Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

commerçant (suite)

Certains actes commerciaux le sont, tout d’abord, par l’« intention » de ceux qui les accomplissent : des achats, par exemple, dans la mesure où ils sont pratiqués pour que s’ensuive une revente. Certains actes ne sont commerciaux, quant à eux, que si leur répétition en fait des « entreprises ». C’est la fréquence de ces actes qui, seule, est prise en considération. Certains actes sont commerciaux, encore, par leur seule nature : les opérations de courtage et les lettres de change entrent dans cette catégorie. On peut dire que la forme de ces actes suffit, ici, à leur donner le caractère commercial.

Parmi les actes de commerce, la vente commerciale est le plus fréquent : en fait, il s’agit de l’acte double, qui consiste d’abord en l’achat de marchandises ou de denrées, puis en la revente ; mais la commission, le contrat de transport*, les opérations de banque* et notamment les opérations sur valeurs mobilières sont, aussi, typiquement des actes de commerce, ainsi que les opérations de commerce sur mer, tellement nombreuses et complexes qu’elles forment en elles-mêmes une branche du droit commercial, le droit maritime.

Les questions de frontières s’avèrent délicates : les courtiers et les commissionnaires, qui concluent des contrats en leur nom propre, mais pour le compte d’autrui, sont des commerçants. Le représentant de commerce, lui, n’est pas commerçant, car, mandataire ordinaire, il traite non pas en son nom propre, mais au nom de son mandant ; de même, l’agent d’assurance qui traite au nom et pour le compte de la compagnie d’assurance. Le courtier d’assurance, par contre, l’est. Enfin, le Code employant l’expression denrées et marchandises, l’avis prévaut, cependant, que les entreprises pratiquant les opérations immobilières sont commerciales. Par contre, l’agriculture et les professions dites libérales sont des professions non commerciales.

S’il est des actes commerciaux par intention, par répétition ou par essence, il existe des commerçants « par nature » : les sociétés* commerciales. Mais leurs associés n’ont pas toujours la qualité personnelle de commerçants : la situation est fondamentalement différente, en effet, selon qu’il s’agit d’associés de sociétés personnelles (en nom collectif), ou, au contraire, d’associés de sociétés à responsabilité limitée et d’actionnaires de sociétés anonymes. Dans le premier cas, l’associé se confondant en fait avec la société, qui l’engage juridiquement sur tous ses biens, la nature commerciale de celle-ci déteint en quelque sorte sur celle de l’associé, et celui-ci est un commerçant. Dans le second cas, si la société est commerciale, l’associé, lui, demeure un non-commerçant.

Ces problèmes de définition rendent compte de l’envahissement, par le secteur commercial, de la vie économique et de la conception très large du « commerçant » que cette extension amène. La loi révolutionnaire des 2-17 mars 1791 déclarait qu’« à compter du 1er avril prochain il serait libre à toute personne de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art et métier qu’elle trouvera bon ». Il n’en demeure pas moins que certaines restrictions existent à ce libre exercice. Certaines incompatibilités et certaines interdictions limitent l’accession aux carrières commerciales : les fonctionnaires ne peuvent être commerçants, de même que les officiers ministériels en général ; les interdictions, elles, jouent pour des personnes ayant encouru des condamnations, notamment à la suite d’infractions* pénales ou fiscales. Enfin, une personne ne peut bénéficier de la qualité de commerçant que si elle a la capacité* de faire des actes de commerce. Depuis l’abaissement, en France, de l’âge de la majorité à dix-huit ans, le mineur, même émancipé, ne peut plus être commerçant.

J. L.


Les commerçants

La définition sociologique positiviste ne tient compte que de la fonction du commerce et décrit les commerçants comme des intermédiaires : il y a commerce dès qu’il y a échange, et les agents de cet échange sont les commerçants. La définition marxiste, se référant à la place de ce groupe socio-économique dans le processus et les rapports de production, les considère essentiellement comme des non-producteurs, ne créant de la plus-value ni directement ni même par des personnes interposées (à la différence du capitaliste industriel par exemple) et se limitant à la redistribution de produits finis. Dans le premier cas, les commerçants apparaissent comme des éléments essentiels de l’économie de marché, comme des rouages d’un mécanisme extrêmement complexe, qui permet aux richesses de se redistribuer et de sélectionner les postes économiques les plus rentables pour la collectivité : le prélèvement d’une partie de la plus-value par le commerçant, qui représente son profit, est alors non seulement utile, mais moralement justifié. Il en va tout autrement dans l’analyse marxiste orthodoxe : même si l’économie planifiée autoritairement a encore besoin de « redistributeurs », ceux-ci ne sont pas libres de jouer avec les différences entre valeurs d’usage et valeurs d’échange (par exemple, entre le prix d’un costume calculé d’après la somme de travail investi et la valeur qu’il prend grâce à un gonflage artificiel de la demande par la publicité et la mode). Ils ne sont pas rétribués par un profit, mais par un salaire pris sur le budget de l’État, budget constitué de la plus-value d’ensemble et redistribué égalitairement. Dans ce cas, les commerçants, au sens libéral du terme, sont alors vus comme des parasites liés au capital par leurs intérêts économiques.

Les commerçants ont, dès l’aube de l’histoire, joué un rôle essentiel d’agents de la communication entre les êtres, influant profondément sur l’évolution socio-économique. Max Weber voyait dans les marchands les principaux agents du développement de la civilisation occidentale, non pas seulement au niveau économique, mais plus encore dans la sphère idéologique par les conditions intellectuelles de l’échange qu’ils créaient : cités-marchés, cités-empires marchandes de type grec, phénicien ou carthaginois permirent à la rationalité moderne d’émerger de la pensée antique par le recul des communautés de sang au profit des communautés professionnelles, par la victoire des religions éthico-rationnelles sur les cultes magiques, assurée par la petite et la moyenne bourgeoisie des villes (les artisans-commerçants furent les porteurs du judaïsme, puis du christianisme, rival heureux du culte de Mithra. propagé par les légions romaines), par la pacification des contacts entre les peuples, impliquée par la pratique et l’esprit marchand, esprit totalement opposé à la valorisation aristocratique de la prouesse et au tempérament prédateur des élites guerrières.