Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Cisterciens (suite)

La rivalité, nourrie d’un nombre considérable de pamphlets, continuera jusqu’en 1683, date à laquelle une certaine autonomie sera reconnue à la stricte observance. Une forte personnalité est d’ailleurs venue renforcer la stricte observance : Armand Jean Le Bouthillier de Rancé (Paris 1626 - Soligny 1700), abbé commendataire de l’abbaye Notre-Dame de la Trappe, à Soligny, en Normandie. Rancé réforme son abbaye avec la fougue qu’il a d’abord mise à jouir de la vie mondaine. La vie héroïque qu’il instaure à la Trappe manque évidemment de l’équilibre qu’avait respecté la tradition cistercienne. L’accent mis sur le côté pénitentiel de la vie monastique, s’il correspond assez aux aspirations du xviie s., fait passer au second plan l’idéal de spiritualité des premiers cisterciens.


Le xviiie siècle

Au début du xviiie s., l’ordre connaît une certaine prospérité, dont témoignent les reconstructions des bâtiments dans un style riche et nouveau remplaçant le style gothique. Mais cette splendeur est brève : le siècle des lumières français, le despotisme de Joseph II et bientôt la Révolution française vont balayer toute vie monastique.

De la commune observance, ainsi que s’appelle désormais la branche ancienne de l’ordre, une douzaine de monastères résistent à la tourmente dans l’empire des Habsbourg ; de la stricte observance, seule la communauté de la Trappe échappe en fuyant en Suisse d’abord, puis en Russie et jusqu’en Amérique, passant au cours de ce voyage de 24 à 600 moines. En 1815, certains de ces moines rentrent à la Trappe, mais les règlements qu’un supérieur plus sévère encore que Rancé, dom Augustin de Lestrange (1754-1827), leur a imposés sont repoussés par les monastères fondés peu après.

La stricte observance, divisée en trois congrégations (la Trappe, Sept-Fons et Westmalle), comprend à la fin du xixe s. 59 monastères. La commune observance, avec six congrégations, en compte 30.

Mais le fossé entre les deux observances s’est élargi. Les trappistes gardent un caractère exclusivement cloîtré et pénitentiel, les cisterciens de la commune observance intensifient le ministère paroissial et augmentent encore le nombre de leurs collèges et universités, activité à laquelle les a contraints le joséphisme. La rupture est radicale quand les trois congrégations de trappistes s’unissent en un ordre distinct, en 1892. À cette époque, les cisterciens de la commune observance sont 908, les trappistes 3 800 environ.


Le xxe siècle

La reprise est lente et modeste dans la seconde moitié du xixe s. ; les communautés vivent pauvrement. Sa réputation d’austérité attire à l’ordre beaucoup d’hommes mûrs, de convertis épris d’absolu, tel un Charles de Foucauld. Mais, avec le succès, une conception romantique se mêle à l’idéal évangélique du monachisme. Les offices pontificaux, les constructions pseudo-gothiques, un cadre étroit d’observances, copié assez conventionnellement sur la réforme rancéenne, rompent encore une fois l’équilibre entre l’effort ascétique et l’élan spirituel, à l’avantage d’une uniformité sans beaucoup d’ouverture. Quelques maîtres spirituels remettent cependant les valeurs spirituelles à l’honneur : dom Jean-Baptiste Chautard (1858-1935), dom Vital Lehodey (1857-1948), dom Anselme Le Bail (1878-1956), qui rend à la formation intellectuelle sa place dans le cloître et qui est aussi un pionnier dans l’étude de la littérature cistercienne médiévale.

Après la Seconde Guerre mondiale, l’ordre connaît, aux États-Unis, un extraordinaire mouvement d’expansion. Les trois monastères fondés au xixe s. essaiment ; une dizaine de fondations voient le jour en quelques années. Cet engouement est dû pour une grande part à une réaction contre la société matérialiste américaine. Le plus connu de cette génération de moines est le P. Thomas Merton (1915-1968), auteur de la Nuit privée d’étoiles (1951).

Depuis le deuxième concile du Vatican, les Cisterciens, comme tous les religieux, s’efforcent de se renouveler. De la règle de saint Benoît, ils retiennent l’essentiel d’une discipline ascétique au service d’une vie contemplative, l’harmonie entre les trois œuvres du moine : la prière, l’étude spirituelle et le travail manuel. De leur charte du xiie s., ils veulent garder les structures souples et efficaces du gouvernement par le chapitre général et la filiation des monastères qui respecte l’autonomie des communautés. Une saine adaptation de cette tradition doit tenir compte des exigences de la vie moderne et de la mentalité contemporaine. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les changements nécessaires ont été apportés au régime de vie. L’implantation de la vie cistercienne en pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Extrême-Orient a amené l’assouplissement des normes d’horaires ou de régimes ; la liturgie, dans le cadre de la réforme conciliaire, s’adapte aux langues et aux sensibilités particulières. L’ancienne division des communautés en choristes et convers a disparu ; la vie érémitique a retrouvé quelques adeptes, qui peuvent vivre en solitude plus complète avec la permission du supérieur et à proximité du monastère. Le problème des rapports avec le monde extérieur reste le plus délicat ; mais, dans la mesure où le silence et la solitude sont respectés, les hôtelleries monastiques, institution traditionnelle, s’ouvrent à un plus large accueil. Les moniales, qui sont peut-être plus stables et plus fidèles au passé en ces temps de recherche, tout en restant membres de l’ordre cistercien, voient leur autonomie encouragée par le Saint-Siège.

C. D.

➙ Bénédictins / Bernard (saint) / Cluny.

 A. Le Bail, l’Ordre de Cîteaux (Letouzey et Ané, 1924 ; nouv. éd., 1947). / Statuta capitulorum generalium ordinis cisterciensis, 1116-1786 (Éd. J. Canivez, Louvain, 1933-1941 ; 8 vol.). / J. Berthold-Mahn, l’Ordre cistercien et son gouvernement des origines au milieu du xiiie siècle (De Boccard, 1946). / T. Merton, The Waters of Siloe (New York, 1949 ; trad. fr. Aux sources du silence, Desclée De Brouwer, 1952). / L. Bouyer, la Spiritualité de Cîteaux (Flammarion, 1955). / L. J. Lekai, les Moines blancs (Éd. du Seuil, 1957). / J.-B. Van Damme, les Trois Fondateurs de Cîteaux (La Trappe, 1966). / R. Thomas, Spiritualité cistercienne (La Trappe, 1967 ; 2 vol.).