Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chypre (suite)

Profitant de l’affaiblissement de la dynastie lagide à la fin du iie s. av. J.-C., Chypre s’érige en un royaume indépendant du temps de Ptolémée Lathyros (107-89 av. J.-C.) et de Ptolémée XIII Aulêtês (80-58 av. J.-C.). Le roi étant entré en conflit pour des raisons financières avec le tribun du peuple Publius Appius Clodius, celui-ci fait voter en 58 av. J.-C. le plébiscite qui charge Caton d’Utique de procéder à l’annexion de l’île et d’en transférer le trésor à Rome.


La province romaine de Chypre (58 av. J.-C. - 395 apr. J.-C.)

N’osant pas résister aux Romains, le roi de Chypre se suicide. Son royaume, incorporé à la province de Cilicie, est rapidement ruiné par les exactions financières des Romains, auxquelles Cicéron, proconsul de Cilicie de 51 à 50 av. J.-C., met un terme. Dotée vers 49 d’un questeur, temporairement restituée à Cléopâtre par César de 48 à 47 av. J.-C., puis par Antoine, qui y établit en 33 av. J.-C. Ptolémée Philadelphe, l’un des enfants que lui a donnés la reine d’Égypte, Chypre est réannexée à Rome par Auguste au lendemain d’Actium (31 av. J.-C.).

Érigée en province impériale en 27 av. J.-C. et gouvernée dès lors par un legatus caesaris propraetore, elle est de nouveau réunie à la Cilicie avant d’en être définitivement détachée en 22 av. J.-C. pour être constituée en province sénatoriale placée sous l’autorité d’un proconsul de rang prétorien résidant à Paphos. En 116-117 apr. J.-C., l’île est victime de la terrible insurrection juive qui embrase tout l’Orient. L’ordre est rétabli avec énergie ; il ne sera plus troublé jusqu’à la fin de l’Empire romain. Reliées par un bon réseau routier et dotées de nombreux travaux utilitaires (aqueducs) et culturels (fora, gymnases, bibliothèques, théâtre) dont bénéficient notamment Salamine et Paphos, où Auguste fait reconstruire à ses frais le temple d’Aphrodite détruit par un séisme, les villes de l’île sont administrées par des conseils urbains élus. L’extraction, le travail du cuivre et le commerce contribuent d’ailleurs à leur prospérité.

Accueillante aux adeptes du culte d’Aphrodite, Chypre est évangélisée en 45 apr. J.-C. par saint Paul, par saint Marc et par saint Barnabé, qui y créent de nombreuses églises.

Malgré le martyre de saint Barnabé (v. 60), l’évangélisation aurait permis de compter au début du ive s. au moins dix évêchés, dont certains sont représentés aux conciles œcuméniques de Nicée en 325 (Trémithonte, Paphos et Salamine), de Constantinople en 381 et d’Ephèse en 431.

Déclarée indépendante et autocéphale par cette dernière assemblée, l’Église de Chypre est placée sous l’autorité exclusive de l’archevêque métropolitain résidant à Salamine de Chypre, qui est alors redevenue la capitale de l’île depuis sa reconstruction au ive s. par Constance II, qui l’a rebaptisée du nom de Constantia en l’honneur de l’empereur Constantin, après un tremblement de terre dévastateur.


Chypre entre Byzance et l’islām (395-965)

Partie intégrante du diocèse d’Orient, rattachée définitivement en 395 à l’Empire romain d’Orient, Chypre devient une dépendance de la préfecture d’Antioche et est divisée en quatorze régions administratives placées sous le commandement d’un gouverneur militaire nommé par le comte d’Orient.

Malgré l’importance des chantiers de construction navale, les activités commerciales et minières déclinent jusqu’au milieu du vie s. Grâce à l’impératrice Théodora, native de l’île, Chypre retrouve alors une certaine prospérité, marquée par l’essor des productions viticoles, fruitières et artisanales (introduction de l’industrie de la soie). Au vie et au début du viie s., les offensives perses, puis arabes en Asie remettent en valeur sa position stratégique. Attaquée à plusieurs reprises par les flottes musulmanes d’Abū Bakr (razzia du port de Kition en 632), puis d’‘Uthmān, qui confie à Mu‘āwiyya le soin de l’occuper en 649, Chypre est finalement soumise par la paix de 688 au paiement d’un double tribut annuel à Byzance et au califat. Les survivants sont alors transférés en 691 par Justinien II dans une ville nouvelle construite sur les rives européennes de l’Hellespont : Justinianopolis. De retour dans l’île après sa reconquête par Tibère III en 703, les Chypriotes vivent en paix pendant un demi-siècle, les Byzantins ayant éliminé en 747 la flotte musulmane de la Méditerranée orientale. Reparus en 805, les Arabes occupent Chypre en 862. Les Byzantins tentent à plusieurs reprises de reprendre pied dans l’île au xe et au xie s., et s’en assurent enfin le contrôle grâce à la victoire navale remportée en 965 par Nicéphore II Phokas.

L’art de l’époque hellénistique à l’époque byzantine

De l’époque hellénistique, il ne subsiste que des vestiges assez pauvres, soit que les monuments aient disparu dès l’Antiquité en raison d’une série de tremblements de terre, soit que les villes, continuellement habitées depuis cette époque, aient progressivement absorbé tous les vestiges plus anciens.

En revanche, de nombreux monuments témoignent de la splendeur de l’île à l’époque impériale romaine. Salamine, supplantée par Paphos, demeure néanmoins une ville commerçante et prospère. Elle dispose d’un vaste et luxueux gymnase, embelli sous les empereurs Trajan et Hadrien. Entouré d’une grande colonnade sur les quatre côtés, l’édifice fut muni d’un établissement thermal orné de mosaïques, de fresques et de statues. La ville possédait aussi un théâtre qui pouvait contenir 15 000 spectateurs. On a découvert à Paphos une villa romaine de plus de soixante-dix pièces. Plusieurs d’entre elles ainsi qu’un portique sont pavés de mosaïques à sujets mythologiques. Ce sont les plus belles qui aient été trouvées dans l’île.

Chypre fut l’une des premières régions à embrasser le christianisme. Mais les églises les plus anciennes ont toutes disparu. Après la stagnation consécutive aux raids arabes, le renouveau artistique entraîna un développement de la peinture et, dès les invasions franques, l’édification de nombreuses églises de style gothique. Parallèlement, sous l’influence des écoles de Constantinople, d’Anatolie, de Syrie et de Palestine, des artistes locaux se mirent à créer des icônes originales. La plus anciennement datée est de 1356, mais d’autres œuvres remontent sans aucun doute aux xe et xie s.

P. B. D.