Cisterciens (suite)
Le rôle des Cisterciens dans l’histoire de l’art
L’art cistercien fut d’abord un art de l’architecture monastique, qui se développa avec l’ordre au xiie s. Saint Bernard joua certainement un rôle dans son élaboration. Dans son Apologie à Guillaume de Saint-Thierry, il s’attaque aux dimensions trop vastes des églises et surtout à la somptuosité de leur décor. L’abbé Aelred insiste de son côté sur le dépouillement et la pauvreté monastiques. Mais y a-t-il une architecture cistercienne ? L’ordre de Cîteaux a repris la règle bénédictine, et ses monastères ne diffèrent guère des autres abbayes du Moyen Âge. Les bâtiments s’ordonnent autour du cloître, dont l’église borde un des côtés. On y retrouve la salle capitulaire, le dortoir, le réfectoire, les différentes salles nécessaires à la vie des moines. L’accent, plus qu’ailleurs, est mis sur le travail manuel, commandé par la règle : l’abbaye de Fontenay a ainsi conservé sa forge. Le sens pratique et l’hygiène ont entraîné le choix de sites bien arrosés ; cuisines et latrines sont édifiées à proximité des cours d’eau. Ce qui frappe le plus dans les premiers bâtiments monastiques cisterciens, qui ne remontent pas au-delà du milieu du xiie s., c’est l’absence de décor dans les galeries de cloître ou dans les salles capitulaires.
C’est cette même austérité que l’on rencontre dans les églises. Elles étaient entièrement réservées aux moines, d’où l’absence de façades ornées ouvertes sur le monde. Un porche en souligne la partie inférieure ; des fenêtres, au-dessus, en percent le pignon. Pas de tours ni de clochers. Une nef bordée de bas-côtés, un transept qui souvent n’en interrompt pas le cours, car ses bras, moins élevés que le vaisseau central, s’ouvrent seulement par une grande arcade selon la formule des transepts bas. Sur le transept, des chapelles rectangulaires prises dans un mur continu. Au fond du grand vaisseau, un chœur saillant fermé par un mur droit. Tels furent les plans des premières églises de Cîteaux, de Clairvaux (Aube), de Pontigny (Yonne) ; Morimond (Vosges) conserva le sanctuaire carré, mais avec un déambulatoire à douze chapelles prises dans des murs à angle droit. Tel fut le plan dit « cistercien » adopté dans les maisons de l’ordre, de la Pologne au Portugal, et aussi en dehors de l’ordre. C’est le plan de Fontenay (Côte-d’Or), de Noirlac (Cher), de L’Escaledieu (Hautes-Pyrénées). Mais d’autres abbatiales adoptèrent très tôt des plans terminés en abside à pans ou arrondie, en Provence à Senanque (Vaucluse) et au Thoronet (Var), à Aubazines en Corrèze, à Fontfroide près de Narbonne. À Clairvaux, il fallut bientôt accroître le nombre des chapelles : dès la fin du xiie s., le chœur droit fut remplacé par un vaste chevet arrondi avec une couronne de chapelles englobées dans un même mur. Le chœur de Pontigny fut refait de même. Au xiiie s., les abbatiales de Royaumont (Val-d’Oise), de Chaalis (Oise), de Maubuisson (Val-d’Oise) se modifièrent sous l’influence de l’art gothique d’Île-de-France, et le chevet plat ne fut plus de règle.
La sobriété se refléta aussi au xiie s. dans l’élévation intérieure des églises, sans tribune ni triforium, simplement éclairées de fenêtres au-dessus des grandes arcades ouvrant sur les bas-côtés. Aux premières voûtes en berceau succédèrent très vite les voûtes sur croisée d’ogives, dont les retombées s’arrêtèrent sur des consoles ou des culots. Vers 1150, un statut du chapitre de l’ordre interdit le décor peint. Les églises cisterciennes ne possédèrent pas non plus de vitraux polychromes historiés, elles se contentèrent de grisailles qui laissaient pénétrer à flots la lumière. C’est dans ce dépouillement de l’espace, de la matière, de la lumière que se manifesta véritablement l’architecture cistercienne. Sa rigueur et sa pauvreté s’opposèrent au luxe des églises bénédictines.
Cîteaux, Clairvaux, plus tard Pontigny produisirent de remarquables manuscrits à peintures, mais on ne peut dire qu’il y ait eu une peinture cistercienne d’une originalité comparable à celle de l’architecture du xiie s. L’expansion de l’ordre coïncida avec le développement de l’art gothique, et les Cisterciens contribuèrent à faire connaître la voûte d’ogives en Europe. Par la suite, ils construisirent encore de superbes monastères, mais leur art refléta davantage les goûts de leur temps et ne fut plus proprement cistercien.
A. P.
➙ Bénédictins / gothique (art) / roman (art).
M. Aubert et M. de Maille, l’Architecture cistercienne en France (Éd. d’Art et d’Histoire, 1943 ; 2 vol.). / M.-A. Dimier, Recueil de plans d’églises cisterciennes (Vincent et Fréal, 1949) ; l’Art cistercien hors de France (Zodiaque, la Pierre-qui-Vire, 1971). / H.-P. Eydoux, l’Architecture des églises cisterciennes d’Allemagne (P. U. F., 1952). / M.-A. Dimier et J. Porcher, l’Art cistercien (Zodiaque, la Pierre-qui-Vire, 1962). / F. Cali, l’Ordre cistercien (Arthaud, 1972).