Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

comédie (suite)

La prépondérance de la conception italienne attire l’attention des humanistes français. Ceux-ci veulent qu’on s’inspire des modèles italiens ; mais, dès lors, la comédie, avec Étienne Jodelle (Eugène, v. 1552), Pierre de Larivey et Odet de Turnèbe (les Contents, 1584), devient en France un divertissement pour lettrés. Cette irruption des modèles étrangers, jointe au refus de traditions nationales, sclérose ce qui aurait pu finalement devenir un genre. Il devait appartenir à la génération suivante de donner un nouvel essor à la comédie, grâce à l’apport de la commedia dell’arte*, de la pastorale (le Tasse, Aminta, 1573 ; Guarini, Il Pastor fido, 1595). On se tourne donc vers l’improvisation ou vers des canevas romanesques, tandis que la même époque voit en France le triomphe de la farce à l’Hôtel de Bourgogne ou sur le Pont-Neuf, avec Tabarin.

En Angleterre, ce désir de fixer un genre aboutit à la première comédie régulière, le Ralph Roister Doister de Nicholas Udall (v. 1553), pièce en cinq actes imitée de Plaute. Mais les comédies romanesques et populaires qui suivent se libèrent des règles du théâtre latin. Shakespeare* se montre grand comique dans la Mégère apprivoisée (1593-94) ou dans les Joyeuses Commères de Windsor (1599). Son contemporain Ben Jonson (Volpone, 1606), puis Beaumont et Fletcher rivalisent d’esprit et d’imagination dans la comédie d’intrigue et de caractère ; mais les deux derniers empruntent beaucoup à l’Espagne. Non pas celle qui, dès le commencement du xvie s., essaie de diriger son inspiration vers la copie du théâtre antique, mais celle qui a produit la Célestine (1499). Ainsi, la vogue populaire soutient les farces de Cristóbal de Castillejo, les essais de comédie romanesque et héroïque de Lope de Rueda et de Juan de la Cueva jusqu’à ce que s’épanouisse au xviie s. l’âge d’or du théâtre espagnol avec Cervantès*, Lope de Vega*, Calderón*, Moreto et Alarcón.


L’apogée de la comédie

Si, jusqu’ici, la comédie n’a été qu’un amusement populaire dont se détournaient les honnêtes gens, un tournant décisif se manifeste autour des années 1630 avec l’évolution des mœurs, de plus en plus policées. Désormais, gens de lettres et gens du monde commencent à s’y intéresser non plus comme à un simple divertissement, mais comme à un art. C’est de cette époque que date l’heureuse rivalité du théâtre de l’Hôtel de Bourgogne et du nouveau théâtre du Marais, rivalité qui prouve l’intérêt suscité par tous les problèmes dramatiques. Les théoriciens, de Chapelain à l’abbé d’Aubignac, en fixant les règles de la tragédie, précisent du même coup celles de la comédie. C’est ainsi que cette dernière se doit de mettre en scène des personnages de condition moyenne insérés dans un cadre quotidien ; on attend un dénouement nécessairement heureux. Si le rire n’entre pas dans cette définition, remarquons qu’il est un élément constant. Avant tout, il s’agit de plaire et de charmer tout au long de cinq actes, de suivre la bienséance et la vraisemblance, et d’obéir aux unités d’action, de lieu et de temps.

Apparemment, voilà des règles bien strictes. Il est de fait qu’elles ont été généralement suivies. De 1630 à 1634, Corneille* donne cinq comédies et une tragi-comédie, toutes construites sur un même schéma : une intrigue d’amour contrarié. L’élégance du ton, l’enjouement du dialogue, auxquels se joint un pathétique discret, rappellent peut-être Térence, mais sont surtout conformes aux nouveaux canons de l’esthétique comique. À partir de 1640, la grande comédie triomphe : c’est-à-dire la comédie à l’italienne, représentée par Rotrou (la Sœur, 1646), qui renoue avec la tradition de la commedia, et, fait nouveau, la comédie à l’espagnole, dont les ressorts sont l’amour et l’honneur, illustrée aussi bien par Scarron (Jodelet, 1645) que par Corneille (le Menteur, 1643).

Un genre est fixé. Il devait appartenir à Molière* de lui donner par son génie ses lettres de noblesse, mais d’une manière bien différente de celle que prônaient les théoriciens. Son œuvre s’étend sur une durée qui va de 1658 à 1671, et cette brièveté même explique son unité. À la fois acteur, metteur en scène et auteur, Molière, doué d’un prodigieux sens du théâtre, véritable artisan d’une nouvelle comédie, puise ce qu’il y a de meilleur dans la tradition populaire, rêve d’un spectacle où le texte, la musique et la danse sont intimement associés (il multiplie les tentatives en ce sens), apprécie les ressources de la farce, française ou italienne, accueille toutes les formes de l’art comique, voit dans la comédie autant un divertissement qu’une satire directe des mœurs de son temps et, par là, pratique un théâtre engagé. Ce théâtre, miroir critique du siècle, atteint, par-delà le rire qu’il provoque, une profondeur que nul autre auteur comique n’avait encore trouvée.

Paradoxalement, cette œuvre si discutée à l’âge classique devient au lendemain de la mort de Molière le symbole de l’orthodoxie en matière de comédie. Boileau est le responsable de cette équivoque qui veut que Molière soit le représentant le plus qualifié de la comédie régulière, respectueuse des règles, de la mesure et du bon goût. Ce contresens aura pour résultat de stériliser pour une bonne part la veine des siècles à venir.


Sclérose et formules nouvelles

Nombre et variété, telles sont les deux caractéristiques de la comédie au xviiie s. À vrai dire, cette profusion d’œuvres masque mal, en dépit de sa richesse, une sorte de sclérose, le xviiie s. étant paralysé par le succès théâtral du siècle qui le précède. Ce prolongement de l’âge classique, dominé par l’ombre de Molière, pousse les auteurs à vouloir faire autre chose, mais aussi à le faire aussi bien. On assiste d’abord au triomphe de la comédie de mœurs, qui vise à représenter non plus des types généraux, mais des êtres qui symbolisent au mieux la société contemporaine. Les meilleurs représentants en sont Dancourt et surtout Lesage* (Turcaret, 1709), qui brosse un portrait impitoyable des hommes d’argent. Viennent ensuite la comédie moralisante, dominée par la figure de Destouches (le Glorieux, 1732), puis la comédie larmoyante de Nivelle de La Chaussée (Mélanide, 1741). Cette diversité des genres traduit l’incertitude dans laquelle se trouve la comédie, qui ne parvient pas à trouver sa voie. La rareté des chefs-d’œuvre contraste avec l’abondance des pièces.