Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

conflit (suite)

Classes et conflits

Selon K. Marx, les classes sont des groupes sociaux dont la place dans les rapports de production diffère. C’est par rapport à l’organisation de la production que se définissent les classes. Dans une société encore dominée par la rareté, le conflit apparaît entre les groupes sociaux, soucieux de s’approprier les biens nécessaires à la satisfaction de leurs besoins. C’est un conflit qui existe indépendamment de la conscience que les groupes en ont.

Pour Marx, c’est dans un tel rapport que se trouvent le prolétariat et la bourgeoisie. Dans cette perspective, les conflits durent alors tant qu’il y a des rapports de propriété entre les hommes, et seule l’abolition de la propriété privée des moyens de production peut mettre un terme final à ce conflit structurel.


Problème d’une théorie sociologique du conflit

Au-delà de la diversité des conflits, la sociologie retient plusieurs critères pertinents qui permettent de les définir et d’en cerner la valeur. En premier lieu, il s’agit de savoir quelles sont la nature et l’orientation des groupes qui entrent en conflit. En second lieu, la sociologie est soucieuse de répertorier les diverses modalités possibles des conflits, depuis le simple débat qui s’instaure entre deux personnes au sein d’un groupe primaire jusqu’à la guerre qui met aux prises des nations collectivement organisées, se réservant chacune le droit de vaincre par le fer et par le feu. Enfin, les fonctions des conflits constituent également un critère pertinent pour les distinguer les uns des autres.

À n’en pas douter, la notion de conflit est présente dans toute la tradition de la philosophie politique et de la sociologie. Hobbes dit de l’homme qu’il est un loup pour l’homme. Spinoza, à l’inverse, postule que l’homme est un dieu pour l’homme. De Darwin, on a retenu l’idée d’une lutte universelle et éternelle pour la vie. Le marxisme est davantage à cet égard une tentative pour établir les raisons ultimes des conflits qu’une sociologie authentique des conflits. Au reste, les conflits auxquels se réfère la tradition marxiste ont plus souvent pour cadre la société globale que les groupes intermédiaires ou les petits groupes. En Allemagne, Ralf Dahrendorf s’attache plus particulièrement, lors de la dernière période, aux conflits que connaissent les sociétés modernes industrialisées, cependant qu’aux États-Unis une sociologie des conflits se développe à la suite de Lewis A. Coser, qui montre l’importance des conflits dans la prise de conscience de la société moderne.

On ne peut pas, toutefois, ne pas souligner la marque laissée par les idéologies sur l’approche, par ces différents auteurs, de la même notion de conflit.

G. M.

conflit collectif du travail

Litige opposant un groupe de salariés ayant un intérêt commun à défendre soit à un autre groupe de salariés défendant un autre intérêt commun, soit à un ou plusieurs employeurs.


Les pays anglo-saxons ignorent toute distinction rigide entre conflits individuels et conflits collectifs, les premiers pouvant y être soumis à une juridiction arbitrale, les seconds à une juridiction judiciaire. Alors qu’en Allemagne les « tribunaux du travail » sont compétents en matière d’interprétation et d’exécution des conventions collectives, les conseils de prud’hommes français ne peuvent généralement trancher que les seuls conflits individuels du travail ; toutefois, il est admis que les syndicats peuvent exercer devant ces conseils les actions de leurs membres — sans avoir à justifier d’un mandat — en vue de l’application d’une convention collective.

D’une manière générale, il y a conflit collectif lorsque les représentants syndicaux et une entreprise ou un groupe d’entreprises ne peuvent se mettre d’accord sur des problèmes intéressant le personnel salarié de l’entreprise (ou du groupe d’entreprises) ou concernant une ou plusieurs catégories de ce personnel. Il existe plusieurs procédés de règlement du conflit : la force (grève ou lock-out), la négociation (la grève et le lock-out peuvent modifier les conditions de celle-ci), la conciliation (qui est une forme de négociation en présence de tiers), l’arbitrage et la médiation.


La grève

On observe des grèves dans tous les pays et à toutes les époques, mais partout elles ont été pendant longtemps condamnées par les pouvoirs publics. Dans les pays industrialisés, elles deviennent particulièrement nombreuses et finissent, tôt ou tard, par recevoir un statut.

En France, la grève est violemment réprimée avant la Révolution ; elle est délictueuse entre 1791 (loi Le Chapelier) et 1864 ; elle constitue un manquement aux obligations contractuelles de 1864 à 1946 ; en 1939, la Cour supérieure d’arbitrage admet déjà qu’elle ne rompt le contrat de travail que s’il y a faute lourde des grévistes ; le droit de grève est proclamé pour tous les travailleurs par le préambule de la Constitution de 1946 (confirmé par la Constitution de 1958), « dans le cadre des lois qui le réglementent », cependant, et la loi du 11 février 1950 affirme que « le droit de grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde du salarié ».

En Italie, la reconnaissance du droit de grève est constitutionnelle ; en principe, la grève y suspend seulement le contrat de travail. Au Luxembourg et aux Pays-Bas, la thèse de la suspension est également admise. En Belgique, la jurisprudence paraît encore partagée entre la thèse de la rupture et celle de la suspension. Le droit de grève est reconnu en Allemagne (de même que celui du lock-out par l’employeur), où, depuis 1955, la thèse de la suspension du contrat de travail est admise. En Grande-Bretagne, depuis 1906, la grève cesse d’être illicite : toutefois, la « grève sauvage » y rompt le contrat de travail et ne donne droit à aucun recours syndical. En Espagne et au Portugal, les grèves sont illégales.

Aux États-Unis, les grèves furent jugées illicites par la loi Sherman contre les trusts et brisées par la pratique de l’« injonction » (ordre donné par un tribunal de reprendre le travail) ; cette pratique fut limitée par le Clayton Act de 1914, puis davantage encore par la législation du New Deal. La grève y rompt le contrat de travail, mais le gréviste a un droit de réintégration si l’employeur n’a pas, entretemps, embauché d’autres personnes (la réintégration est cependant obligatoire si, à l’origine de la grève, il y a une faute de l’employeur) ; la pratique des piquets de grève est réglementée par la loi ; le président peut — dans les cas graves — procéder à une réquisition et nommer un comité d’enquête qui fournira les renseignements nécessaires à une éventuelle mission d’arbitrage au président et au pays. Aucune dénonciation d’une convention collective ne peut être faite moins de soixante jours avant son expiration. Depuis 1947, le Taft Hartley Act peut, en cas d’« urgence nationale », faire émettre par le tribunal local une injonction interdisant la grève pendant une durée maximale de quatre-vingts jours (l’appel est suspensif), et une commission d’enquête a soixante jours pour établir un rapport écrit et soumettre — par l’intermédiaire du National Labor Board — les dernières propositions patronales à un vote secret des travailleurs (cette procédure fut utilisée dix-sept fois entre 1947 et 1962).