Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cléopâtre VII (suite)

Cléopâtre vient à Rome. Elle loge au Transtévère et se mêle activement à la vie romaine. Il est d’usage de considérer que César a appelé Cléopâtre à Rome pour l’avoir près de lui ; mais le dictateur semble s’occuper surtout de politique, et l’on peut penser qu’elle est là, avec Ptolémée XV, pour sceller tout bonnement une alliance solennelle — et périlleuse. Après la mort de César (15 mars 44), Cléopâtre regagne son pays.


Antoine

Antoine, le triumvir de 42 et, dès lors, le maître de l’Orient romain, connaît Cléopâtre de longue date : il l’a déjà vue à Alexandrie en 55, quand elle n’avait que treize ans. Il la fait venir à Tarse, où il a installé sa cour dans le plus grand faste : Cléopâtre l’invite à bord de sa galère dorée, aux voiles de pourpre, et lui donne des fêtes splendides. C’est alors qu’elle aurait fait fondre dans une coupe de vinaigre une perle d’une valeur fabuleuse : encore une légende, les perles ne se dissolvant pas dans le vinaigre. Antoine, épris, abandonne son projet d’expédition contre les Parthes et suit Cléopâtre en Égypte, où tous deux mènent ce qu’on a appelé la « vie inimitable ». Si la reine fait preuve d’une imagination féconde dans l’art du raffinement, elle trouve en Antoine un amateur averti, car, dès ses premiers pas en Asie, il s’est adonné aux voluptés de l’Orient hellénistique. Durant l’hiver 41-40, les réjouissances de toutes sortes se succèdent, les vagabondages sous l’accoutrement de gens du commun alternant avec des fastes ruineux. Puis les circonstances rappellent Antoine en Italie (printemps 40), où il épouse, par raison politique, Octavie, sœur d’Octave, laissant Cléopâtre en proie à son dépit.

En 36, Antoine repart guerroyer contre les Parthes. Cléopâtre le rejoint en Syrie ; celui-ci retombe sous son charme. Oubliant qu’il est Romain, il se mue en monarque oriental. Cléopâtre sera déclarée « reine des rois » et déifiée sous le nom de « jeune Isis » (34). Leurs enfants reçoivent titres et domaines : Alexandre l’Arménie, la Médie et la Parthie, Ptolémée la Syrie et la Galicie, et Cléopâtre Séléné la Cyrénaïque.


Octave

Octave, irrité comme tous les Romains par l’attitude d’Antoine, ajoute à tous ces griefs la récente répudiation d’Octavie. Il fait déclarer par le sénat la guerre à Cléopâtre (32), qui parcourt alors la Grèce et l’Asie avec Antoine. Le 2 septembre 31 a lieu la bataille décisive d’Actium, au cours de laquelle Cléopâtre fait faire demi-tour à ses galères, entraînant Antoine dans sa retraite. Tous deux s’enfuient en Égypte.

Octave arrive devant Alexandrie avec son armée. Les troupes d’Antoine font défection et rejoignent les rangs adverses. Antoine se sent trahi par tous ; il peut même croire à une trahison de Cléopâtre, qui n’a plus besoin de lui. Celle-ci a en effet négocié secrètement, par le truchement de l’affranchi Thyreus... Puis, redoutant peut-être autant le courroux d’Antoine que celui d’Octave, elle s’enferme dans le mausolée qu’elle s’est fait construire près du temple d’Isis, tombeau et forteresse. Antoine la croit morte : il se frappe de son épée. Cléopâtre se fait amener son époux ensanglanté, qui meurt près d’elle. Octave l’autorise à faire à Antoine de somptueuses funérailles. Puis, après avoir vainement tenté d’apitoyer Octave, elle trompe la surveillance de ses gardiens et se donne la mort, peut-être en se faisant mordre par un aspic, comme le veut la tradition. « Il est certain que personne ne connut l’exact déroulement des faits », note Plutarque.


Légende et roman

Dans la vie de Cléopâtre, les points énigmatiques ne manquent pas. Les auteurs anciens se sont peu attachés à sa personne ; ils en parlent rapidement, et le peu de données précises qu’ils ont pu fournir se sont noyées dans la légende qui s’est constituée progressivement, faisant de Cléopâtre une ensorceleuse, l’Égyptienne honnie de tous qui ruinait Rome. C’était là l’œuvre de la propagande d’Octave. Il s’y greffa ensuite d’autres détails : on attribua ainsi à Cléopâtre des écrits érotiques. Jusqu’à notre siècle, inclusivement, elle demeure — en grande partie faute de documents — la proie des romanciers. Il est difficile aux historiens de faire justice de légendes bien enracinées et d’apercevoir ce qu’était réellement Cléopâtre : une patriote ? une fourbe ? le misérable bouc émissaire de Rome ? ou une honnête fille ? (Projetée sur le « fond turpide » de son époque, la vie domestique de Cléopâtre avec César, puis Antoine « prend par contraste un aspect de netteté et de fraîcheur ». A. Weigall.)

Le portrait de Cléopâtre

Les historiens anciens tardifs, comme Dion Cassius, ont attribué à la reine égyptienne une beauté fascinante, tout comme ils ont romancé sa vie. Plutarque n’est pas du même avis : « Sa beauté [...] n’était pas telle que ceux qui la voyaient aient été frappés, dès l’abord, d’admiration. » La statuaire (buste de Cherchell) et les monnaies nous conservent — approximativement — sa physionomie, caractérisée par une expression banale et un grand nez aquilin. Plutarque continue : « Mais sitôt qu’elle parlait, elle était irrésistible. Sa voix était délicieuse, ses propos intelligents et malicieux, sa culture solide. Elle était polyglotte, entendant les langues des Éthiopiens, des Hébreux, des Arabes [...]. »

R. H.

➙ Auguste / César / Égypte / Rome.

 A. Weigall, The Life and Times of Cleopatra (Londres, 1914 ; trad. fr. Cléopâtre, sa vie et son temps, Payot, 1952). / E. Ludwig, Kleopatra, Geschichte einer Köningin (Amsterdam, 1937 ; trad. fr. Cléopâtre, histoire d’une reine, Plon, 1948 ; nouv. éd., Cercle du bibliophile, 1970). / H. Volkmann, Kleopatra. Politik und Propaganda (Oldenbourg, 1952 ; trad. fr. Cléopâtre, Domat, 1956). / O. von Wertheimer, Kleopatra. Die genialste Frau des Altertums (Berlin, 1953 ; trad. fr. Cléopâtre, reine des rois, Payot, 1956). / M. Heim, Cléopâtre (Éd. de la pensée moderne, 1962). / J. Pernoud, Cléopâtre (Julliard, 1963). / J. Benoist-Méchin Cléopâtre ou le Rêve évanoui (Clairefontaine, Lausanne, 1964).