Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

conceptuel (art) (suite)

L’art conceptuel proprement dit

Se défiant du « fétichisme de l’objet » comme de toute trace de romantisme, l’art véritablement conceptuel ambitionne de n’être plus qu’une réflexion sur la nature de l’art. Non seulement la toile et la statue lui paraissent condamnables, mais même le maniement de matériaux aussi vulgaires soient-ils lui répugne, comme susceptible de réintroduire, avec l’objet d’art, les plus coupables compromissions. On ne s’étonnera pas que le moi, fauteur de tous les maux, ait paru la plupart du temps haïssable aux artistes conceptuels. Aussi leurs expositions se composent-elles, au mieux, de photographies, dans la plupart des cas de quelques lignes dactylographiées épinglées sur un mur ou de manifestations tout autant puritaines : télégrammes d’On Kawara (États-Unis, né en 1933), annonces de presse de Stephen James Kaltenbach (États-Unis, né en 1940), tracts de Gilbert et George (Grande-Bretagne), mensurations de Mel Bochner (États-Unis, né en 1940) et de Hanne Darboven (Allemagne, née en 1941), reports sur toile de sommaires d’ouvrages théoriques ou de pages de manuels de grammaire, spécialité de Bernar Venet (France, né en 1941). Les moins limités des artistes conceptuels semblent être des Américains : Robert Barry (né en 1936) et Laurence Weiner (né en 1940), que leur sens de l’humour préserve alors même qu’ils s’aventurent dans le vide (un vide d’ailleurs prophétisé par Yves Klein) ; Douglas Huebler (né en 1924), préoccupé d’« élargir le champ de la conscience humaine » au moyen d’activités où l’arbitraire n’exclut pas le jeu ; enfin Joseph Kosuth (né en 1931), la tête la plus théoricienne de tout l’art conceptuel, dans lequel il a introduit des considérations issues du structuralisme linguistique : il expose par exemple côte à côte une chaise, la photographie de cette chaise et la définition du mot « chaise » empruntée à une encyclopédie.

À côté de ces purs conceptuels se situent d’autres artistes qui procèdent partiellement du minimal art, tels les Américains Carl André (né en 1935), Sol Lewitt (né en 1928) et Fred Sandback (né en 1943). Mais de nombreux artistes relevant de courants spirituels fort divers ont, de quelque manière, maille à partir avec l’art conceptuel, pur ou impur. Le mérite de celui-ci est en effet de conduire chaque artiste à une interrogation sur les fins et les moyens de l’art, interrogation qu’il serait trop commode d’éluder en s’en tenant à la routine habituelle. Car l’art conceptuel ne sonne pas la fin de l’art, mais au contraire annonce une ère nouvelle de l’activité artistique.

J. P.

 Art conceptuel, numéro spécial de VH. 101 (Esselier, 1970).
Catalogues d’expositions : Quand les attitudes deviennent forme. Œuvres - concepts - processus - situations - information, Berne, Kunsthalle, 1969. / Conceptual art, arte povera, land art, Turin, Galleria civica d’Arte moderna, 1970. / Documenta 5, Kassel, 1972.

concerts (association de)

Groupement d’artistes constitué en vue de faire entendre de la musique.


Une telle coutume existe en fait depuis fort longtemps. La Bible et l’histoire des civilisations anciennes nous en offrent maints témoignages. Dès l’origine et jusqu’à la fin du xvie s., la musique participe étroitement aux principaux événements de la vie sociale ; mais, au début du xviie s., les meilleurs d’entre les « joueurs d’instruments » étant appelés à la Cour, l’art musical devient le privilège d’auditeurs favorisés tandis que la décadence envahit les fêtes strictement populaires. La musique rassemble désormais autour d’elle une aristocratie en des lieux et à des dates préalablement fixés ; le nom de « concert » va désigner ces réunions musicales. Mais la coutume de se réunir pour entendre de la musique, après avoir rapidement gagné les salons princiers, allait bientôt se répandre au dehors, et nous voyons apparaître vers le milieu du xviiie s. les premiers concerts véritablement publics. L’art musical revenait à son milieu social originel, enrichi, épuré, quintessencié, marqué dans ses formes et dans son langage du sceau des coutumes aristocratiques qui l’avaient façonné à leur image. La plupart des pays européens ont connu cette métamorphose de la vie musicale qui introduit des rapports nouveaux entre les artistes et le public.


La France

Les puys musicaux du Moyen Âge et de la Renaissance, notamment ceux d’Évreux (1570-1614) et de Caen (1671-1685), peuvent être considérés comme l’aspect primitif des associations de concerts, dont les premières manifestations réellement organisées semblent être celles de l’académie* d’Antoine de Baïf (1570).

Dès 1518 à Paris, et vers le milieu du xvie s. en province (1557 à Angers par exemple), nous trouvons la trace de véritables associations de musiciens, légalisées par contrat notarié. Ces « bandes », comme on les appellera bientôt, ont pour but essentiel de faire danser. Mais si l’on considère celles-ci comme les ancêtres des actuels orchestres de variétés, notons que la danse était à l’époque l’inspiration essentielle du répertoire instrumental et qu’elle conditionna fortement l’évolution musicale.

Les premiers véritables concerts sont ceux de l’académie de Baïf (1570), et leur forme en est étonnamment moderne : emplacement « sacrosaint » réservé aux interprètes, interdiction d’entrer pendant les exécutions, silence de rigueur, etc. Des séances de musique vocale et instrumentale ont lieu peu après chez le compositeur Jacques Mauduit. Mais ces réunions, ainsi que celles des académies italiennes (Rome, Florence, Bologne, etc.), des collegia musica d’Italie, d’Allemagne et de Suède ou des clubs musicaux de Londres, sont des cénacles fermés, réservés aux classes privilégiées de la société. Plus ouverts au public, les puys sont des concours de composition très appréciés. Parmi les plus connus, on compte ceux d’Évreux (à partir de 1570), Caen, Rouen, Paris et Arras.

Dès le début du xviie s., les concerts privés ou semi-publics se multiplient, chez le maréchal de Thémines ou chez « Monsieur de La Barre », organiste du roi, par exemple. Marin Mersenne (Harmonie universelle, 1636) et Jacques de Gouy (préface de ses Airs à 4 parties, 1650) nous citent parmi les interprètes Michel de La Guerre, Henry Du Mont, Sainte-Colombe et ses filles (concert de violes), Ballard (ensemble de luths), la famille La Barre, Jacques Champion de Chambonnières, dont les concerts, vers 1630-1650, sous le nom d’assemblée d’honnestes curieux, connaissent un succès certain. La province n’est pas en retard sur la capitale, et les riches bourgeois organisent chez eux des auditions. Les bandes se multiplient, et les « 24 violons du Roi » (en fait un quintette à cordes) participent aux bals et fêtes de la Cour et des princes dès 1620. Trente-cinq ans plus tard, Louis XIV autorise Lully à utiliser les Petits Violons, alors que d’autres bandes se créent, telle celle de Léonard de Lorge (1656), dont le contrat notarié impose une discipline draconienne aux musiciens. Ainsi, ce début du xviie s. est capital quant au développement de la technique instrumentale et de la musique de chambre. Il y a peu à peu division entre l’actif et le passif de la culture humaine, entre l’artiste et l’auditeur. La notion de public se précise et celle de concert également, même si le terme d’académie lui est souvent substitué. Ainsi, en province, et jusqu’à la fin de l’Ancien Régime, les principales villes ont leur académie : Amiens, 1625 ; Troyes, 1647 ; Rouen, 1662 ; Orléans, 1670 ; Strasbourg, 1689 ; Marseille, 1685 ; etc. Louis XIV lui-même crée des concerts professionnels, organisés presque quotidiennement. Ce sont les soirs « d’appartements » (qui suscitent par exemple les « concerts royaux » de Couperin). Mme de Montespan à Clagny et plus tard Mme de Maintenon suivent son exemple, ainsi que les grands comme Mlle de Montpensier, le prince de Condé, Mlle de Guise (dont Marc Antoine Charpentier sera le « maître de concert ») et les riches bourgeois, fermiers généraux et hauts magistrats de Paris et de province. Les premiers virtuoses apparaissent : Mlle Certain au clavecin ; le guitariste Robert de Visée, le violiste Antoine Forqueray, Jean-Baptiste Buterne. À la même époque, la musique italienne de Carissimi et Corelli est introduite grâce aux matinées de l’abbé Mathieu, curé de Saint-André-des-Arcs.

Le xviiie s. voit se prolonger les mêmes formes de concert : académies, concerts privés ou semi-publics avec, de plus, la création de la première véritable « association de concerts » française : le Concert spirituel.

D’autres académies se créent en province : Lyon, Pau, Carpentras, Dijon, etc. Leurs activités ainsi que celles des maîtrises sont essentielles, bien que leur existence soit souvent menacée financièrement (celle de Marseille cesse en 1716). De plus, la majorité disparaîtra dans la tourmente révolutionnaire.