Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chypre (suite)

Kition, l’actuelle Lárnaka, était elle aussi un centre de la métallurgie, et ses tombes ont fourni un matériel abondant et de bonne qualité. Le spécimen le plus remarquable est un rhyton (vase à libations) de forme conique, en épaisse faïence recouverte à l’intérieur et à l’extérieur d’une couche d’émail bleu décorée de scènes animales ou de chasse. C’est l’un des produits les plus typiques de cet art égéo-oriental des xive et xiiie s.


Salamine : mille ans d’archéologie et d’histoire

Vers 1200, l’Égée connaît une période troublée. À la destruction des centres mycéniens succède la colonisation de Chypre par les Achéens. De cette époque date une statue cultuelle de bronze massif, haute de 55 cm, représentant un dieu jeune qui porte une sorte de kilt et un casque conique surmonté de cornes de taureau (musée de Nicosie). Cette curieuse statuette a été découverte à Engómi, dans un sanctuaire, à proximité de nombreuses cornes de taureau et de bols qui servaient aux cérémonies rituelles.

Dès le xie s., Engómi est abandonnée. Pour plus de mille ans, l’histoire chypriote sera dominée par celle de Salamine. À l’origine, Salamine n’était qu’un petit bourg maritime, port d’Engómi, distant de quelques kilomètres seulement. À partir du viiie s., la ville s’étendit dans toutes les directions. Notre connaissance du haut archaïsme chypriote a été entièrement renouvelée par la découverte, en 1957, d’un ensemble de grandes tombes dont la fouille se poursuivait encore en 1970. Ces tombes se caractérisent par une chambre funéraire rectangulaire, à laquelle conduisait un vaste dromos (voie d’accès) soigneusement construit. Sur le sol cimenté de celui-ci, on a retrouvé des attelages de chevaux sacrifiés.

La tombe la plus riche a été fouillée en 1966. Elle avait été utilisée à deux reprises. Quatre chars reposaient sur le sol du dromos ; toutes leurs parties métalliques étaient conservées. Des objets de bronze et de fer (armes, harnais, poitrails de chevaux, chaudrons de bronze), admirablement ornés, ont été dégagés à proximité. La trouvaille la plus remarquable reste cependant le mobilier qui était déposé devant la chambre funéraire : des trônes de bois, ornés de plaques d’argent, d’ivoire, de pâte de verre bleue ou d’or, ainsi que les éléments d’un grand lit en ivoire massif, décoré lui aussi de plaques d’ivoire portant des sphinx, des divinités ou des fleurs stylisées. Ces ivoires, d’une qualité exceptionnelle, furent sans doute importés de Syrie. Ils remontent au viiie s. av. J.-C.


La longue lutte pour l’hellénisation

Dès le viiie s., la langue, la religion et la culture de Chypre sont grecques. L’écriture syllabique chypriote, en usage à partir de 1500 av. J.-C. environ, continue à être utilisée, mais elle transcrit du grec, plus précisément une forme du dialecte arcadien. Petit à petit, l’influence hellénique s’accentue grâce à la présence d’artistes et de marchands grecs à Salamine, ainsi qu’au passage de colons se rendant en Orient. Tout au long de cette période, Chypre reste cependant en relation avec l’Égypte ainsi qu’avec les rois d’Assyrie.

L’hellénisation de Chypre se heurte toutefois, dès le vie s., à l’apparition d’une puissance nouvelle dans le Proche-Orient et en Anatolie, l’Empire perse. En acceptant de mettre leurs forces à la disposition de Cyrus, les Chypriotes obtinrent de conserver leur autonomie. Lorsque l’Ionie se souleva contre les Perses, Chypre tenta de se libérer elle aussi (498), mais l’île fut rapidement soumise et dut se joindre à l’expédition anti-grecque de 490. Avec la fin de la seconde guerre médique commencèrent les efforts athéniens pour arracher Chypre à la tutelle perse, sans qu’un résultat décisif fût obtenu, en dépit de la victoire remportée au large de Salamine par la flotte de Cimon, en 449. Le règne d’Evagoras Ier, roi de Salamine, marque une étape capitale pour l’hellénisation de Chypre : les idées panhelléniques en vogue au ive s. en Grèce même s’affirment et se répandent.

La succession des prééminences politiques et culturelles est illustrée par les transformations architecturales que subit le palais de Vouní, au nord-ouest de l’île. Construit par le roi de la cité de Marion, protégé de Darios, peu après l’écrasement de la révolte ionienne, le palais était de type et de plan orientaux. Mais, en 449, un prince pro-grec s’y installa. Par quelques modifications de détail, il transforma fondamentalement le plan de la demeure. La pièce principale se rattacha de ce fait au type du mégaron mycénien et hellénique et non plus à l’iwān tripartite de l’Orient.

Rares sont les temples dont les vestiges nous sont parvenus. Le mieux conservé est celui d’Apollon à Koúrion, près de Limassol, fondé vers 700 av. J.-C. et lieu de culte jusqu’au ive s. de notre ère. En revanche, les sanctuaires rustiques sont fort nombreux. Ils accueillaient le culte de divinités omnipotentes, mais qu’on tenait surtout pour des dieux de la fécondité. Le sanctuaire découvert à Aghía Iríni, à l’ouest de Lápithos, établi vers 1200 av. J.-C., définitivement abandonné vers 500 av. J.-C., a fourni plus de 2 000 figurines de terre cuite, représentant des taureaux, des adorants, des guerriers.

P. B. D.


Chypre et l’Égypte à l’époque hellénistique

Ayant reconnu l’autorité d’Alexandre après Issos (333 av. J.-C.), Chypre devient l’enjeu d’une âpre rivalité entre ses héritiers, dont Ptolémée Ier Sôtêr sort vainqueur en 295-294. Incorporée dès lors au royaume lagide d’Égypte, l’île est dotée d’une administration en partie autonome dirigée par un vice-roi de sang royal. Les Lagides instituent un monopole du cuivre à leur seul bénéfice. Ils favorisent l’implantation d’un premier noyau de population juive et surtout la diffusion de la civilisation hellénistique : construction de nombreux temples et d’une ville nouvelle, Arsinoé ; essor des sciences humaines, auquel contribuent le poète comique Sopatros, le poète tragique Dionysos, l’historien Aristos, enfin les philosophes Eudème et Zénon de Kition (v. 335 - v. 264) fondateur du stoïcisme.