Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

conflit

Affrontement plus ou moins explicite et plus ou moins violent entre des acteurs sociaux, individuels ou collectifs, dont les intérêts ou les idéologies sont ou apparaissent contradictoires.


Utilisée d’abord par les moralistes et les juristes, la notion de conflit prend une place de plus en plus importante dans la théorie et l’explication sociologiques.

Le conflit met en jeu l’existence même des unités d’action aux limites plus ou moins précises qui en constituent les acteurs ou les protagonistes. De plus, il introduit entre ces unités une interrelation : en ce sens, on peut parler d’une action unifiante des conflits. Si deux groupes visent un même but social : contrôle territorial ou économique, prise d’un pouvoir, etc., il y a conflit. Sur un marché, la concurrence économique est un conflit dans la mesure où elle vise la conquête ou la défense d’une hégémonie. La lutte pour un enjeu commun, le pouvoir, est là encore le critère déterminant.


Différents types de conflits

Au niveau de l’individu, nous trouvons des conflits entre les différentes instances de la personnalité qui sont en opposition lors d’une action (par exemple, désir d’appropriation d’un objet interdit).

L’approche de la notion de conflit peut donc se faire en envisageant les différents types de conflits caractérisés par l’identité des acteurs en présence (instances de la personnalité, groupes sociaux : classes, nations). Mais la diversité que fera apparaître une telle typologie rendra nécessaire la recherche d’une définition nominale du conflit en mettant l’accent sur son rôle et en se posant d’autre part le problème de savoir si c’est le conflit qui détermine et définit les acteurs en présence ou l’inverse.


Conflit et personnalité

Freud suggère que les instincts opposés cohabitent dans l’inconscient sans qu’il y ait conflit à ce niveau. Le conflit surgit quand le sujet est affronté à deux réponses possibles mais incompatibles qui s’expriment de façon verbale, symbolique ou émotive. Dans les Études sur l’hystérie (1895), Freud et Josef Breuer montrent que les symptômes observables de cette maladie sont liés à l’incompatibilité d’idées et de pensées qui se présentent à l’esprit du patient. Ces symptômes constituent une tentative pour échapper au conflit tout en le sublimant. La psychanalyse distingue également les conflits affectifs, les conflits d’identification aux parents et les conflits qui s’instaurent entre les différentes instances psychiques, notamment entre le « moi » et les pulsions, entre le « moi » et le « sur-moi ». Dans cette perspective, le développement de la personnalité peut alors être envisagé comme le dépassement d’une série de conflits. Lorsque le développement est harmonieux, le dépassement se fait grâce à la sublimation et lui assure l’investissement dans des valeurs sociales antérieurement mobilisées par le conflit. Il y a conflit névrotique lorsque la source de l’inhibition est interne, le sujet ne sachant pas où se situe la source exacte du conflit. La thérapie consistera à mettre au jour cette inhibition, à la rendre consciente pour permettre une restructuration de la personnalité à la faveur du dépassement du conflit.


Le conflit entre l’individu et les normes

Le conflit peut également se situer entre l’individu et le groupe social où il s’insère. Le groupe possède un certain nombre de valeurs qui lui sont propres et définit quels sont ces moyens admissibles pour y parvenir que sont les normes. On peut distinguer avec Robert K. Merton cinq modes d’adaptation possibles de l’individu aux normes et aux valeurs de son groupe. Si l’acteur social admet à la fois le but et les moyens, le conflit est évité, et son attitude est celle du conformisme. À l’opposé, on trouve l’évasion lorsque l’acteur ne prend en considération ni le but ni les moyens de la société où il se trouve. Le ritualisme ne tient pas compte du but, mais il met l’accent sur les moyens, cependant que le comportement d’innovation s’attache au but en cherchant de nouveaux moyens de l’atteindre. Quant à la rébellion, elle envisage à la fois le but et les moyens, mais pour les rejeter simultanément.


Le conflit des prises de décision dans les petits groupes

On peut distinguer deux types de conflits au niveau des petits groupes. D’une part, les conflits substantiels portent sur le contenu de la décision et résultent d’une opposition d’ordre intellectuel entre les membres du groupe. D’autre part, les conflits affectifs de nature émotionnelle procèdent de conflits de personnes qui tendent à faire triompher telle ou telle solution. Le premier type de conflits masque souvent le second, parfois même à l’insu des intéressés. On peut essayer d’analyser ces conflits à la suite de Robert Bales en dissociant les interactions à contenu affectif et celles à contenu informatif. Les travaux d’Edith Benett (1955), de Warren G. Bennis et Harold L. Sheppard (1956) ont, à cet égard, montré que la progression du groupe ne peut s’accomplir que si les conflits ont été révélés par une analyse en commun de leur origine et de leur nature.


Les conflits dans les organisations

Les travaux qui ont suivi les recherches de George Elton Mayo ont montré que, face à l’organisation bureaucratique telle que l’a définie Max Weber, apparaissent ces réactions personnelles affectives, qui donnent naissance à des « groupes primaires » se structurant en dehors des normes de l’organisation. L’influence de tels groupes sur la production a été mise en évidence (cf. l’enquête de Hawthorne, 1927-1932) : l’homme et l’organisation entrent alors en conflit. Une telle vision postule une unité interne de l’organisation et de son système de décision au sein desquels se dérouleraient les conflits. Les travaux récents relatifs aux organisations mettent de plus en plus l’accent sur l’importance des conflits avec l’environnement social.


Les conflits entre les organisations

Le conflit naît de la concurrence entre deux groupes et se fonde sur la défense et la conscience de soi de chacun des groupes en compétition. Le conflit renforce ainsi la cohésion interne de chacun des groupes en présence. On retrouve ce facteur dans l’utilisation de la guerre comme moyen de « gérer » des conflits internes par une mobilisation contre un ennemi commun. L’histoire montre que l’unité nationale d’un pays se forge dans la lutte contre l’envahisseur : la nation en tant que sujet se crée dans le conflit ; elle ne lui préexiste pas. Là encore, c’est le conflit qui crée le sujet.