Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Toujours au début des Yuan, Bo Ren-fu (Po Jen-fou) célèbre dans Pluie sur le tilleul (Wutong yu [Wou-t’ong-yu]) la passion de l’empereur Xuanzong (Hiuan-tsong) des Tang et de sa concubine Yang Guifei (Yang Kouei-fei). Au cours de la fuite de l’empereur chassé par la révolte, la garde personnelle exige la mort de la belle favorite, qui se pend à son écharpe de soie blanche. De retour dans son palais, l’empereur songe à la disparue, en écoutant tomber la pluie sur le tilleul au pied duquel elle dansait autrefois.

Sous les Ming, le zaju cesse d’être à la mode parmi l’élite et cède la place au kunqu (k’ouen-k’iu), théâtre-opéra plus littéraire et raffiné. La valeur de ces nouvelles pièces, souvent très longues (certaines ont jusqu’à cinquante actes), réside dans l’élégance du texte, la délicatesse de la musique et l’interprétation du chant. La musique du kunqu, dont le premier compositeur est Wei Liang-fu (Wei Leang-fou), originaire du sud de la Chine, est plus mélodieuse que celle du zaju, qui tient à ses origines barbares. La primauté est donnée aux voix de fausset, que les rôles soient féminins ou masculins, avec accompagnement de flûtes et de cordes. Composées par des lettrés éminents, les pièces de kunqu sont des chefs-d’œuvre de style et de poésie, mais la langue, très recherchée, est souvent difficile. Dans sa nouvelle version musicale, le Luth (Pipa ji [P’i-p’a-ki]) connaît un regain de succès. Écrit par Gao Ming (Kao Ming) au début de la dynastie, c’est l’histoire édifiante d’une jeune femme, épouse modèle et bru incomparable. Son mari l’ayant quittée pour aller passer les examens, ayant été reçu premier et ayant épousé la fille d’un Premier ministre, elle n’en continue pas moins à pratiquer la piété filiale avec une abnégation sans pareille : elle mange de la balle de riz pour laisser le riz à ses beaux-parents et vend le seul trésor qui lui reste, sa chevelure, pour les enterrer dignement. Puis elle part sur les routes avec son luth, chantant pour mendier sa vie, à la recherche de son époux. Tout finit bien, car elle le retrouve et lui pardonne. Le Pavillon des pivoines (Mudan ting [Mou-tan-t’ing]), de Tang Xianzu (T’ang Hien-tsou, 1550-1616), est une des pièces Ming encore au répertoire à l’heure actuelle. Une jeune fille de bonne famille, par un jour de printemps alanguissant, rêve qu’un joli étudiant vient la voir, lui apprend l’amour dans le Pavillon des pivoines et lui jure de revenir un jour. Dès lors, la jeune fille ne pense qu’à lui et sombre dans la neurasthénie. Avant de mourir, elle fait son autoportrait et demande qu’on le place sur sa tombe. Quelque temps plus tard, un jeune homme passe, reconnaît celle dont il a aussi rêvé. Elle ressuscite et ils se marient. La jeunesse romantique chinoise s’attendrit toujours sur le vide de cette triste vie de jeune fille privée d’amour, à laquelle seul le rêve permet d’échapper.

Au cours de la dynastie des Qing, le kunqu reste très apprécié des écrivains, des lecteurs et des auditeurs. Le Palais de la vie éternelle (Chang-sheng dian [Tch’ang-cheng-tien]) est considéré comme une œuvre maîtresse du théâtre chinois, tant pour la composition que pour la beauté du texte et l’élégance de la musique. Hong Sheng (Hong Cheng, xviie s.) y reprend le thème de la passion de l’empereur Xuanzong (Hiuan-tsong) des Tang pour Yang Guifei (Yang Kouei-fei), mais en fait une pièce totalement différente de Pluie sur le tilleul. Vers la fin de la dynastie, le kunqu devient un genre très littéraire, un passe-temps de lettré qui s’éloigne de plus en plus des besoins de la scène. Les théâtres locaux, plus frustes et plus populaires, se développent alors rapidement. Parmi eux, le Théâtre de Pékin (Jingxi [King-hi]) obtient une faveur spéciale. Les pièces sont souvent anonymes, composées par les acteurs pour se mettre en valeur ; les arguments, tirés des romans populaires, y sont traités sans recherche particulière ; la musique est assez simple : alors que le kunqu utilisait plusieurs dizaines de modes différents, le Théâtre de Pékin n’en utilise que quatre ; la déclamation reprend de l’importance ainsi que les jeux de scène. Dans un grand nombre de pièces, dites « pièces guerrières », les acteurs simulent des combats et des luttes dignes de la plus haute acrobatie. Malgré son audience populaire, c’est un art élaboré et stylisé : costumes, grimages, jeux de scène, style de voix relèvent d’un symbolisme et de conventions que l’on doit connaître parfaitement avant de pouvoir juger de l’œuvre et de la représentation. Au début de notre siècle, le kunqu n’est plus apprécié que par les amateurs de musique fine et de beau style. S’il arrive qu’un chanteur interprète un acte de kunqu, la plupart des œuvres font partie de la littérature du passé et non des spectacles. C’est le Théâtre de Pékin qui tient la scène et la faveur du public sans pour autant éclipser les théâtres de province, dont certains, comme le théâtre de Canton ou de Suzhou (Sou-tcheou), font preuve d’une grande vitalité.


La littérature moderne

La littérature contemporaine chinoise, qui se développe à la suite du mouvement du 4 mai 1919, se différencie de la littérature classique par deux grands points : l’utilisation consciente et constante de la langue parlée et l’influence prépondérante des littératures occidentales. Hu Shi (Hou Che, 1891-1962), surnommé « le Père de la révolution littéraire », est le premier lettré à manifester son mécontentement. Dans un article de 1917, il invite les écrivains à se libérer du carcan de la langue classique et à suivre la tradition des romans pour écrire en baihua (pai-houa), ou « langage clair ». La revue de l’université de Pékin, la Jeunesse, diffuse cette théorie en éditant des articles en baihua. À une époque où l’élite intellectuelle chinoise est en pleine effervescence, politique et littérature luttent côte à côte. Si la plupart des théories littéraires occidentales ont leurs partisans, la tendance qui nous est le mieux connue est celle des intellectuels de gauche. Considérant la littérature comme une arme au service du réveil de la nation, ils prônent une littérature populaire, accessible, où triomphe le réalisme social. Le plus grand auteur est sans conteste Lu Xun (Lou Siun, 1881-1936). Sa première nouvelle, inspirée de Gogol, s’intitule Journal d’un fou. Il y présente la société chinoise comme un grand rassemblement de cannibales et termine sur le cri : « Sauvez les enfants. » Dans son chef-d’œuvre, l’Histoire véridique d’Ah Q, le héros, symbole de la Chine, est toujours battu et humilié, mais moralement victorieux et supérieur. Malheureusement, Lu Xun, qui se plonge dans une activité turbulente, dissipe son talent et son esprit dans des épigrammes satiriques d’un intérêt éphémère.