Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commerce international (suite)

L’inégalité de l’échange international

Une bonne partie des problèmes actuels de l’échange international résulte des conditions différentes dans lesquelles se dénouent les transactions : la position d’un pays qui n’offre que des matières premières est toute différente de celle d’une nation qui commercialise des produits manufacturés. Un pays sous-développé dépend, dans la plupart des cas, du commerce extérieur : comment lui serait-il possible, sans importer les biens d’équipement qui lui manquent, de moderniser ses infrastructures, d’améliorer la productivité du travail et de faire croître son revenu ? Mais il ne peut vendre que des produits agricoles ou des matières premières industrielles, dont les cours fluctuent brutalement et de manière imprévisible. Que la demande des pays développés fléchisse de quelques points, et voilà amorcée une baisse des prix qui peut annuler l’effet d’une politique patiente de croissance !

La position de faiblesse des vendeurs, dans le domaine des produits primaires, fait que les gains de productivité se traduisent presque immédiatement par une baisse des prix. Au contraire, le fabricant peut, tant qu’il possède un avantage technique sur ses concurrents, maintenir le prix de ses produits, réaliser des profits élevés et éviter certaines formes coûteuses de compétition.

Lorsqu’on observe, au niveau mondial, les effets de l’inégalité des conditions de l’échange des produits, on s’aperçoit qu’elle se traduit par des comportements différents des prix. Il y a détérioration des termes de l’échange des pays sous-développés : pour se procurer une quantité constante de biens importés, ils doivent exporter des quantités croissantes.

La détérioration des termes de l’échange a des effets plus divers qu’on ne le dit parfois. Elle frappe certains pays avancés, procure des avantages, très souvent, à des pays attardés. On a malgré tout l’impression que le système mondial des échanges joue au détriment de ceux qui n’offrent que des denrées primaires et qui les vendent en ordre dispersé, hors des grandes entreprises capables d’organiser un marché international par entente privée.


De l’optimisme au pessimisme de la théorie de l’échange international

C’est un thème commun de condamner les effets du commerce international, de l’accuser d’être à la source des inégalités si criantes du monde actuel. Cela va tout à fait à l’encontre des idées qui avaient cours jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La théorie classique de l’échange international ne montrait-elle pas que l’essor des relations apportait à chaque participant des avantages ? Ne montrait-elle pas que les prix des facteurs de production devaient s’égaliser à la longue, ce qui revient à dire que les niveaux de développement devaient finir par converger ? Les mouvements internationaux de capitaux ne jouaient-ils pas dans le même sens que les échanges de biens ? Ne devait-on pas voir ainsi le progrès naître de l’élargissement progressif des marchés et de l’effacement de toutes les barrières ?

La théorie actuelle est moins optimiste ; lorsqu’il existe des économies d’échelle et des économies externes, l’échange international ne tend pas forcément à une répartition égale des niveaux de développement, bien au contraire. Les nations les mieux placées dans la compétition sont celles qui bénéficient, grâce à leur dimension et à la multiplicité des circuits de production qui les caractérisent, d’économies d’échelle et d’économies externes. Elles peuvent attirer de manière indéfinie les activités nouvelles, accentuant leur avantage. Les pays moins bien doués participent à l’échange tant qu’ils trouvent preneur pour les articles que peuvent élaborer leurs travailleurs. Mais le progrès transforme les conditions de production : la main-d’œuvre non qualifiée ne peut plus lutter contre les produits obtenus dans les nations avancées par combinaison d’un travail très qualifié et de machines complexes.

On comprend donc que le commerce international n’ait pas les effets rééquilibrants que lui prêtaient les classiques. Le rétrécissement de la part du tiers monde dans le réseau des circulations planétaires traduit, sur le plan géographique, cette constatation économique.


L’interprétation du système de l’échange mondial

En fait, le système des échanges mondiaux a été, beaucoup plus qu’on ne le pense, inégal. L’Europe a joué un rôle de premier plan dans son organisation. L’époque mercantiliste a vu triompher une organisation simple, dans laquelle l’Europe avait une position importatrice nette : elle dépendait du reste du monde pour la fourniture d’un certain nombre de denrées alimentaires tropicales et pour celle des produits raffinés de l’artisanat et de l’industrie, de l’Orient et de l’Extrême-Orient. Elle n’avait à offrir en échange que lés métaux précieux qu’elle retirait d’Amérique.

La révolution industrielle a rendu inutile la contrainte politique nécessaire à ce système : l’avance technique de l’Europe lui a permis de proposer des produits nouveaux, d’éliminer les artisanats traditionnels. L’échange européen a pu être équilibré dans la mesure où le niveau de ses partenaires était plus bas.

Quelques régions ont pu, à l’imitation de l’Europe, asseoir l’essor de leur commerce sur leur avance technique : grâce à la Nouvelle-Angleterre, les États-Unis amorcent leur transformation en ce sens dès les premières décennies du xixe s., et la guerre de Sécession les hisse au rang des grandes puissances industrielles. La mutation du Japon est analogue, mais elle ne s’est amorcée qu’à l’extrême fin du siècle.

Dès la fin du xixe s., la croissance de l’échange mondial a pourtant d’autres causes que l’inégal développement des économies nationales. Les pays européens, les États-Unis se développent rapidement et de manière continue dans la mesure où la diversification de leurs productions provoque des effets multiplicateurs de plus en plus puissants. Mais les espaces économiques nationaux sont souvent trop exigus pour que toutes les fabrications y soient entreprises : l’échange naît désormais de la complémentarité d’économies complexes qui cherchent à bénéficier d’avantages nouveaux en spécialisant leur production. L’inégalité de niveau n’est plus qu’un facteur accessoire. Aussi ne doit-on pas s’étonner de voir s’esquisser cette régionalisation de l’échange international signalée plus haut cependant que les faisceaux méridiens de relations inégales perdent en partie leur raison d’être.