Metteur en scène de cinéma français (Paris 1898).
Chroniqueur littéraire et reporter à l’Intransigeant (sous le pseudonyme de René Desprès) à la fin de la Première Guerre mondiale, le jeune René Chomette écrit également des chansons pour Damia et aborde le cinéma en interprétant aux côtés de Loïe Fuller le rôle du Prince charmant dans le ballet cinématographique le Lys de la vie (1920). Acteur, il le sera encore occasionnellement dans quelques films de Iakov Protazanov (le Sens de la mort et Vers la lumière, 1922) et de Louis Feuillade (les Deux Gamines, 1920 ; l’Orpheline, 1921 ; Parisette, 1921), mais il imitera bientôt son frère Henri en devenant l’assistant de J. de Baroncelli (le Carillon de minuit, 1922 ; Nène, 1923). Dès 1923, il écrit et tourne son premier scénario original, Paris qui dort, et opte définitivement pour le pseudonyme de René Clair. Comme directeur du supplément consacré au cinéma de Théâtre et Comœdia illustrés, il affirme son enthousiasme et sa foi à l’égard d’un art qui a quelque mal à se faire admettre comme le septième par des « gens [qui sont] déformés par trente siècles de bavardages : poésie, théâtre, roman ». C’est sans doute en pensant à cette frange du public « à qui il faudrait rendre le regard du sauvage » qu’il signe son deuxième film. Entr’acte (1924) est une fantaisie bouffonne d’esprit dadaïste destinée à accompagner un ballet de Francis Picabia (Relâche) programmé au Théâtre des Champs-Élysées, à Paris, par la troupe des Ballets suédois. L’œuvre de René Clair surprend très favorablement les milieux d’avant-garde. Déjà, le jeune réalisateur affirme un goût très sûr pour la fantaisie et prend le relais des Méliès et autres Max Linder, réagissant à la fois contre la vogue du « divisme », celle des films esthètes et raffinés, et celle des mélodrames grossièrement sentimentaux. Ce n’est pourtant que quelques années plus tard, après des films mineurs comme le Fantôme du Moulin rouge (1924), le Voyage imaginaire (1925) et la Proie du vent (1926), que René Clair se rend maître d’un style qui le rendra célèbre — et parfois dangereusement prisonnier de cette célébrité — aux yeux du monde entier. En adaptant Labiche (Un chapeau de paille d’Italie, 1927 ; les Deux Timides, 1928), il transforme le vaudeville en ballet. Par un curieux paradoxe, le film parlant — qu’il ne se prive pourtant pas de brocarder — lui apporte la consécration. Quatre films font de lui sinon un chef de file, du moins le réalisateur français le plus apprécié et sans doute l’un des plus talentueux de l’époque. Dans Sous les toits de Paris (1930), le Million (1931), À nous la liberté (1931), 14-Juillet (1932), René Clair mêle avec bonheur les vieilles recettes d’un cinéma comique bon enfant et virevoltant (culbutes, poursuites, tartes à la crème) et la poésie tendre des quartiers populaires, où le pittoresque n’exclut pas parfois une certaine critique sociale. Avec le recul du temps, cette critique paraît sinon timide, du moins utopique (À nous la liberté), mais, en revanche, la spontanéité et la fraîcheur des personnages de Clair n’ont guère perdu leurs vertus.
Après l’échec commercial du Dernier Milliardaire (1934), René Clair donne des gages à l’humour anglais en allant tourner en Grande-Bretagne Fantôme à vendre (The Ghost Goes West, 1935) et Fausses Nouvelles (Break the News, 1937).
La guerre l’empêche d’achever Air pur (1939). Contraint de s’exiler aux États-Unis, il s’efforce alors d’adapter son tempérament très « parisien » à l’esprit de la comédie sophistiquée américaine : la Belle Ensorceleuse (The Flame of New Orleans, 1940, avec Marlène Dietrich), Ma femme est une sorcière (I married a Witch, 1942, avec Veronica Lake), C’est arrivé demain (It happened Tomorrow, 1944), Dix Petits Indiens (And then they were none, 1945). De retour en France, il reprend sa place parmi les cinéastes les plus en vue et tourne successivement Le silence est d’or (1947, avec Maurice Chevalier), la Beauté du diable (1949, avec Gérard Philipe et Michel Simon), les Belles de nuit (1952), les Grandes Manœuvres (1955). Son style commence cependant à être contesté par la critique. Celle-ci lui reproche de ne pas s’adapter à l’évolution d’un art qui s’oriente petit à petit vers des voies nouvelles et qui tourne délibérément le dos au populisme poétique des années 30. Reproches justifiés ou excessifs, il n’en est pas moins vrai qu’à partir de Porte des Lilas (1957) le style de René Clair s’alourdit et qu’on a du mal à reconnaître dans Tout l’or du monde (1961) ou même les Fêtes galantes (1965) l’auteur à la fois grave et léger qui avait, pendant une vingtaine d’années, charmé les publics les plus divers. En 1960, René Clair est élu à l’Académie française ; il devient ainsi le premier metteur en scène de cinéma à siéger sous la coupole. Outre ses activités cinématographiques, il est également l’auteur de plusieurs livres : Adams (1926), la Princesse de Chine (1951), Réflexion faite (1951), Comédies et Commentaires (1959).
J.-L. P.
G. Charensol et R. Régent, Un maître du cinéma : René Clair (La Table ronde, 1952). / J. Mitry, René Clair (Éd. universitaires, 1961). / B. Amengual, René Clair (Seghers, 1964).