Riquet à la houppe, le Petit Poucet, Peau-d’Ane) sont une réussite, car ils allient le merveilleux à la logique, une atmosphère contemporaine à un « arrière-pays », dans un style simple et dépouillé. À sa suite, Mme d’Aulnoy écrit les Illustres Fées (1698), et Fénelon compose ses contes à l’usage du duc de Bourgogne, pleins de fraîcheur et d’humour. Son Télémaque (1699) aura une influence prépondérante sur tout le siècle suivant.

Au cours du xviiie s., de ce siècle de la raison et de la philosophie, s’épanouit une grande littérature féerique. En 1724, Antoine Galland traduit les Contes et fables indiennes de Bidpay, mais, de 1704 à 1717, il a déjà donné sa traduction des Mille et Une Nuits. Les conteurs ne prennent pas en considération la crédibilité, et le conte, soit fantastique soit moral, se prête alors à la leçon, tandis que le roman, beaucoup plus soumis au public, lui apporte ce qu’il demande. Nombreux sont les contes licencieux, depuis le Temple de Gnide (1725) de Montesquieu jusqu’aux Bijoux indiscrets (1748) de Diderot, sans compter les écrits de l’abbé de Voisenon (1708-1775). Crébillon renouvelle le genre avec l’Écumoire (1734), le Sopha, conte moral (1740) et Ah ! quel conte ! conte politique et astronomique (1751), tandis que Marmontel, avec ses Contes moraux (1763), gagne une célébrité que la postérité désavouera. Le grand conteur de ce temps est bien sûr Voltaire, qui découvre le genre à cinquante-trois ans et s’y tiendra jusqu’à sa mort : vingt-six ouvrages différents, dont les chefs-d’œuvre sont Zadig (1747), le Monde comme il va (1748), Micromégas (1752), Candide (1759), le Blanc et le Noir (1764), Pot-pourri (1765), Aventure indienne (1766), l’Ingénu (1767), la Princesse de Babylone (1768) et le Taureau blanc (1774). Les personnages ne sont que des marionnettes dont le conteur, maître artiste, tire les ficelles en se jouant. La « thèse » de Voltaire s’habille en personnages, et les péripéties des aventures doivent illustrer et mettre à l’épreuve la pensée directrice : ainsi, le conte philosophique trouve sa vérité dans la pensée, alors que le conte merveilleux a la sienne dans le rêve. Mélange « explosif » de verve picaresque, de féeries conventionnelles et d’exotisme oriental, le conte philosophique de Voltaire crée un genre fait de vivacité, d’impassibilité provocante et d’ironie irrésistible. Le conte est ainsi l’arme effilée d’un combat, comme pour Swift (le Conte du tonneau, 1704), ou bien un récit imaginaire tel qu’on le voit proliférer à la fin du siècle, le plus souvent fantastique, à la manière des romans « noirs » anglais : le Château d’Otrante (1764) de H. Walpole et les Mystères d’Udolphe (1794) d’Ann Radcliffe.

Au xixe s., la différence entre roman et conte tend à disparaître sous l’influence des romantiques. Le conte est souvent un récit de rêve, comme Trilby (1822) de Nodier, ou une « fantaisie », comme le Songe d’or et la Fée aux miettes (1832) du même auteur. En 1835, Andersen donne ses merveilleux Contes. Beaucoup d’écrivains s’adonnent alors à ce genre, qui prend rapidement toutes les couleurs du cœur et de l’esprit : Contes tirés de Shakespeare (1807) de Charles et Mary Lamb, Contes et facéties de Nerval, Contes d’une grand’mère de George Sand. Le conte fantastique prend un essor considérable : Nerval, influencé par les Contes d’Hoffmann, écrit la Main de gloire (1832), et Gautier des récits de visions dans les Jeunes-France (1833). Le fantastique se mêle au cruel dans Champavert (1833) de Pétrus Borel (1809-1859), alors que le cruel se dégage du réalisme le plus sobre dans les nouvelles de Mérimée (les Âmes du purgatoire, 1834 ; la Vénus d’Ille, 1837), qui ne sont pas vraiment des contes, mais qui gardent, sous l’influence de Pouchkine, Gogol et Tourgueniev, un côté mystérieux et provocant dû à l’art impassible du conteur. De même, les Contes cruels de Villiers de L’Isle-Adam et son Tribulat Bonhomet (1887) mêlent de vrais contes à des nouvelles satiriques, un peu à la manière des Histoires désobligeantes de Léon Bloy. Mais les titres ne doivent pas faire illusion : Les Trois Contes (1877) de Flaubert, les Lettres de mon moulin et les Contes du lundi de Daudet, de même que les nombreux contes de Maupassant sont plutôt des nouvelles ou des fantaisies. Le genre, en effet, est de plus en plus mal défini : Balzac, dans ses Contes drolatiques (1832-1837), avait bien tenté de faire revivre la verve rabelaisienne ; il semble qu’elle soit tarie. Le fantastique semble se confondre avec le conte lui-même, sous l’influence des romantiques allemands : les Elfes et la Coupe d’or de Tieck, les Contes bizarres d’Achim von Arnim.

Ce fantastique, le xxe s. le développe dans toute sa richesse, mais trop souvent aux dépens de la valeur littéraire. Le dernier conteur « classique » est A. France, descendant de Voltaire, sceptique et ironique comme lui : ses contes philosophiques, la Rôtisserie de la reine Pédauque (1893) et les Opinions de Jérôme Coignard (1893), vibrent encore d’un sourire épicurien et satirique. Le Colas Breugnon (1919) de Romain Rolland, dans la lignée de Rabelais, est une exception : comme genre, le conte se meurt. La science-fiction devient alors le conte moderne. Cela tient sans doute au fait que jamais le conte ne fut un « genre » à règles fixes, mais seulement un mode d’expression de l’imaginaire. C’est pourquoi le plus grand conteur de notre temps est sans doute l’Argentin J. L. Borges : Fictions, l’Aleph, Enquêtes (critiques qui sont des contes de la critique, de l’écriture et de l’imaginaire) créent un mode littéraire où le récit devient pur, « en soi », comme l’« idée » même du conte, retrouvant ainsi, à travers les labyrinthes du sens, les origines religieuses et fabuleuses du dire.

J. L.