Grande Encyclopédie Larousse 1971-1976Éd. 1971-1976
C

Chine (suite)

Au début de la dynastie Qing (Ts’ing, 1644-1911), Pu Songling (P’ou Song-ling, 1640-1715) ressuscite le conte classique. Les Histoires du pavillon du loisir (Liaozhai zhiyi [Leao-tchai-tche-yi]) donnent du monde surnaturel une vision attachante et amusante. Revenants, démons, animaux, esprits de toutes sortes mènent parmi les hommes une vie qui serait banale sans les faits étranges qui viennent la troubler de temps en temps. Tel cet homme qui redevient chrysanthème lorsqu’il se laisse aller à trop boire ou cette Mme Renard qui finit un jour par aller rejoindre ses frères. Écrit dans une langue littéraire remarquable de verve, c’est un des sommets de la prose classique chinoise. Le Rêve dans un pavillon rouge (Honglou meng [Hong-leou-mong]) est le grand roman d’amour chinois. Composé au xviiie s. par Cao Xueqin (Ts’ao Siue-k’in), appelé aussi Cao Zhan (Ts’ao Tchan, v. 1715-1763), il raconte la grandeur et la chute d’une famille aristocratique. Dans un cadre magnifique que ronge la décadence, le jeune Bao Yu (Pao Yu) n’a d’autre souci que ses relations complexes avec ses cousines de son âge. Deux d’entre elles ont sa préférence, Bao Chai (Pao Tch’ai) et Dai Yu (Tai Yu), surtout cette dernière, frêle et tendre, mais jalouse. C’est une délicate broderie sur les sentiments et les jeux innocents de ces adolescentes, qui vivent dans un monde clos et factice sans autre issue que le suicide. Le dénouement, qui n’est pas de l’auteur, s’achève sur une méprise tragique. Ce même siècle voit apparaître les romans satiriques, dont le meilleur est l’Histoire non officielle des lettrés (Rulin waishi [Jou-lin-wai-che]). Ce n’est pas à proprement parler un roman, mais une série de longues anecdotes prises sur le vif par Wu Jingzi (Wou King-tseu, 1701-v. 1754), lettré lui-même. Il décrit avec mordant la profonde déchéance du monde sclérosé des fonctionnaires, où ne règnent que vanité et vénalité.


Le théâtre

Le théâtre est le dernier genre littéraire à apparaître en Chine. La première pièce complète que nous possédions date du début des Yuan (xiiie s.) et témoigne d’un degré élevé de perfection. Dès les Song, le développement de la vie citadine donne aux arts du spectacle un essor sans précédent : farces, pantomimes militaires, ballets chantés, théâtre d’ombres et théâtre de marionnettes prospèrent tant dans les quartiers d’amusement que dans les milieux élégants. Les conteurs publics jouent un rôle important dans la gestation des pièces, car la plupart des arguments sont empruntés à leurs histoires. La collection officielle des Song du Sud mentionne 280 pièces de théâtre, toutes perdues. Dans le Nord, sous la dynastie étrangère des Jin (Kin), le théâtre dit zaju (tsa-kiu) se développe et permet l’apparition des chefs-d’œuvre de la dynastie Yuan. Cette dynastie mongole, établie en Chine par un descendant de Gengis khān, évoque aussitôt le théâtre dans l’esprit des Chinois. Les Mongols, célèbres pour leur passion des spectacles, favorisent les amusements populaires, car ils n’ont pas le mépris des lettrés chinois pour la scène et les acteurs.

Le théâtre zaju comprend quatre actes et un acte intermédiaire facultatif. Les parties chantées sont aussi importantes que les parties déclamées : elles sont en général composées de vers libres (qu [k’iu]) et servent à exprimer les sentiments des personnages. Il est d’usage que seul le personnage principal d’un acte chante, les autres se contentant de parler. Il arrive qu’un seul acteur chante les quatre actes. Sous les Song, la partie chantée seule était écrite, le dialogue étant laissé à l’improvisation des acteurs. Sous les Yuan, dans les pièces écrites par de vrais auteurs, le dialogue tient une place considérable qui rapproche le zaju de notre art dramatique.

Le premier grand auteur de la dynastie est Guan Hanqing (Kouan Han-k’ing, xiiie s.). Il écrivit plus de soixante-trois pièces, dont seize nous sont parvenues. Né dans la capitale mongole (l’actuelle Pékin), il passe sa vie au milieu des acteurs et ne dédaigne pas de monter sur les planches. C’est ainsi sans doute qu’il comprit l’importance de dialogues vivants et d’une intrigue bien construite. On sent dans ses œuvres qu’il connaît l’art de toucher le spectateur. Les sujets très variés des pièces de Guan Hanqing font vivre sur la scène les petites gens de cette époque. Dans un style sobre et direct, il décrit les milieux populaires avec un réalisme frisant parfois la crudité. Pièces policières présentant le célèbre juge Baocheng (Pao Tch’eng) ; pièces de mœurs dans le monde des prostituées ou de la petite noblesse de province ; pièces d’amour ; pièces guerrières avec les héros des Trois Royaumes. Que le ton soit gai ou triste, on y voit l’existence rude et les sentiments un peu frustes de personnes généralement ignorées des écrivains chinois. Certaines pièces sont des réquisitoires violents contre la société qui opprime les faibles, les femmes et les pauvres, où l’argent règne en maître, où il n’est pas d’issue pour ceux qui refusent les compromis. C’est ainsi que Du E (Tou Ngo), l’héroïne de l’Injustice faite à Du E (Du E yuan [Tou-Ngo-yuan]), est une jeune veuve pleine de vertu et d’honnêteté. Comme elle refuse obstinément ses faveurs à un riche marchand, celui-ci, pour se venger, réussit à la compromettre dans un crime qu’il a, lui, commis. Le juge local, acheté, force par la torture Du E à avouer et la condamne à mort. Le jour de son exécution, en plein été, Du E atteste le ciel de son innocence : et la neige qui recouvre son cadavre prouve aux yeux de tous l’erreur du magistrat.

Le chef-d’œuvre romantique de Wang Shifu (Wang Che-fou, xiiie s.), le Pavillon de l’Ouest (Xixiang ji [Si-siang-ki]), est une histoire d’amour fort longue, car les deux amants n’arrivent pas à se marier. Les deux héros se sont vus par hasard, se sont plu et se voient chaque nuit au Pavillon de l’Ouest grâce à l’astuce de la servante. La jeune fille est de haute noblesse et promise à un fils de ministre. Comment sa mère se résoudrait-elle à abandonner ce parti convenable pour le pauvre étudiant qu’est le héros, même quand elle apprend leurs relations et qu’il les a sauvées de la mort ? Ce n’est qu’après bien des compromis et une longue constance que le mariage pourra se faire. Les poèmes d’amour que se chantent les amoureux, tout au long de leurs séparations et retrouvailles, sont pleins de charme et de délicatesse.