Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Choiseul (Étienne François, duc de) (suite)

Réorganisant la marine, il crée des arsenaux à Marseille et à Lorient, et il donne aux unités navales ainsi multipliées des bases dans le monde entier : Dakar, les îles de Gorée, de France et de Bourbon. Il assure la prise de possession de la Corse, achetée aux Génois, en 1768. C’est aussi quand il est au pouvoir qu’est signé le pacte de Famille (1761) et que la Lorraine devient française (1766).

Mais, pour que la politique extérieure projetée soit menée à son terme, il faut un royaume fort. Cette puissance au-dedans ne sera obtenue que par des réformes. Choiseul, comme beaucoup, les admet. Pour lui, une administration ferme doit aussi chercher l’appui et la coopération de sujets attachés par les sentiments et par l’intérêt à la bonne marche des affaires publiques.

Choiseul est néanmoins prisonnier de l’ordre auquel il appartient : s’il parle d’association des Français au gouvernement du royaume, c’est en la restreignant aux aristocrates. Ami des Encyclopédistes, il contribue à la suppression de l’ordre des Jésuites en 1764 ; mais il est aussi le protecteur de parlementaires qui ne parlent de liberté que pour mieux sauver et accroître les privilèges des nobles. En les aidant, il affaiblit le pouvoir royal à un moment où celui-ci est mis en accusation.

C’est la cause fondamentale de sa disgrâce, dont les artisans les plus directs seront les mécontents, les envieux et les intrigants groupés autour de Mme du Barry, du duc de Richelieu et du duc d’Aiguillon. Cette coalition trouve des appuis dans les rangs mêmes du gouvernement, auprès du chancelier Maupeou et du contrôleur Terray.

Choiseul est renvoyé en 1770, alors que le conflit entre l’Angleterre et l’Espagne, à laquelle la France était liée, lui laissait espérer sa guerre de revanche. Exilé dans son domaine de Chanteloup (près d’Amboise), il y accueille une société brillante qui déserte Versailles. Il joue le rôle de chef d’un « parti d’opposition ». Le comte d’Artois et la dauphine Marie-Antoinette, dont il a fait le mariage, le soutiennent. Quand Louis XV meurt (1774), Louis XVI lui préfère pourtant Turgot, puis Necker.

J.-P. B.

➙ Louis XV.

 G. Maugras, la Disgrâce du duc et de la duchesse de Choiseul (Plon et Nourrit, 1903). / H. Verdier, le Duc de Choiseul (Debresse, 1969).

Cholem Aleichem (Cholom Rabinovitch, dit)

Écrivain d’expression yiddish (Pereïaslav, Ukraine, 1859 - New York 1916).


En littérature juive, qu’elle soit sacrée ou profane, on ne connaît les auteurs que par le titre de leurs ouvrages. Recourir au pseudonyme est donc une sécularisation de la discrétion chère aux Juifs traditionnels. Celui de notre auteur est tout un programme : « Que la paix soit avec vous ! » est le refus du désespoir qui s’affirme en toute simplicité, par la vertu du seul sourire.

Il apparut dans les lettres juives au moment du déclin des Lumières, à l’aube du sionisme et du mouvement socialiste, quand les masses juives affluèrent aux États-Unis, en plein bouillonnement des littératures yiddish et hébraïque. Les Lumières s’opposèrent au piétisme juif (hassidisme). C’est à ce dernier que nous devons l’importance accordée aux simples et la mise en valeur de leur langue, le yiddish. Les éclairés, protagonistes de la modernité, durent utiliser ce moyen pour pouvoir être entendus, bien malgré eux.

Cholem Aleichem a hérité l’esprit critique des éclairés, mais il a conservé la chaleur des piétistes, car il a découvert une grande vérité incomprise jusqu’alors : on ne peut corriger que par l’amour et le sourire.

Il devint plus qu’un auteur ; il fut le peuple incarné et il en eut tellement le sentiment qu’il rédigea ainsi sa pierre tombale :
Ci-gît un juif simple qui
Écrivait pour les femmes en judéo-allemand
Pour les simples gens
Était un humoriste, un écrivain
Se moquait sa vie entière
Chassant le souci
Le monde prospérait autour de lui
Lui-même hélas était dans la misère
Lorsque le public comme un fait exprès
Riait, applaudissait, se réjouissait
Malade il souffrait si fort, Dieu le sait,
Gardant sa souffrance comme un secret.

La vie des bourgades juives n’a jamais connu la grandeur et le prestige ; ses vertus sont celles des petites gens où il y a peu d’espoir et peu de soleil. Mais on les retrouve au sein de cette ascèse du quotidien. Cholem Aleichem se refusait à moraliser ; il lui suffisait de décrire et de peindre.

Ses trois héros sont des archétypes de la condition juive : Tévié, Menakhem Mendl et Motl.

Tévié le laitier est le Juif imperturbablement fidèle en dépit des difficultés, des infamies et de la rudesse de la vie. Toute son histoire tourne autour du mariage de ses filles. Cette chronique familiale est le reflet des conflits que doit affronter une famille juive dans une Russie qui est à mi-chemin entre l’autocratie et la révolution, entre la société agraire et la société industrielle, entre la tradition et la modernité. On découvre l’opposition des parents et des enfants. Tévié, l’homme chancelant entre Dieu et les hommes, ne sait plus où donner de la tête ; son langage est si émaillé de métanalyses qu’on sent que le réel lui échappe, car ces bouleversements le traumatisent jusqu’au tréfonds de son être : sa parole.

Menakhem Mendl est le Luft Mensch, l’homme qui vit de l’air du temps. C’est le rêveur qui veut devenir riche du jour au lendemain. Il est à la fois malin et bête, raffiné et naïf, plein d’espérances et de désespoir. Il est toujours à la veille de réussir son coup, mais il le manque toujours. Il est courtier, entremetteur matrimonial et termine dans la peau d’un écrivain yiddish. C’est plus qu’un parasite, un chevalier de l’échec, en quête d’horizons qui sont toujours ternes. C’est le Don Quichotte dont la femme est le Sancho Pança.

Cholem Aleichem aimait les enfants. Il écrivit beaucoup pour eux, soucieux de leur rappeler l’héritage de non-violence de leurs aïeux. Motl est brillant, tendre, curieux, malin, optimiste, sage et puéril, sans souci et innocent. La maladie de son père entraîne la misère, mais il garde son sourire et se rit de tout. Quand son père meurt, il s’exclame : « Chic, me voilà orphelin ! » Il part pour l’Amérique, et nous assistons à son installation à New York ; mais ce roman resta inachevé.

On se trompe quand on croit que Cholem Aleichem a cherché à divertir son monde ; il veut le mettre en garde contre lui-même.