Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

comédie (suite)

D’Aristophane à Térence

Il est possible qu’un essai de comédie ait existé à une époque très reculée. Du moins, on fixe traditionnellement la Grèce comme son pays d’origine. Nous savons par Aristote que la comédie était rattachée au culte de Dionysos, dont les fêtes donnaient lieu à une procession burlesque, au milieu des plaisanteries et des chansons de badauds. À cette première apparence de théâtre populaire succède, dès le vie s. av. J.-C., dans les pays doriens, puis à Mégare, à la frontière de l’Attique, et en Sicile, avec Épicharme (v. 525 - v. 450), une comédie réaliste. Mais les représentations officielles sont tardives : l’institution du concours de comédie ne date que de 460 av. J.-C., soit trois quarts de siècle après le concours tragique. À la comédie dite « ancienne », mélange de farce et de satire qui sert de prétexte à toutes les fantaisies, à des thèmes d’une cocasserie voulue, sans aucun souci de la vraisemblance (v. Aristophane), fait suite une comédie plus mesurée, la « comédie moyenne » (fin du ve s. - v. 330), qui, après avoir puisé dans les fables de la mythologie, se tourne vers la peinture des mœurs et des conditions sociales, s’écartant résolument du pamphlet virulent et de la farce extravagante. Cette comédie est le point de départ de la « comédie nouvelle », illustrée par Ménandre (v. 342 - v. 292) ; les thèmes de prédilection de la comédie nouvelle sont les amours contrariées par des obstacles qui seront aplanis au dénouement, chaque pièce se présentant comme une succession de scènes adroitement ménagées, qui visent aussi bien à peindre les passions qu’à étudier les mœurs. On voit le chemin parcouru : partie du pamphlet politique avec Aristophane, la comédie s’est peu à peu transformée jusqu’à devenir une étude des hommes. Paradoxalement, elle est vers le milieu du iiie s. un genre qui s’épuise : c’est à Rome qu’elle va reprendre une nouvelle vie, à une heure où c’est sur la scène romaine que seront portés les chefs-d’œuvre grecs.

Si se manifeste à Rome toute une tradition dramatique populaire issue des danses scéniques des Étrusques combinées à ces grossières improvisations satiriques que sont les chants fescennins et à des « mélanges » (Saturae) mimés ou chantés, peu à peu, sous l’influence de la Grèce, les poètes hellénisants mettent à l’honneur les pièces dites palliatae (les acteurs sont revêtus du pallium, vêtement grec) et imitent la comédie nouvelle : l’intrigue se déroule généralement à Athènes et est compliquée par l’amalgame de la matière de plusieurs pièces grecques (procédé de contamination). Mais, chez Plaute*, cette couleur grecque n’est qu’un déguisement ; le trait de mœurs est bien romain. Sans doute Plaute conserve-t-il l’intrigue, mais celle-ci compte peu, si grande est la désinvolture de cette comédie, où l’action procède par bonds, sans souci d’unité et de vraisemblance, dans une constante invention verbale. Après Plaute, Caecilius Statius (v. 219-166) revient à une imitation plus étroite des Grecs, formulant de façon éloquente des réflexions d’ordre psychologique et moral ; avec lui, la comédie perd peut-être de la force, mais elle s’affine. Cela est encore plus vrai pour Térence*, qui rivalise avec l’équilibre scénique et la finesse de ses modèles. Dans son univers, de bon ton, le rire cède la place au sourire. De la farce lyrique on est passé au drame psychologique. Cette évolution, comparable à celle de la comédie grecque, fut toutefois trop rapide : on se lassa de l’hellénisme et on voulut — notamment Afranius (seconde moitié du iie s.) — faire paraître des personnages habillés à la romaine (fabulae togatae). La tentative se révéla malheureuse, car la togata perdait tout contact avec le peuple. Celui-ci la délaissa et reporta sa faveur sur l’atellane, un genre de farce qui fut à son tour, à l’époque cicéronienne, supplanté par le mime. Ainsi, la comédie ne parvint pas à s’affranchir de ses origines populaires.


Un genre se constitue

Ces origines persistent de l’Empire romain au Moyen Âge. Sous l’influence conjuguée du drame liturgique, où se mêlent des éléments profanes, d’un certain goût du divertissement chez les clercs des écoles et de la tradition des jongleurs se constitue une veine comique avec quelque retard par rapport aux mystères et aux miracles. Cette entrée dans une ébauche de la littérature apparaît au xiiie s. avec les premiers textes comiques, notamment ceux de Jean Bodel (le Jeu de saint Nicolas, v. 1200) et d’Adam* le Bossu (le Jeu de la Feuillée, v. 1276 ; le Jeu de Robin et de Marion, v. 1282). S’il ne nous reste aucun texte du xive s., au xve s. surgissent un bon nombre d’œuvres diverses — farces, soties, moralités — jouées à l’initiative de sociétés ou de confréries (fous, basochiens, sots, écoliers) et répandues à travers la France, l’œuvre la plus significative étant Maître Pierre Pathelin (v. 1464). Il nous est malaisé d’apprécier ces « pièces » à leur juste valeur du fait de l’évolution des mœurs et de la sensibilité. Disons, toutefois, qu’elles présentent toutes un caractère satirique (satire des vices, des ridicules, du clergé, de la politique) et didactique (elles ont une tendance moralisante). Mais il est certain que, malgré leur originalité, elles aboutirent à une impasse, les humanistes de la Renaissance rejetant tout le théâtre du Moyen Âge pour lui préférer la tradition italienne.

C’est en Italie, en effet, que se fixe la tradition comique, puisque c’est là qu’au tout début du xvie s. les premières comédies régulières voient le jour. Dès 1550, l’Italie offre à l’Europe un théâtre bien constitué, et, sous le règne de François Ier, les troupes italiennes avaient déjà franchi les frontières. Si, à l’aube du siècle, la Calandria du cardinal B. Dovizi de Bibbiena s’inspire encore du théâtre latin, les pièces de l’Arioste*, de l’Arétin* et surtout de Machiavel* (la Mandragore, v. 1513) forment ce qu’on appelle la commedia sostenuta, la « comédie soutenue », aux règles très définies. Cette comédie comprend cinq actes d’une durée continue, obéit aux unités de temps et de lieu, et met l’accent sur l’intrigue. De là, dans la seconde moitié du siècle, le classicisme devient tout à fait tyrannique avec les œuvres de Gian Giorgio Trissino, de Giambattista Gelli, de Ludovico Dolce. Seuls Giovanni Battista Della Porta et Giordano Bruno* (le Chandelier, 1582) échappent à cette emprise, ainsi que quelques auteurs, Niccolo Campani (lo Strascino), Ruzzante, Andrea Calmo, qui écrivent des pièces populaires et dialectales.