Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commerce international (suite)

Les croisades*, à partir du xiie s., rétablissent les liens commerciaux entre les trois mondes, qui avaient tendance à s’ignorer : l’Occident catholique, l’Orient orthodoxe, l’Afrique islamisée. Sur mer, la piraterie sarrasine recule ; l’invention du gouvernail d’étambot au xiiie s. rend les navires plus maniables. Sur terre, à partir du xe s., de nouvelles techniques (collier d’épaules, attelage en file, ferrure des sabots) ont permis de mieux utiliser la force de traction du cheval. Peu à peu, un certain ordre se rétablit dans le désordre féodal.

Au xie s., les abbayes parvenaient parfois à équiper de petites flottes de commerce. Au xiie s., des marchands s’associent temporairement pour former des convois protégés par des hommes armés. De grandes foires* atteignent à une renommée lointaine : celles de Saint-Gilles-du-Gard et de Beaucaire dans le Midi méditerranéen, celle de Guibray, près de Falaise, et celle de Rouen en Normandie, celle du lendit, dans la plaine Saint-Denis, celles surtout de Champagne, échelonnées au long de l’année : en janvier, Lagny ; avant la mi-carême, Bar-sur-Aube ; en mai, Provins ; en juin, Troyes ; en septembre. Provins de nouveau ; en octobre, Troyes encore. Aux étoffes précieuses commencent à s’ajouter des matières premières (laine) et des denrées alimentaires (sel, céréales) en un trafic cosmopolite : celui-ci ignore l’obstacle que seront plus tard les frontières des États modernes.

Au xiiie s., des axes commerciaux se laissent discerner.

Un premier axe se situe des ports de la Méditerranée occidentale vers les « Échelles du Levant » et la mer Noire, d’où viennent des produits de luxe (épices, parfums, soie). À l’exportation figurent des métaux, du bois, des étoffes grossières. Ce n’est pas suffisant pour que la balance soit équilibrée : il faut (c’est une tradition) y ajouter de l’or.

Des ports baltes vers Bruges, Anvers et les bouches du Rhin, la balance est mieux équilibrée. De part et d’autre, on est en présence de produits lourds : dans un sens, bois scandinaves, fer suédois, blé russe, poisson séché de la Baltique, fourrures du Nord ; dans l’autre sens, laines, peaux, métaux, vin, sel des marais salants de l’Atlantique.

L’isthme russe, si longtemps employé par les Scandinaves, n’est plus utilisable par suite de l’invasion mongole ; mais la vallée du Rhin dessine un autre axe commercial (qui franchit les Alpes au Brenner ou au Saint-Gothard), concurrencé par la route qui suit la haute Seine et le couloir rhodanien.

Aux guildes, sociétés de marchands d’une même ville, s’ajoutent maintenant les hanses, associations de marchands de diverses villes. Nulle n’atteint une importance aussi grande que la Hanse* teutonique. De 1150 à 1280, elle n’est qu’une association de marchands fréquentant l’île de Gotland. Puis peu à peu les liens se resserrent. Elle se donne une constitution plus stricte qui compte près de deux cents villes : dépendant du Rhin, Cologne et Dortmund ; sur la mer du Nord, Brême ; entre Weser et Elbe, Brunswick, Goslar ; sur la Baltique, à l’ouest de l’Oder, Dantzig, Königsberg, Breslau, Cracovie ; en Livonie, Dorpat, Reval, Riga ; en Suède, Stockholm et Visby.

Jusqu’au xive s., la Hanse, dont le siège est à Lübeck, s’attribue un monopole de fait, à la fois par suite de la cohésion que lui vaut la colonisation urbaine de l’Est, par suite des services rendus à l’Occident, qui a besoin de fourrures, de cire, de produits forestiers et de céréales, et à l’Orient, qui demande du sel et des draps, par suite enfin de sa supériorité technique : le navire qu’on appelle la cogghe (ou coque), long d’une trentaine de mètres, large de 7 m, d’un tirant d’eau de 3 m, construit par des planches superposées comme les tuiles d’un toit, peut faire 10 à 15 milles à l’heure et jauge 200 tonneaux. C’est beaucoup plus que les bateaux antérieurs. Au xive s., la hourque, plus large, jauge 300 tonneaux.

La décadence s’annonce au xve s., née des désaccords entre les villes (les unes, dont Lübeck, voulant utiliser la route terrestre de Lübeck à Hambourg, les autres, la route maritime du Sund), du conflit avec le Danemark, puis avec la Hollande, peut-être aussi d’un certain conservatisme qui répugne à l’utilisation du crédit.

En dépit de l’interdiction canonique du prêt à intérêt, assimilé à l’usure par les théologiens chrétiens, le crédit a lentement progressé d’abord en Italie, où les banquiers inventent peu à peu les techniques modernes. Juifs, Templiers, banquiers lombards rivalisent dans tout l’Occident. Fier de sa petite patrie mais déjà conscient d’une solidarité italienne, profondément catholique mais ouvert à tous les problèmes pratiques, le marchand italien représente un nouveau type d’homme, à la fois cultivé et actif.

Aucune hégémonie n’est définitivement acquise. Bruges* avait bénéficié du déclin des foires de Champagne* ; elle est, à son tour, menacée, puis dépassée par Anvers*, qui élargit vers le nord-est la zone où commerçait Bruges. L’Angleterre, qui, pendant des siècles, avait exporté la laine vers la Flandre, se fait, à son tour, industrielle et vend à l’étranger du drap, par Bristol. Flandre et Italie du Nord seront bientôt concurrencées par Augsbourg et Nuremberg ; Genève, au milieu du xve s., recule devant Lyon. Pour se maintenir ou se développer, une ville commerciale a maintenant besoin d’un arrière-pays étendu, d’une industrie active et de l’appui que peut lui valoir un pouvoir central essayant d’agir sur l’économie. Les États modernes vont commencer à appliquer à la vie commerciale les principes du mercantilisme en formation.


Les Temps modernes : l’extension au globe des cadres géographiques de la vie commerciale

Qu’on la situe en 1453 (prise de Constantinople par les Turcs) ou en 1492 (découverte de l’Amérique), la date initiale des Temps modernes présente, de toute manière, une importance commerciale. La chute de Constantinople ruine le commerce byzantin et compromet l’activité des ports méditerranéens. La découverte de l’Amérique donne leur chance aux ports qui s’échelonnent du détroit de Gibraltar au cap Nord. Aux grandes découvertes*, il existe diverses causes dont certaines sont commerciales ; la recherche d’une nouvelle route vers les épices qui permette de détruire le monopole égypto-vénitien, d’échapper au contrôle turc et de réduire le nombre des transbordements fut un des mobiles des Portugais. Le manque de métaux précieux, dont on pense aujourd’hui qu’il fut à l’origine des difficultés du xive s., amène à parler d’une « faim d’or » aussi impérieuse que la faim des épices.